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[habiter autrement #6] Mieux vieillir ensemble dans l’écohameau des Marcottes

Par Zoé Charef, le 24 octobre 2022

Journaliste

Le petit hameau compte aujourd'hui neuf maisons, en ossature bois, en paille, en terre ou en pisé @MCP

Être autonome tout en vivant des moments de convivialité et d’entraide, c’est l’objectif des habitants de l’écohameau des Marcottes, à Ornacieux (Isère). En pleine campagne, ils apprennent à vivre en communauté.

 

« Il faut qu’on fasse quelque chose pour aller le plus tard possible à l’Ehpad et ne pas embêter nos enfants », s’est dit un groupe d’amis il y a douze ans. Ainsi est né le projet d’écohameau des Marcottes à Ornacieux, en Isère. Pour pouvoir « mieux vieillir », Marie-Christine Pénélon et ses amis, tous la soixantaine, ont imaginé un endroit de vie commun. L’entraide, l’écologie, la solidarité, le partage, mais aussi « la mixité sociale et générationnelle et la convivialité » sont les principales valeurs qui rassemblent la dizaine d’Ornacieurottes et Ornacieurots.

 

De l’idée au concret

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Les maisons en bois… et la nature ! © Marie-Christine Pénélon
L’un des membres fondateurs, infirmier à domicile en zone rurale, s’était fait la remarque que les gens vieillissaient souvent seuls à la campagne. Avec, pour uniques visiteurs, le facteur ou l’infirmier. Pour ne pas se retrouver dans la même situation, le groupe d’amis s’est inspiré de l’écohameau de La Chabeaudière à St-Antoine-l’Abbaye, lui aussi en Isère. Ils ont prospecté et tenu des réunions « avec toutes les personnes susceptibles d’être intéressées dans notre entourage » précise Marie-Christine. Une fois leurs critères définis, ils ont cherché un endroit adéquat pour s’installer.

Finalement, c’est le grand terrain de Marie-Christine qui est choisi comme lieu d’habitat : « Ça s’est fait chez moi parce que j’avais 3 700 m² de terrain disponible. Maintenant, on a neuf maisons. » Et pas de l’habitat standard, mais des maisons en ossature bois, en paille, en terre ou en pisé pour les plus anciennes.

Une donnée écologique très importante pour Magali, jeune maman de deux enfants (4 et 7 ans), qui témoigne : « Je venais de me séparer, je devais déménager rapidement et je voulais aller à la campagne, m’éloigner de la ville mais ne pas m’isoler avec mes enfants. Sur les réseaux d’habitats participatifs, une maison était en vente et accessible ici. » Sa petite tribu a donc intégré l’écohameau après le premier confinement, à l’été 2020.

 

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Une entraide significative…

Ce que recherchait le groupe fondateur, c’était avant tout la convivialité au quotidien. Mêlant vie collective et sphère privée, projets communs et espaces privatifs, Marie-Christine voit le projet comme une réussite : « On se croise souvent, surtout à la belle saison. On passe prendre le thé chez l’un ou chez l’autre, on organise des sorties ciné, celui qui va faire des courses propose aux autres,… » Avant la crise sanitaire, les habitants de l’écohameau avaient également mis en place un repas hebdomadaire : moyennant 5 euros par repas, ils se retrouvaient pour échanger les dernières nouvelles. 

« Hier, quelqu’un est venu me donner un coup de main parce que j’avais du bois à couper par exemple. L’année dernière, j’ai chuté d’une échelle et je me suis blessée. Tout le monde s’est alors occupé de moi, que ce soit pour les courses ou les tâches du quotidien », sourit Marie-Christine. Vivant seule – comme beaucoup d’autres ici – cette vie en collectivité est « un bonus de A à Z ! »

L’écohameau étant une association syndicale libre, chaque membre qui achète une maison achète en même temps un pourcentage des communs. Ici, ce sont les terrains communs et les vergers, mais aussi l’aire de jeux créée peu de temps après l’arrivée des enfants de Magali. 

 

…et une vie en communauté à entretenir

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Les habitants de l’écohameau des Marcottes. © Marie-Christine Pénélon
Dans l’écohameau se côtoient différentes classes d’âge, des actifs et des retraités. Les emplois du temps et les préoccupations sont donc très divers. Marie-Christine en est bien consciente et porte une grande importance à l’aspect intergénérationnel de l’écohameau : « Le plus jeune à 4 ans, et notre doyenne, 82… On est tous en train de vieillir ! On a une maison à vendre et on aimerait bien que ce soit une famille qui l’achète. Ça apporte du sang neuf, d’autres idées, et on n’aimerait pas que notre voisine se retrouve seule. » Une proposition que Magali soutient grandement, puisque ses enfants sont les seuls du hameau et qu’ils ont eu un peu de mal à s’intégrer. S’ils sont très heureux dans ce nouvel environnement collectif, « ils se sont parfois sentis exclus, certains habitants n’aimant pas forcément la jeunesse. »

Les propriétaires de l’écohameau des Marcottes sont de fait en pleine réflexion pour équilibrer le dialogue intergénérationnel et l’entente du groupe. Magali, la quarantaine, témoigne qu’au bout d’un an de vie ici, « il y a eu des questionnements sur la place des enfants, et plus principalement sur nos différents rythmes de vie. » Même si Marie-Christine positive en plaisantant que « si Magali rentre plus tard que prévu du travail, il y a toujours quelqu’un pour chercher les gamins à l’école. Ces rythmes différents, c’est que du positif », la question des modes de vie variés se pose réellement. 

 

(Re)penser l’espace commun 

Car même retraités, tous sont très engagés dans différentes structures associatives. Le temps (et l’envie) manque parfois au groupe pour mettre en place des initiatives communes et adaptables à chacun. Sur les bandes de terrain disponibles, les habitants de la première heure ont créé un potager collectif et planté des arbres fruitiers. Aujourd’hui, la communauté est moins focalisée sur les questions d’autosuffisance alimentaire et de permaculture. Marie-Christine explique ne pas vouloir être contrainte « d’avoir un jardin à arroser quand [elle part] l’été. Chacun fait comme il veut. Ils peuvent avoir des potagers, mais moi je préfère lire… et ça se passe très bien ! »

S’ils continuent de mettre en commun leurs savoirs, leurs compétences (et leurs outils !), ils travaillent aussi continuellement au bon déroulement du vivre ensemble. Chaque mois, une réunion est organisée pour gérer les espaces communs. « Mettre en collectif des adultes, avec chacun son rêve, ses peurs, son caractère … ça peut parfois faire des étincelles », concède Marie-Christine. Et Magali d’acquiescer : « Vivre ensemble ne se fait pas sans effort. C’est un travail continuel. Comme je ne fais pas partie des premiers membres, ma position n’est pas non plus très facile. Mais on a un groupe de parole pour échanger sur les problématiques du groupe. » 

Perçu comme une micro-société, l’écohameau d’Ornacieux pose des questions… sociétales. Et quand ils parviennent, ensemble, à surmonter les tensions, « ça crée un enthousiasme. C’est vraiment passionnant de vivre tout ça », confie Magali.

 

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Et qu’en pensent les habitants d’Ornacieux ?

Si l’expérience de Magali reste favorable, avec une « émulation très positive de la part des autres membres », les autres habitants du village de 850 personnes ne sont pas tous ravis. Le maire de l’époque ne les a, d’après Marie-Christine, « ni soutenus, ni embêtés », mais le voisinage qu’elle connaît très bien –  pour y avoir vécu pendant plus de vingt ans – les regardaient « un peu de travers. » « Au départ, ils se demandaient si nous étions une secte… », résume-t-elle. Les quelques randonneurs qui passent s’arrêtent, regardent par curiosité, « et on répond volontiers à leurs questions. » La membre fondatrice conclut en précisant : « Nous n’avons jamais cherché à entretenir un mystère sur notre façon de vivre. »

Pour partager leur expérience avec le plus grand nombre, les habitants organisent également des portes ouvertes depuis quelques années. Certaines personnes intéressées par ce type de projet viennent s’inspirer du lieu et poser des questions. « On reçoit très volontiers ces personnes, dit fièrement Marie-Christine. On les aide sur des questions juridiques et sur l’organisation quotidienne de la vie en communauté ». ♦