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Jeûner, régime extrême ou thérapie ?

Par Paul Molga, le 2 janvier 2023

Journaliste

Bienfaisant ou dangereux ? Le jeûne fait débat © Marcelle

Au lendemain de ces temps festifs de bombance, le sujet du jeûne est d’actualité ! L’abstinence alimentaire fait de plus en plus d’adeptes chez les Français. Au-delà de la perte de poids, la pratique du jeûne offre des bénéfices santé que la science tente de prouver. J’ai testé.

 

Je m’attaque à l’Himalaya du jeûne. Carême pour les catholiques, Ramadan pour les musulmans, Ekadashi pour l’Hindouisme… De nos jours, leurs adeptes y dédient généralement quelques jours. J’ai décidé de lui consacrer son éthique originelle : se passer de nourritures terrestres au moins une semaine, peut-être plus. La période s’y prête : dans toutes ces croyances, les intersaisons figurent comme des moments de repli et de recomposition de soi. L’occasion de refaire le lien avec sa naturalité, de reprendre le contrôle de son corps dans une société qui dicte ses lois consuméristes et ses dictats de sucre et de graisse. Ça ne va pas être facile.

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Paul Molga © DR

À force de confinements, de mauvaises habitudes se sont emparées de mon quotidien : moins de sport, des compensations gourmandes pour se réconforter. La « sweet-food » m’a enveloppé et j’ai pris du poids, comme pour me revêtir d’une enveloppe douce et rassurante. Et pourtant, maintenant, ces protections m’oppressent, comme des douves devenues inutiles en temps de paix.

Un régime aurait peut-être pu faire l’affaire. Mais il impose une discipline marathonienne que je ne me sens pas prêt à respecter au long cours. J’opte donc pour la radicalité de la privation. C’est une montagne à gravir qui concentre toutes les épreuves de l’effort : un objectif, une trace, un sommet et, pendant ce chemin, une somme d’interrogations et d’angoisses. Je sais déjà qu’il va falloir me battre et puiser dans mon estomac trop plein, les sources d’un courage inconnu.

 

La science en embuscade

Jeûner, régime extrême ou thérapie ?
Le jeûne s’accompagne d’une perte de poids, d’une réduction de la pression artérielle, des taux de cholestérol et des lipides sanguins © Pixabay

Mes lectures scientifiques vont m’aider. Car le sujet a pris un nouveau tour avec la publication de la plus grande étude jamais réalisée sur le sujet. La docteur Françoise Wilhelmi jouit d’une longue réputation en la matière, au bord du lac de Constance. Avec son équipe de la clinique Buchinger, elle a observé 1422 sujets ayant suivi ce programme d’abstinence sur des périodes comprises entre 5 et 20 jours. Relayés en ligne par la revue Plos One, les résultats (lire bonus) ont montré une nette amélioration du métabolisme : pour tous les patients, la perte de poids s’est accompagnée d’une réduction de la pression artérielle, mais aussi des taux de cholestérol et de lipides sanguins.

Surtout, le jeûne a amélioré le sentiment de mieux être chez 84% des sujets souffrant d’une maladie grave. Qu’il s’agisse de diabète de type 2, d’arthrite ou de la stéatose hépatique, caractérisée par des excès de graisse dans le foie. « Le jeûne a conduit à une amélioration du bien-être émotionnel et physique et à une amélioration des facteurs de risque cardiovasculaires et généraux pertinents », résume l’auteure.

 

 

Effets sur le métabolisme

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L’occasion de refaire le lien avec sa naturalité, de reprendre le contrôle de son corps © Pixabay

Une autre étude publiée dans Nature par le biologiste Takayuki Teruya, de l’Institut des sciences et technologies d’Okinawa, est venue enrichir cette observation. Elle montre que le jeûne accélère le métabolisme et entraîne la libération de molécules anti-oxydantes. Le travail a été mené sur quatre volontaires qui se sont abstenus de manger entre 34 à 58 heures. Leur analyse sanguine a mis en lumière une augmentation importante de la concentration de certaines molécules, les métabolites, habituellement formés au cours du processus de transformation des nutriments.

Chez le jeûneur le plus tenace, le taux de 44 des 130 métabolites connus s’est ainsi significativement accru (dans des proportions de 1,5 à 60 fois…). Dont un certain nombre parmi eux déclinent généralement avec l’âge. C’est le cas par exemple de la leucine, de l’isoleucine et de l’acide ophtalmique, connus pour maintenir les muscles en bonne santé. « L’anti-oxydation peut être une réponse principale au jeûne et suggère la possibilité d’un effet rajeunissant de cette pratique », allègue le biologiste.

 

Transformations radicales

On sait que le jeûne force le métabolisme. « Du temps des premiers hommes, le jeûne était dicté par les conditions de vie. Homo sapiens a donc développé un processus complexe pour survivre à ces périodes de disette », explique le naturopathe Alain Huot, auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet (Le jeûne / éditions Dangles). Pour s’adapter, le corps met en marche un métabolisme bien rodé qui s’exprime en trois phases. Dans un premier temps, le corps continue comme à son habitude de brûler le glucose qui circule dans le sang. L’autonomie offerte est d’une vingtaine d’heures. Passée cette période, notre corps doit chercher du carburant par d’autres voies. Un mécanisme de néoglucogénèse se met alors à l’œuvre pour créer du sucre en transformant les protéines présentes dans les muscles en acides aminés.

Pendant cette phase transitoire, le corps consomme chaque jour 200 grammes de protéines qui fournissent 120 grammes de glucose pour couvrir les besoins énergétiques du cerveau. Mais cette voie peut rapidement nuire au fonctionnement du muscle cardiaque.

Jeûner, régime extrême ou thérapie ? 2Un troisième mécanisme se met donc en place : la cétose. Ce raffinage corporel est actionné par une hormone particulière, le glucagon, qui active une enzyme, la lipase. Cette dernière est capable de dégrader les triglycérides – forme sous laquelle est stockée la graisse – en glycérol et en trois chaînes d’acides gras transformés en cétone. Après quatre jours de jeûne, environ 75% de l’énergie consommée par le cerveau provient de ce supercarburant qui aiguise la vigilance et les capacités cognitives. Et plonge parfois les jeûneurs dans un état quasi mystique. Cette modification métabolique entraîne d’autres effets en cascade. Ainsi, le taux d’insuline baisse, permettant de débarrasser les reins des excès de sel et d’eau, l’adrénaline augmente pour doper le système et l’hormone de croissance double quasiment après cinq jours de jeûne.

 

 

Une communauté méfiante

Ces bénéfices ne parviennent pas à convaincre les détracteurs de la pratique. Dans un communiqué, l’Association française des diététiciens nutritionnistes dénonçait récemment « l’intox de la détox ». Elle mettait ainsi en garde contre les dangers et l’inutilité de la restriction alimentaire. « Il faut revenir au bon sens. Le jeûne est dangereux pour l’organisme qui a besoin de toute l’énergie et des nutriments fournis par l’alimentation », explique sa commission scientifique. Déficit du système immunitaire, déficience en vitamines et nutriments, problèmes hépatiques… Dans son évaluation de l’efficacité de la pratique du jeûne, qui passe en revue la littérature médicale scientifique sur le sujet, l’INSERM ne dit pas autre chose. « Les études cliniques sur l’homme sont trop peu nombreuses et de faible qualité pour conclure », estimait alors sa principale rapporteuse, Juliette Gueguen.

Cette prudence a été adoptée par l’Institut national du cancer confronté à des allégations rapportées par une étude scientifique américaine du professeur Valter Longo sur les bénéfices supposés du jeûne en complément d’un traitement de chimiothérapie. Un article publié dans la revue BMC Cancer faisait le point des travaux en reconnaissant « une intuition prometteuse ». L’institut maintient aujourd’hui ses conseils de prudence.

 

Comme un lendemain de fête, j’endure mes excès

Pour ma part, je suis parvenu au sommet en 15 jours. Les 48 premières heures sont réputées les plus difficiles. J’en sens passer l’âpreté : j’ai faim, mal à la tête, des nausées, je dors mal, je me réveille fatigué, l’esprit embrumé. Une sensation de sevrage. « Rien de grave : simple crise d’acidose », me rassure un ami nutritionniste. Mon corps bascule en mode cétose. Privé de glucose, il puise désormais son énergie dans les réserves de graisse. Mon foie assure la transformation. Il est à l’agonie… Comme un lendemain de fête, j’endure mes excès.

Il me faut patienter encore trois jours pour rentrer dans la routine de la privation. Chaque heure qui passe est moins douloureuse. Je sens mon corps s’apaiser. Je gagne en lucidité. « Les corps cétoniques ont des propriétés anorexigènes et psychostimulantes », continue de me tranquilliser mon nutritionniste. Non seulement je n’ai plus faim, mais la fatigue a disparu. Mieux : je me sens euphorique, plein de vie. Le cocktail hormonal de dopamine, de sérotonine et d’adrénaline joue à plein. J’y ajoute des tisanes détox pour amplifier l’effet dépuratif du jeûne, et surveille ma tension. Elle s’améliorer jour après jour. Deux semaines ont passé. Déjà. Si je poursuis, mon corps risque de me faire payer la note en allant puiser de nouvelles réserves dans les muscles. Mon expérience s’arrête là. Verdict de la balance : – 8kg. ♦

 

Bonus
  • Les différents types de jeûne.

Jeûne intermittent. Il consiste à cesser de s’alimenter peu de temps de façon discontinu. Par exemple 16 heures entre deux repas, ou un jour de jeûne par semaine. Les adeptes parlent d’une hygiène de vie qui laisse le temps à l’organisme de se régénérer.

Jeûne court. On se prive de nourriture entre un et trois jours. Popularisé par les travaux du gérontologue Valter Longo, il aurait pour effet d’accélérer le renouvellement cellulaire et de booster l’immunité.

Jeûne classique. Il dure de 7 à 14 jours, idéalement une fois par an pendant les intersaisons. Les études scientifiques soulignent que les meilleurs résultats métaboliques sont obtenus au bout de 10 jours.

Jeûne long. Certains poussent l’abstinence au-delà de deux semaines. L’intérêt est principalement pondéral. Le record du monde officiellement enregistré est détenu par un Écossais qui a jeûné 382 jours et perdu 125 kilos !

♦ Lire aussi : La somme des vertus d’une alimentation saine 
  • Jeûner, régime extrême ou thérapie ? 4L’étude « Buchinger Wilhelmi ».

Développé à partir du jeûne thérapeutique Buchinger traditionnel, le Programme de jeûne Buchinger Wilhelmi comprend la prise quotidienne de jus de fruit et de soupes biologiques. Ce qui représente entre 200 et 250 calories par jour. Il s’accompagne d’une activité physique dans un environnement propice au calme et à la pleine conscience.

Les résultats ont démontré que le jeûne :

Mobilise l’énergie stockée dans les tissus adipeux du corps humain. Le métabolisme passe de la consommation de glucose à celle des graisses et des cétones, induisant par-là quantité d’effets bénéfiques.

Entraîne une perte de poids significative, réduit le tour de taille et fait baisser les taux de cholestérol et de lipides sanguins.

Normalise la tension artérielle des jeûneurs et améliore les paramètres du diabète et de nombreux facteurs contribuant à la santé cardiovasculaire.

Améliore aussi 84 % des cas de maladies graves, telles que l’arthrite, le diabète de type 2. Ainsi que la stéatose et l’hypercholestérolémie, l’hypertension artérielle et la fatigue.

93 % des sujets n’ont pas eu faim pendant le jeûne, ce qui a contribué à leur bien-être émotionnel et physique.

Le jeûne avec suivi médical a montré peu d’effets secondaires indésirables. Au demeurant, ces derniers ont pu être traités facilement et sans interruption du jeûne. Dans des cas isolés, un sommeil agité, des maux de tête, de la fatigue ou des douleurs lombaires sont survenus, surtout au cours des trois premiers jours.