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La grande percée des start-up à impact

Par Paul Molga, le 15 septembre 2023

Journaliste

Plus de 55% des start-up à impact agissent au profit de l'environnement, dans les secteurs de l'énergie, de l'agriculture et de l'alimentation, de la mobilité́, de la biodiversité́, du climat ou encore de la dépollution © Shridhar Gupta Unsplash

La nouvelle génération d’entrepreneurs veut mettre plus de vert aux côtés du tigre qui se trouve déjà dans leur moteur. Leurs projets veulent accélérer la transition vers un monde plus désirable. Ils entraînent avec eux de plus en plus d’investisseurs. Explications et illustrations avec la Région Sud.

 

Changement de cap pour l’investissement à risque dans les start-up tricolores. « L’euphorie post-Covid est passée. Les fonds disposent encore de nombreuses liquidités pour financer l’innovation. Mais ils se concentrent désormais sur des propositions de valeur plus proches de la réalité du marché dans des projets porteurs de sens », constate Maya Noël, directrice générale de France Digitale, de passage à Marseille l’hiver dernier.

En Région Sud, où la Métropole Aix-Marseille-Provence a été promue Capitale européenne de l’innovation (après Paris en 2017) en 2022, plus de 70 start-up ont ainsi levé l’an passé 157 millions d’euros pour des projets à impact. La Commission européenne s’est fondée sur des critères structurants pour délivrer ce titre auquel concourrait également Espoo en Finlande et Valence en Espagne : servir de banc d’essai pour des pratiques innovantes, accélérer les PME très innovantes, favoriser les synergies entrepreneuriales, ou encore créer des modèles de ville durable. « Ce prix récompense notre écosystème d’innovation », avait alors réagi Martine Vassal, présidente de la métropole.

 

Test grandeur nature


L’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée est un de ces acteurs qui encourage par exemple les innovations urbaines apportant des réponses adaptées aux changements climatiques. La dernière édition de son concours Med’innovant, créé en 2010, a ainsi récompensé cinq start-up parmi une soixantaine. Toutes porteuses de solutions expérimentales disruptives pour bâtir la ville de demain. « Elles innovent pour le futur de la qualité de vie », résume la présidente de l’établissement, Laure-Agnès Caradec. Chacune avait à répondre à un défi thématique en lien avec les enjeux de mutation de la ville.

Avec ses revêtements réflectifs de toiture permettant de renvoyer 90% du rayonnement solaire pour réduire la température dans les bâtiments et la consommation électrique de climatisation, la start-up Cool Roof (Finistère) créée en 2015 a ainsi remporté le défi « créer les conditions d’une meilleure maîtrise des charges ».

Plus récemment, Gwilen (Finistère) est parvenu à transformer des sédiments marins en matériaux durables pour l’industrie de la construction et le design et a remporté le défi « développer des dispositifs permettant de favoriser l’économie circulaire dans l’aménagement ». Comme les autres lauréats, elle pourra tester sa solution sur un des projets de l’EcoCité (bonus). Elle bénéficiera d’un accompagnement personnalisé et de mises en relations ciblées avec l’écosystème d’incubateurs, de pôles de compétitivités et de grands groupes partenaires. Un tremplin dont ont déjà profité 45 porteurs de projets.

La grande percée des start-up à impact
À Marseille, Euroméditerranée encourage l’innovation urbaine. Ici le nouveau quartier Les Fabriques ©Euroméditerranée

 

Croissance du nombre de labellisés B Corp

L’écosystème des start-up à impact est en pleine effervescence en France. D’après une étude de France Digitale en partenariat avec Bpifrance, le nombre de ces jeunes pousses labellisées B-Corp (bonus) a augmenté de 28% l’an passé. Elles ont levé deux fois plus de fonds qu’en 2021, soit 8,3 milliards d’euros au total. Sur quelque 20 000 jeunes entreprises innovantes recensées dans le pays, plus d’un millier alloue plus de trois quarts de leur chiffre d’affaires à une mission d’utilité sociale ou environnementale. Et ainsi, répond directement à un des 17 objectifs de développement durable ambitionné par l’ONU à échéance 2030 (éducation de qualité, égalité entre les sexes, énergie propre…).

Plus de 55% des start-up à impact agissent au profit de l’environnement, dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture et de l’alimentation, de la mobilité́, de la biodiversité́, du climat ou encore de la dépollution, précise le document. Mieux : comme 2600 entreprises dans le monde, 26% sont labellisées B Corp pour leur impact sociétal et environnemental positif.

 

 

Bilan carbone, action sociale ou vision environnementale pour critères

« L’innovation tient un rôle majeur dans les transitions », veut croire Maya Noël. Les fonds d’investissement suivent naturellement cette tendance. Il en est ainsi de Région Sud Investissement, le bras armé de la Région Sud pour l’innovation. Poussée par le plan régional « Une Cop d’Avance » qui vise la neutralité carbone en 2050, elle s’apprête à resserrer sa grille d’intervention autour des seules start-up à impact.

Dès janvier, son comité d’investissement devra donc statuer selon des critères engageants intégrant par exemple le bilan carbone, l’action sociale ou la vision environnementale. « Aujourd’hui, un tiers de notre portefeuille est dans ce cas, par choix. Demain, ces critères seront éliminatoires », prévient le directeur général du fonds, Pierre Joubert.

 

Ciblage territorial

Ce changement de cap pourrait localement donner le « La » au secteur. Car Région Sud Investissement est l’une des sociétés de gestion parmi les plus actives du territoire. Ces dix dernières années, elle a investi 172 millions d’euros dans 136 entreprises avec des tickets de 200 000 à 2 millions d’euros. Sa force de frappe tient à la mobilisation des fonds européens du Feder : le précédent exercice, clos en mars et investi entre 2017 et 2022, totalisait 52 millions d’euros. Le montant du prochain n’est pas encore arrêté. Un fonds « tampon » de 10 millions d’euros fera la couture.

La Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur dispose d’un autre outil pour financer l’innovation au service de la décarbonation. Baptisé Terra Nea, ce fonds a été imaginé il y a trois ans dans le cadre de son plan Climat. Son gestionnaire, Andera Partners (3,6 milliards d’euros de gestion d’actifs), dispose d’une enveloppe d’investissement destinée au financement de projets d’infrastructure liés à la transition énergétique. La région y abonde à hauteur de 17 millions d’euros qui sont complétés par des investissements privés locaux, nationaux et européens avec un objectif de lever au moins 40 millions d’euros, et jusqu’à 100 dans la meilleure hypothèse. « Avec ce Fonds, nous apportons une réponse concrète au développement des infrastructures écoresponsables du territoire », apprécie Renaud Muselier, président de la région.

 

Fonds à impact

Terra Nea prévoit d’investir en trois ans dans une douzaine de projets avec des tickets de 1 à 5 millions d’euros sous forme d’obligations convertibles ou de parts minoritaires. Aucune start-up dans son périmètre : « Nous ciblons en priorité des actifs offrant une visibilité à long terme dans des filières stratégiques comme la production d’énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la mobilité et la décarbonation de l’industrie », expliquent Prune des Roches et Guy Auger, deux des associés d’Andera Infra, la société de gestion d’Andera Partners spécialisée dans la transition écologique, qui supervisent ce fonds. Des projets ont déjà été identifiés, par exemple pour verdir l’Aéroport Marseille-Provence, déployer des réseaux de bornes de recharge électrique sur le territoire ou des installations massives de production d’hydrogène sur le port de Fos.

 

L’obligation de rendre des comptes

Terra Nea est un fonds à impact. Il devra donc rendre des comptes, audités par une société indépendante (BL Évolution), sur la quantité de CO2 évitée pour chaque projet, leurs effets positifs en matière de sauvegarde ou de réintroduction de la biodiversité. Ce à quoi s’ajoute une série d’indicateurs sur mesure comme la réduction du bruit et de la consommation d’eau. Des performances atteintes dépendra la rémunération d’Andera Partners, dont le comité d’investissement sera libre de ses choix. La région se contentant d’une place au comité consultatif, une première en France.

« C’est un mouvement de fonds qui est en marche », explique Prune des Roches. France Invest, l’association professionnelle des investisseurs en capital, a commencé à travailler sur le sujet dès 2012. Et a défini trois axes de définition pour les fonds à impact : la volonté de l’investisseur d’agir, d’aider l’entreprise à accroître son impact positif et de s’aligner à ses intérêts. Sa rémunération doit également être contrainte par l’impact.

Huit sociétés de gestion répondaient à cette définition en 2012, pour 200 millions d’euros d’encours. En 2021, elles étaient 46 pour 4 milliards d’euros.

 

Bonus
  • Ecocité Euroméditerranée. La ville durable méditerranéenne de demain est un modèle qui prend en considération les spécificités géographiques, climatologiques et culturelles en Méditerranée. Elle tient de l’Histoire de la cité, du singularisme de ses habitants ainsi que des innovations qui dessinent le futur. Elle est durable, connectée et intelligente.

L’Etablissement Public d’Aménagement Euroméditerranée souhaite faire de la Métropole Aix-Marseille Provence le fer de lance d’un idéal applicable aux métropoles et villes du Sud de l’Europe et du bassin méditerranéen. Plusieurs projets y sont expérimentés.

 

  • Le label B Corp. Le Label B-Corp (pour Benefit Corporation), lancé en 2006 aux États-unis, certifie des entreprises avec un impact sociétal et environnemental positif. À l’heure actuelle, plus de 2 600 entreprises sont certifiées dans plus de 60 pays et 150 secteurs différents.

La certification est octroyée par l’ONG indépendante B-Lab, est accordé à des entreprises qui se fixent des objectifs extra financiers sociaux ou environnementaux. Et qui répondent à des critères exigeants en matière de responsabilité et de transparence. Les entreprises labellisées sont de toutes tailles et tous secteurs. De grandes compagnies telles que Patagonia, Ben & Jerry’s, Natura sont labellisées.

 

Lire aussi : Les entreprises ont le devoir de réduire leur impact carbone

 

  • Repères

1074 : le nombre de start-up à impact en 2022, à comparer aux quelques 20.000 start-up recensées en France. Elles étaient 840 en 2021.

28 571 : le nombre de personnes, en équivalent temps plein, employées par les jeunes pousses à impact.

70 : le nombre de start-up créées en Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2021. Elles ont levé 157 millions d’euros.

32 : le pourcentage de start-up à impact qui n’ont jamais levé de fonds. 41% ont levé moins de 2,5 millions d’euros et seulement 1% a levé plus de 100 millions.

55 : le pourcentage de jeunes pousses à impact qui opèrent dans un secteur lié à l’environnement. Énergie (24%), agriculture et alimentation (23%), mobilité (20%), ville durable (14%), biodiversité et climat (10%). Le reste s’intéresse à l’économie circulaire, sociale et solidaire, l’éducation, la culture et l’inclusion.