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L’art rend visible l’invisible, notamment le dérèglement climatique

Par Philippe Lesaffre, le 19 décembre 2023

Journaliste

Une oeuvre de Julian Charriere présente à Dubaï ©DR
À chaque COP depuis celle de Paris en 2015, l’association Art of Change 21 organise des événements pour montrer le rôle des artistes dans les transitions à mener. Nous avons échangé avec Stefano Vendramin, le directeur des programmes de l’association, peu de temps après son retour de Dubaï.

Stefano Vendramin en est convaincu, « les artistes ont un rôle à jouer » pour transformer les mentalités au sein de la société. « Ce n’est pas encore évident pour tout le monde, dit-il avec le sourire, mais les choses avancent tout de même progressivement. » Stefano a pu le constater à Dubaï au cours de la COP 28 à laquelle il a assisté en tant que directeur des programmes de l’association Art of Change 21 qui, depuis 2014, vise à soutenir les artistes en lien avec les thématiques climatiques et de biodiversité (1). Ceux qui, au travers de leur œuvre, souhaitent « avoir un impact en dehors des galeries et toucher le grand public ».

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© Julian Charriere

« Transition culturelle »

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Stefano Vendramin, directeur des programmes de Art of change 21 ©DR

Art of change 21 fait passer le message à chaque COP depuis celle de Paris, en 2015.  L’idée est de démontrer que, sans les peintres, les street-artistes, les dessinateurs ou encore les photographes, « on ne peut engager de transition ». Car, poursuit celui qui est par ailleurs commissaire d’exposition indépendant à mi-temps, « la transition écologique est aussi… une transition culturelle ». On cherche à comprendre où il veut en venir.

« On peut avoir des politiques de lutte contre le changement climatique de rêve en matière de diminution des émissions de gaz à effet de serre, par exemple. Or, explique Stefano, si les citoyens ou les organisations n’y croient pas, cela ne va pas fonctionner. Les acteurs doivent être inspirés, convaincus du bien-fondé des actions à mettre en place au niveau des territoires. »

Et c’est là que l’art entre en piste : la culture, pour lui, c’est « une solution » (« contrairement aux technologies qui ne pourront pas nous sauver », glisse-t-il non sans sourire). En tout cas, elle est « un outil tant utile qu’intéressant » pour conduire à une prise de conscience, une mise en mouvement et, ainsi, amener à la bifurcation des uns et des autres. Car il n’est pas toujours aisé, loin de là, de se rendre compte de l’état de la planète, du déclin des populations animales, des effets du changement climatique. Même si ces derniers sont de plus en plus perceptibles au fil des saisons.

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© Julian Charriere

« Expérience immersive »

« Tout de même, ce qui se déroule, précise Stefano, est souvent assez lointain, abstrait, peu tangible. Finalement, l’art permet de rendre visible l’invisible. » Typiquement, le fort réchauffement des régions polaires, loin du regard, loin du cœur des citoyens, Art of Change 21 a voulu le mettre en lumière à travers « une expérience immersive » en pleine COP28. Non dans l’enceinte dans laquelle se sont déroulées les négociations des représentants des pays du monde entier, mais à quelques kilomètres, dans la cité des Émirats arabes unis.

Au programme pendant quelques jours, de jolies images de glaciers et de l’Arctique, et en somme une invitation au voyage… via le travail de l’artiste franco-suisse Julian Charrière (« Melting point ») exposé au cœur d’Alserkal Avenue, une ancienne zone industrielle à Dubaï aujourd’hui entièrement dédiée à l’art (2).

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© Julian Charriere

L’art pour réfléchir

L« On est souvent la tête dans le guidon, on est dans notre routine du quotidien loin de ce qui passe sur le globe. Alors, dit-il, la culture peut nous pousser à nous interroger. Elle nous invite de manière générale à réfléchir, et peut-être que ça nous touchera et nous donnera envie d’agir », veut croire le directeur des programmes d’Art of Change 21.

Depuis huit ans, l’organisation lancée par Alice Audouin, présente également à Dubaï, a justement lancé « Maskbook », un projet tant artistique que participatif afin de sensibiliser sur « des sujets pas toujours mis sur le devant de la scène, ou bien oubliés des agendas politiques », dixit Stefano. Lui veut parler par exemple de la pollution de l’air ou plastique. C’est la photographe chinoise Wen Fang qui a imaginé le nom du programme, tel que le rapporte Stefano : « En Chine, avait-elle souligné en 2014, comme nous portons tous des masques anti-pollution, Facebook devrait s’appeler… Maskbook. »

Concrètement, des artistes de toutes les nationalités ont eu l’opportunité d’inviter, tout au long de ces années, plusieurs milliers de personnes issues de la société civile, des activistes, des membres de peuples indigènes ou des politiques, à créer lors d’ateliers un masque original, immortalisé par une photo et auquel son créateur ou sa créatrice ont attribué un message engagé et politique. On a vu par exemple le cliché de la haut-fonctionnaire et diplomate française Laurence Tubiana ou celui de la maire de Paris Anne Hidalgo. De manière générale, de nombreuses femmes et hommes qui se sont prêtés au jeu du masque ont pu être exposés. En particulier l’an dernier en Égypte, à la COP27.

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Dans la série Maskbook, la haut-fonctionnaire et diplomate française Laurence Tubiana ©DR

 

Rendre les gens plus optimistes

 Art of Change 21, lors de chaque COP, en profite pour collaborer avec des acteurs et des artistes locaux. On l’a vu à Dubaï, mais aussi au Caire. Au cours de cette conférence, la Fondation Greenish (qui met en place des actions d’éducation et de sensibilisation au niveau national) ou le haut lieu de la photographie, Photopia, ont été mis à contribution. Stefano admet qu’il n’est pas toujours facile d’y parvenir, vu que les COP se déroulent dans un pays différent à chaque fois. Mais, d’après lui, organiser des événements artistiques au plus près des négociations, au plus près des représentants des pays du monde entier, demeure très utile.

« Au-delà des expositions, indique-t-il, la culture mobilise et elle a ce pouvoir… de rendre les gens peut-être plus optimistes, via des pratiques collaboratives », analyse-t-il. Pas mal, alors que beaucoup se sentent démunis, impuissants face au dérèglement climatique, lié aux actions anthropiques. L’écoanxiété progresse dans le monde, c’est indéniable, oui mais voilà, l’art… (re)donne des forces pour s’engager. ♦

(1)Au-delà d’un soutien parfois financier, Art of Change 21 vise aussi à accompagner les artistes pour qu’ils puissent adopter notamment des pratiques toujours plus écoresponsables.

(2)Art of Change 21 est à l’origine de cette exposition, en collaboration avec l’entreprise culturelle Alserkal Initiatives

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