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L’IA fait-elle de chacun de nous un artiste en puissance ?

Par Olivier Martocq, le 28 septembre 2023

Journaliste

Le roman graphique créé par Stéphan Muntaner aborde la pollution causée par le plastique et son impact sur les flux migratoires au moyen de l'IA ©SM

L’évolution technologique en cours est une mise en abîme pour les artistes. Depuis des millénaires, ils ont appris à maîtriser la technique avant de se lancer. Or aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle tout un chacun est techniquement capable d’éditer une photo, un dessin, une peinture et même, couplé à une imprimante 3D, de façonner une sculpture au rendu impeccable. Toutes ces créations au design parfait doivent-elles pour autant être considérées comme des œuvres d’art ? À l’inverse, les musées et galeries doivent-ils se fermer à des productions issues de l’IA ? Tentative d’approche avec les derniers travaux de Stéphan Muntaner.

 

L’IA fait-elle de chacun de nous un artiste en puissance ? Vaste question comme dirait l’autre ! Et donc début de réflexion à partir de l’expérience d’un ami de Marcelle. Graphiste, designer, illustrateur, photographe et plasticien Stéphan Muntaner (le logo de Marcelle, c’est lui, tout comme nos campagnes visuelles) affiche un long parcours en termes de création d’images, débuté en 1990.

 

Où la créativité commence-t-elle ?

« Une époque où Mac, qui a révolutionné toute la chaîne graphique de l’imprimerie, arrivait à peine sur le marché. Où internet commençait tout juste à étendre sa toile », rappelle le concepteur du logo et des couvertures des albums historiques du groupe IAM, « dessinés à la main avec un feutre ».

Suivra quantité de commandes publiques pour la création d’identités visuelles ou des campagnes de communication. Pour Philippe Decouflé, Angelin Preljocaj, le Centre chorégraphique national du Havre Normandie, Les Machines de l’île à Nantes, Lieux Publics et LE ZEF à Marseille, Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture et sa suite MP2018 « Quel Amour ! ». Ou encore, depuis 2021, Calais, la plage. Cette liste non exhaustive permet de dessiner le spectre de cet artiste éclectique. Il a d’ailleurs également produit des toiles de grand format, « parce que des détracteurs, notamment sur la campagne MP2018, m’accusaient de tout faire par ordinateur et d’être incapable de réaliser des œuvres classiques ». Un débat relancé avec l’apparition et le développement de l’Intelligence Artificielle, désormais à la portée de tous via le « machine learning ».

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Crash 100% IA © Stéphan Muntaner

 

Un outil de plus au service de l’artiste

Stéphan Muntaner a découvert l’IA à des fins de création visuelle, en février 2022, au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. « Si le machine learning peut anéantir les humains en quelques secondes lors d’un conflit planétaire, il est également le vecteur d’une puissance créative sans précédent dans l’histoire de l’art. Je me suis immergé dans cette nouvelle technologie ». Il en est devenu un expert et s’en sert désormais pour concevoir toute une série d’œuvres sur de multiples supports. Ces dernières ont donné lieu à une exposition à l’ArtCan Gallery.

Exposition terminée, ce qui évite à l’auteur de cet article de balayer le soupçon de connivence et de promotion de cet évènement. Désormais ouvert, le champ des possibles est impressionnant, car la capacité de production se trouve surmultipliée. En quelques mois, l’artiste a ainsi créé un roman graphique qui aborde la pollution causée par le plastique et son impact sur les flux migratoires. Ainsi que des photos, un film, des assiettes en céramique sérigraphiées grâce aux derniers procédés d’encre thermique, des images projetées dans le vide en réalité augmentée…

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Roman graphique © Stéphan Muntaner

 

L’IA n’invente pas 

L’IA n’invente pas, elle compulse des bases de données comportant des milliards d’informations. Ce qui pour Stéphan Muntaner révèle l’artiste, c’est le message qu’il entend faire passer. La machine fabrique, l’humain conçoit. « Dans mon travail actuel, par le biais de l’IA je propose une narration qui croise les dérèglements climatiques et les drames humains avec, comme fil conducteur, la pollution due aux plastiques.

Si l’on devait choisir une seule image représentative de ce projet, ce serait sans aucun doute Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault. En son temps, cette œuvre relatait autant un fait divers d’actualité qu’une critique acerbe et symbolique (le naufrage) du pouvoir en place. C’était également une dénonciation de l’esclavage et de la traite négrière, le tableau incluant en effet trois hommes noirs, dont le personnage central, en agitant sa chemise, porte l’espoir d’un sauvetage. Selon Bruno Chenique et Sylvie Lecoq-Ramond, il s’agit du premier héros de la peinture occidentale sans nom et vu de dos… ce qui nous renvoie à l’anonymat des 28 000 migrants qui ont perdu la vie depuis dix ans en traversant la mer Méditerranée ».

 

 

Art, artistes : un débat sans fin !

La création via les outils de l’intelligence artificielle renvoie finalement à la question philosophique : Qu’est-ce que l’art ? Question tranchée en 1917 par Marcel Duchamp et sa fontaine, en réalité une banale pissotière, lors du premier salon de la société des artistes indépendants de New York.

L’art conceptuel marque un tournant. C’est la pensée du concepteur qui fait l’œuvre. Peu importent sa nature, son processus de fabrication ou son auteur. Seuls comptent le geste et l’idée de l’artiste. Dans le domaine de la photographie, la révolution numérique apportée par les smartphones a bouleversé l’écosystème depuis une vingtaine d’années. Sans pour autant « tuer » la profession. En témoignent les rencontres de la photographie à Arles. Ce n’est plus la technique ou le rendu de l’image qui révèlent le professionnel, mais la pertinence de son narratif.

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Roman graphique © Stéphan Muntaner

 

Quelle place dans les musées ?

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Unsupervised ©DR

Reste la question de savoir si des œuvres créées par IA entreront dans les musées. Et le cas échéant, quand ? « Le marché de l’art n’est pas encore réactif, pour l’instant tout le monde renifle » constate Stéphan Muntaner. Il souligne néanmoins l’avant-gardisme du centre Pompidou Metz qui a reçu l’installation Machine Hallucinations de Refik Anadol dès 2022, avant qu’elle ne parte pour le MoMA à New York (lire bonus).

À Marseille, Pierre-Olivier Costa le président du Mucem, qui fête cette année ses dix ans, ne ferme pas la porte : « Il va falloir que je me penche sérieusement sur une question que pour l’instant j’ai du mal à appréhender ! » ♦

 

* Le La Villa Médicis de Cassis accompagne la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus
  • Débat

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  • Déjà. Refik Anadol travaille avec l’intelligence artificielle pour créer des « hallucinations mécaniques », sujet de sa première exposition au MoMA (terminée au printemps 2023.

Nous savons que les machines peuvent apprendre, mais peuvent-elles rêver ? Et les hallucinations ? Et à quoi cela ressemblerait-il ? Baptisé Unsupervised (Sans surveillance – NDLR), le travail de l’artiste turco-américain livre des réponses concoctées avec l’IA.

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