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Le monde polaire, elle en a rêvé et elle le protège

Par Patricia Guipponi, le 17 janvier 2024

Journaliste

Lors d’une expédition aux Kerguelen, l'un des cinq districts des Terres australes et antarctiques françaises. Photo : W. Boffy
Laetitia Thérond est passionnée par l’Antarctique et l’Arctique depuis toute petite. Aujourd’hui, elle travaille au sein de l’Espace des Mondes Polaires, dans le Jura. C’est l’unique musée tricolore qui témoigne des grandes expéditions et permet de mieux comprendre ces territoires en péril.
[Dans le cadre de l’éducation aux médias, avec le soutien de la Région Sud, une version radio pour les lycéens]
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Trente degrés séparent Prémanon, dans le Jura, de Saint-Denis à La Réunion. Moufles et bonnets sont de rigueur dans cette cité enneigée frontalière de la Suisse, tandis que le bikini est la tenue adoptée par les plagistes de l’île de l’océan Indien. Un autre climat. Un autre monde. Laetitia Thérond ne le sait que trop. La trentenaire, Cévenole d’origine, vient de quitter cinq ans de soleil pour rejoindre, le 4 décembre 2023, la métropole et ses nouvelles fonctions, accueillie par les flocons.

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Laetitia Thérond est depuis le 4 décembre 2023 la responsable scientifique et culturelle de l’Espace des mondes polaires © DR

Et pourtant, ce n’est ni le blanc manteau de l’hiver, ni le froid qui l’impressionnent. Ce temps-là, Laetitia le connaît sur le bout des doigts, elle qui a arpenté à de nombreuses reprises les Terres australes et antarctiques françaises, dont la charge du patrimoine historique lui incombait.

À présent, elle occupe les fonctions de responsable scientifique et culturelle du musée de l’Espace des Mondes Polaires – Paul-Émile Victor, à Prémanon. Le seul de ce type en France. C’est une continuité de ses précédentes activités, bien qu’elle ne soit plus amenée à faire du terrain du côté des manchots et des glaciers. Du moins pour les besoins de son nouveau poste.

Des expéditions de Paul-Émile Victor à Jean-Louis Étienne

L’étourdissement et l’éblouissement restent entiers pour la muséologue. Ses pieds ne foulent plus les régions les plus froides de la planète, mais, entre les vastes murs d’un blanc immaculé de l’Espace des mondes polaires, tout la ramène là-bas. Les collections, la patinoire, le jardin polaire renvoient forcément et intentionnellement, à qui les visite, aux paysages de banquise.

Il y a d’abord les témoignages des grandes expéditions. Des photos, des vidéos, des reproductions, des objets d’origine… sont exposés. Le traîneau de l’explorateur Paul-Émile Victor, qui servit pour sa première traversée du Groenland en 1936, en fait partie. Ainsi que des équipements ayant appartenu à Jean-Louis Etienne, quand il atteignit le pôle Nord en solitaire, en 1986.

Sans compter tout ce qui relate, la même année, la moins notoire expédition entièrement féminine de Madeleine Griselin et de scientifiques canadiennes et françaises. Elles sont parties à pied et à traîneaux pour poser des balises et étudier la dérive des glaces. « Tous ces trésors sont des Joconde pour moi et pour tous les passionnés des mondes polaires », souligne Laetitia Thérond.

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Le musée Paul-Emile Victor regorge d’objets ayant appartenus aux grands explorateurs © L. Thérond.

Réfléchir sur nos responsabilités et nos engagements

Ce patrimoine, insolite et important, est aussi primordial pour éveiller les consciences, rappeler que la planète se meurt sous les actions irréfléchies de l’homme, que les changements climatiques sont dramatiques, que certaines situations sont irréversibles, mais que d’autres peuvent être encore renversées. « C’est ce que nous souhaitons : faire réfléchir sans culpabiliser, amener à comprendre les enjeux contemporains », poursuit la responsable scientifique et culturelle du musée de l’Espace des mondes polaires.

En cinq ans d’explorations sur l’archipel des Kerguelen, elle a pu constater les bouleversements. « Il y a beaucoup de zones humides là-bas. D’une année à l’autre, on a vu la sécheresse s’installer ». Sur des photos prises en à peine trente ans d’intervalle, on distingue parfaitement que la calotte glaciaire recule. De récentes études parlent de 600 mètres par jour durant les périodes de réchauffement climatique.

« Ça peut paraître paradoxal de partir en expédition sur ces territoires pour accroître nos connaissances et de polluer l’air avec les vols long-courriers, les bateaux pour s’y rendre », reprend Laetitia Thérond. Sans compter « qu’on prend le risque d’y introduire des espèces hostiles qui se développent mieux que les natives ». C’est un dilemme. Une responsabilité. Des mesures de biosécurité sont mises en place dans les îles subantarctiques pour enrayer ce phénomène. « Il faut tout nettoyer : les affaires, les vêtements, les chaussures… ».

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Sur les terres australes et antarctiques, Laetitia était notamment chargée de recenser les témoignages d’expéditions ©W. Boffy

Le message d’être confiant et de toujours croire en ses rêves

Laetitia a à cœur de partager son amour des mondes polaires avec les plus jeunes, notamment les scolaires qui poussent la porte du musée. « Il faut les sensibiliser mais aussi leur permettre de s’autoriser à rêver ». Elle sait de quoi elle parle. À 8 ans, elle fantasmait ces terres si lointaines qu’elle a fini par embrasser. Le vendredi, elle regardait Thalassa avec son père. « Jean-Louis Étienne, c’est mon héros de toujours. Le jour où je l’ai rencontré, je n’en menais pas large ».

Ses professeurs lui découpaient tout ce qui paraissait dans la presse sur l’Antarctique et l’Arctique. « Je ne parlais que de ça. Je saoulais tout le monde ». Plus tard, une randonnée en kayak au Svalbard, archipel norvégien de l’océan Arctique, confirmera son addiction. « C’était une évidence. Je m’y sentais bien ». Elle décide alors de faire chaque jour une chose pour atteindre son objectif daller aux Pôles nord et sud, et de la consigner dans un carnet.

L’apothéose viendra quand elle quittera tout pour les Terres australes et antarctiques françaises. « Ces mondes sont d’une beauté et d’une pureté saisissantes. Encore aujourd’hui, je n’en reviens pas d’y être allée ». Elle a fait siennes les pensées des explorateurs qui l’ont guidée. Elle aime les dire comme si elles diffusaient force et espoir. D’ailleurs, l’une d’elles est gravée à l’entrée du musée. « Ce n’est pas ce que nous sommes qui nous empêche de réaliser nos rêves. C’est ce que nous croyons que nous ne sommes pas ». C’est de Paul-Émile Victor. Bien entendu. ♦