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Les lycées privés les plus cotés de Marseille s’ouvrent aux milieux défavorisés

Par Olivier Martocq, le 7 avril 2022

Journaliste

En 2024, dans les quartiers nord, le 2e collège de l'École de Provence devrait accueillir 500 enfants © École de Provence

Provence et Lacordaire arrivent en tête du classement des lycées 2022 à Marseille. Établissements privés sous contrat avec l’État, ces deux centenaires sont historiquement liés à des ordres religieux catholiques. Ils affichent chaque année un taux de réussite au bac de 100%. Autre point commun, ils développent des dispositifs spécifiques pour des élèves appartenant à des milieux défavorisés. Un futur collège dans les quartiers nord pour l’un, des bourses au mérite pour l’autre.

 

20% de l’effectif entré à Provence n’ira pas jusqu’au bout 

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La scolarité à Provence peut aller de la maternelle au lycée © École de Provence

Située dans le 8e arrondissement, les quartiers sud de la ville, l’École de Provence fondée par les Jésuites est la référence de la grande bourgeoisie marseillaise. Comme dans tout établissement scolaire qui se respecte, l’élève est au cœur du projet éducatif. Mais ici l’exigence est particulièrement élevée. Tous les élèves de terminale réussissent le bac et 99% décrochent une mention. Les anciens évoquent tous « la culture » – pour ne pas dire « le culte » – du travail.  La compétition aussi. « Provence n’est pas fait pour tout le monde. Certains ont craqué, ça ne les a pas empêchés de faire de belles carrières professionnelles », explique Stéphan Brousse. Cet ancien grand président de l’UPE 13, le patronat marseillais, cite quand même au passage ceux qui en sont sortis. Comme Pierre Belon (Sodexo), Stéphane Bancel (Moderna) ou Rodolphe Saadé (CMA/CGM).

La directrice de l’école, Marie-Pierre Chabartier, fait sienne cette exigence d’excellence. Mais la contextualise : « Notre mission est de prendre l’enfant comme il est, au niveau scolaire qui est le sien. Puis de l’amener le plus haut possible mais pas que dans le domaine scolaire. Nous visons l’excellence de l’humain avant l’excellence des résultats ».

20% de l’effectif entré à Provence n’ira cependant pas jusqu’au bout du parcours. Tout comme les quelques 1500 élèves, les 101 professeurs de l’établissement sont choisis pour leur motivation et leur implication. Les lycéens pour qui le bac n’est qu’une étape, les considèrent comme des « coaches » disponibles, sur qui s’appuyer, notamment pour le travail personnel. « Quand un élève oublie de s’inscrire sur parcours sup – oui cela arrive- il leur arrive d’appeler à 23h ».

 

La notion du bien vivre ensemble

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L’École de Provence.

Le lycée ouvre ses portes le matin à 7h30. Beaucoup d’élèves n’en sortiront qu’à 19h30 après des séances de révisions le plus souvent en groupe. Des espaces modernes, design et particulièrement chaleureux ont été spécifiquement conçus à cette fin. Fini la salle d’étude silencieuse avec le pion sur l’estrade qui surveille. Provence s’inspire des campus anglo-saxons avec des lieux dédiés à la détente comme la cafétéria-salle de jeu où Coca-cola et hamburgers ont droit de cité. Les deux hectares et quelques du site lui permettent également, outre des jardins, d’avoir des terrains de sports et un gymnase in situ.

« Le cadre de vie, c’est important. Les enfants doivent avoir plaisir à se retrouver ici », analyse la directrice, très à cheval sur les règles du bien vivre ensemble. À Provence, on dit bonjour quand on croise un adulte et on laisse le lieu que l’on quitte aussi propre qu’il l’était en arrivant. Le dress code proscrit les marques ostentatoires mais aussi à l’opposé, les shorts et les jeans troués.

 

Les quartiers prioritaires : nouvelle terre de mission

Dans le cadre du vaste projet de rénovation urbaine Euroméditerranée qui depuis 1995 redessine Marseille et tente d’assurer une continuité entre le sud et le nord de la ville, Provence a proposé de prendre en charge la gestion d’un collège. En 2024, il devrait accueillir 500 enfants et sera considéré comme une annexe de l’établissement principal. Une ouverture sur la mixité sociale avec l’objectif d’intégrer ensuite au lycée la quasi-totalité des collégiens qui y seront formés. Avec ce projet, l’école renoue avec sa vocation première liée à la compagnie des Jésuites, un ordre missionnaire. Et Marie-Pierre Chabartier d’évoquer l’association ARPEJ qui depuis deux ans a ouvert des cours de soutien scolaire boulevard national, un quartier particulièrement défavorisé.

 

 

Dans les quartiers nord, le havre Lacordaire 

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Dans le 13e arrondissement de Marseille, l’École Larcordaire s’étend sur plusieurs hectares © École Lacordaire

À Lacordaire, il n’y a pas que la devise latine Juventuti veritas (réussir pour servir) qui rappelle le lien avec l’ordre des Prêcheurs (les Dominicains). L’uniforme (pantalon noir et chemise blanche) porté indistinctement par les filles et les garçons, dans les grandes occasions, reprend les couleurs de la robe des religieux à l’origine de cette école. Le lien historique est prégnant, même si plus aucun moine ne vient donner de cours en dehors de la catéchèse.

L’architecture des bâtiments, posés au milieu d’un terrain arboré de plus de cinq hectares évoque un monastère toscan. Un havre de paix dans ce grand arrondissement des quartiers nord (le 13e) qui abrite des cités difficiles. « Ce cadre exceptionnel participe au bien-être des élèves et des adultes qui les accompagnent. Adultes qui ne sont pas que des enseignants », tient à préciser Pierre-Jean Collomb, directeur de l’école depuis 2009. Car à l’école Lacordaire, qui compte un internat de 170 lycéens, rien n’est sous-traité. Les 120 professeurs représentent la moitié seulement de l’effectif en charge des 1550 élèves répartis entre le CP et la terminale.

 

Un internat très prisé

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L’état-major de Lacordaire © École Lacordaire

Cette école est un lieu d’apprentissage mais surtout un lieu de vie. Ici, les journées sont à rallonge. L’étude étant obligatoire, personne ne quitte l’établissement avant 18 h30. Et de nombreux élèves choisissent de prolonger ce moment propice aux révisions en s’installant dans les salles de l’internat. Ceux qui y logent 6 jours sur 7 ont en effet l’obligation de travailler jusqu’à 20h45.

« On s’y entraide en petits groupes et il n’est pas rare que des professeurs s’attardent. En dehors des soirs de matchs de l’OM, il y a toujours du monde », confie un élève de terminale. Richard Maby qui habite à Avignon et dont la fille a intégré l’internat en seconde loue ses vertus pédagogiques et humaines. « Il y a de très nombreuses activités le soir qui lui ont permis de créer du lien. De se faire des amis. Sa première année à Lacordaire elle était dernière de sa classe avec 7 de moyenne. En terminale, elle atteint 16. Surtout elle est heureuse et bien dans sa peau ».

 

 

Un fonds de dotation pour les élèves défavorisés 

Depuis 2014, Lacordaire s’est doté d’un fonds de dotation pour accompagner les élèves en situation économique précaire. Les donateurs sont d’anciens élèves, des parents d’élèves mais aussi des entreprises. 160 000 euros sont débloqués chaque année : un apport financier pour 80 jeunes (issus de milieux modestes ou dont la famille se confronte à un accident de la vie. Le bénéfice peut même perdurer au-delà du bac, pour les études supérieures. « Nous avons des élèves méritants qui sans cette aide n’auraient pas pu être scolarisés ici. Ou qui, plus tard, n’auraient pu poursuivre leurs études », conclut le directeur. ♦

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Cérémonie de remise des bourses © Lacordaire