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« Les territoires zéro chômeur de longue durée montrent qu’on peut changer l’ordre des choses »

Par Maëva Danton, le 12 septembre 2023

Journaliste

Confiance en soi, lien social, revitalisation des territoires, solidarité ... Au delà de la création d'emplois, les Territoires zéro chômeur de longue durée génèrent de nombreuses externalités positives pour les salariés et les territoires. Mais ces apports ne sont pas vraiment mesurables en termes monétaires. Et donc parfois difficiles à valoriser dans une société où la création de richesses monétaires demeure la principale boussole. @MD

Personne n’est inemployable. Voilà la conviction à l’origine l’expérimentation Zéro chômeur de longue durée. Présent sur 58 territoires, ce dispositif repose sur la création d’entreprises à but d’emploi, où des personnes en situation de chômage de longue durée sont embauchées en CDI à temps choisi et payées au Smic.

Au total, 2500 personnes ont profité du dispositif. Rompant ainsi avec la précarité et l’isolement. Si bien que le dispositif a fait des émules en Europe, non sans ambition. Pourtant, en France, un arrêté vient d’annoncer la baisse des aides de l’État. Laurent Grandguillaume, président de l’association TZCLD et député (PS) à l’origine de la première loi d’expérimentation a accepté d’en discuter avec Marcelle.

 

Marcelle : Laurent Grandguillaume, vous présidez l’association Territoires Zéro chômeur de longue durée et au moment du lancement de l’expérimentation en France, vous étiez député (PS). C’est d’ailleurs vous qui avez porté la loi d’expérimentation, adoptée à l’unanimité. Comment résumez-vous l’esprit de ce dispositif ?
« Les territoires zéro chômeur de longue durée nous montrent qu’on peut changer l’ordre des choses » 1
Laurent Grandguillaume, président bénévole de l’association « Territoires zéro chômeur de longue durée ». @DR

Laurent Grandguillaume : L’ambition des Territoires zéro chômeur de longue durée est d’éradiquer la privation durable d’emploi en construisant des solutions avec toutes les personnes concernées (personnes privées d’emploi, collectivités locales, associations, entreprises…). Ensemble, nous identifions et mettons en place des activités qui n’entrent pas en concurrence avec celles des entreprises déjà installées. Et nous utilisons le coût du chômage [les RSE, ndlr] pour embaucher en CDI des personnes qui mettront en œuvre ces activités.

 

Lancée au départ sur 10 territoires, l’expérimentation a été élargie à 48 territoires grâce à une seconde loi de 2020. Combien de personnes ont pu bénéficier de ce dispositif ? Et quelles sont les causes les plus fréquentes de leur privation durable d’emploi ?

2500 personnes ont été embauchées dans les entreprises à but d’emploi (EBE) depuis le début de l’expérimentation. Il s’agit de personnes dont la période de chômage moyenne est de cinq ans. Parmi les causes de ce chômage, on trouve des problèmes de mobilité, des situations de handicap – 25 % des salariés sont concernés-, des difficultés à faire garder ses enfants… Il s’agit généralement d’une accumulation de soucis (santé, surendettement, logement). Parfois, c’est également la question du temps de travail qui bloque. Ce peut être le cas pour des familles monoparentales isolées, qui ont du mal à trouver un emploi dont les horaires sont compatibles avec leurs contraintes familiales.

 

Ces personnes sont donc embauchées dans les EBE à temps choisi. Et elles réalisent des activités définies de manière concertée sur les territoires, en fonction des besoins et selon un principe de non-concurrence avec les entreprises déjà présentes. Quelles sont les activités les plus répandues ?

Les EBE mettent essentiellement en place des activités liées à la transition écologique. Des activités qui relèvent de l’économie circulaire, de la sécurité alimentaire, des mobilités alternatives… Souvent, des accords se nouent avec des entreprises locales. À Thiers par exemple, les salariés de l’EBE ont trouvé un accord avec les taxis pour offrir aux apprentis boulangers un service de transport. Car ce n’est pas facile pour de jeunes apprentis de se déplacer à 10, voire 20 kilomètres de chez eux très tôt le matin.

 

« Les territoires zéro chômeur de longue durée nous montrent qu’on peut changer l’ordre des choses »
Personne n’est inemployable. Ce n’est pas le travail qui manque. Ce n’est pas l’argent qui manque. Voilà trois certitudes qui constituent le socle de l’expérimentation. Et conduisent à interroger l’organisation économique de notre société. @DR
Certains projets de Territoires zéro chômeur de longue durée se portent bien. Quelques-uns sont tombés à l’eau. Quels sont les facteurs essentiels de la réussite de ces projets ?

La capacité de mobilisation des territoires (villes, départements, régions…) est un facteur clé. Ce type de projet est généralement consensuel, mais il y a parfois des blocages politiques. Des tensions locales qui nous dépassent.

La réussite dépend aussi des moyens d’ingénierie disponibles localement pour construire les projets. Certains territoires sont moins dotés que d’autres. L’association ZCDLD est là pour les aider, notamment dans leurs demandes de fonds, européens ou privés.

 

Pour les projets qui ont pu se mettre en place, quels sont les principaux apports que vous observez pour les salariés des EBE ?

Les personnes retrouvent une forme de sécurité. Financière bien sûr. Mais elles sont aussi fières de développer des activités utiles pour leur territoire. Les salariés des EBE reçoivent de la reconnaissance, notamment de la part de leurs proches. Ils se forment, acquièrent de nouvelles compétences qui leur permettent de voir loin devant, et plus seulement au jour le jour. Ces personnes ont un meilleur accès à la santé. Alors que certaines ne se soignaient plus, elles ont désormais une mutuelle. Parfois, des parcours de résidence se créent, certaines deviennent propriétaires de leur logement. Et les enfants aussi entrent en jeu : ils ont désormais un modèle de parent qui travaille, et qui est content de ce qu’il fait.

 

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A Jouques, village de 4000 habitants près d’Aix-en-Provence, l’EBE qui porte le projet Zéro chômeur de longue durée est devenue le premier employeur privé de la ville. Elle a remis sur le chemin de l’emploi plus d’une centaine de personnes. Et de nombreuses formations ont été financées. @MD
Et pour les territoires concernés ?

Parmi les territoires où se déroule l’expérimentation, bon nombre sont désindustrialisés et de nombreux services ont disparu. Le projet parvient à faire revivre certains de ces services. C’est le cas à Prémery, dans la Nièvre. Il s’agit d’un territoire rural, qui s’est fortement désindustrialisé dans les années 2000. Le dispositif ZCLD a permis d’y installer plein d’activités. Des gens viennent voir cela. Notamment dans le cadre de l’essaimage du projet en Europe. Cela remet en lumière un territoire qui se trouvait dans l’ombre, dans une forme de déclassement.

On constate également que du lien se crée autour des entreprises, avec les gens qui bénéficient des services proposés.

 

♦ Lire aussi : Jouques, village zéro chômage

 

En dépit de ces résultats, un arrêté paru cet été a acté une baisse de la contribution au développement de l’emploi. Contribution qui ne couvrira plus que 95% du smic des salariés des EBE, contre 102% auparavant. Quelles conséquences cela aura-t-il sur les différentes entreprises à but d’emploi ?

Les entreprises avaient trouvé un équilibre entre leur chiffre d’affaires et cette contribution au développement de l’emploi. Cette décision nous percute forcément, d’autant que personne ne l’avait anticipée. Les plans prévisionnels de chaque EBE avaient été établis sur la base du montant défini jusqu’alors avec l’État. Comme d’habitude, il nous faudra être inventifs. Les EBE pourront s’appuyer sur de nouvelles activités. Il faudra peut-être faire certaines économies. Mais il ne faut pas que cela ralentisse le rythme des embauches. Car cela irait à l’encontre de notre objectif qui est de montrer qu’on peut éradiquer le chômage de longue durée.

 

Comment expliquez-vous cette décision ?

L’heure est à l’austérité et à la restauration des comptes publics. Or il y a l’idée que ce projet coûte trop cher, en comparaison du coût du chômage qui est largement sous-estimé.

Parmi tous les apports de cette expérimentation, beaucoup ne se mesurent pas de façon monétaire. Et dans une société où certains ne considèrent les choses que par le prisme de l’argent, il n’est pas facile de les valoriser.

 

D’où la nécessité de recourir, ici comme ailleurs, à d’autres types d’indicateurs qui ne soient pas strictement monétaires…

C’est en effet ce que prévoyait la première loi d’expérimentation de 2016. Il était prévu que le dispositif serait évalué sur la base des nouveaux indicateurs de richesse définis par la loi Eva Sas de 2015 [des indicateurs visant à évaluer, entre autres, la précarité des conditions de vie, l’espérance de vie en bonne santé, l’empreinte carbone… ndlr]. Mais ils n’ont jamais été pris en compte pour l’évaluation du projet, bien que la loi ait été votée à l’unanimité.

 

Pourtant, à l’international, le projet fait des émules …

Oui, la Commission européenne a lancé un fonds d’amorçage pour des projets de ce type. Des initiatives similaires se mettent en place aux Pays-Bas, en Belgique… À Rome, un projet Zéro chômeur de longue durée concernera deux territoires. Il n’a pas encore commencé et 100 millions d’euros lui sont déjà alloués. En France, nous entrons dans notre 7e année d’expérimentation et nous n’avons disposé que de 40 millions d’euros pour l’ensemble de nos territoires.

Ici, nous sommes un peu frileux sur les expérimentations. On a du mal à agir avec les acteurs de terrain. On est beaucoup dans le quoi, pas assez dans le comment. Pourtant, sur la question du chômage, il est illusoire de penser que l’État réglera seul le problème. Pour y arriver, il est indispensable que tout le monde participe à son niveau. Cela est aussi vrai pour le défi climatique par exemple. Il faut de la concertation, mais cela demande du temps. Du temps pour délibérer, pour construire, pour animer la vie démocratique… Or dans une société de l’immédiateté, la valeur du temps n’est pas assez reconnue.

 

Depuis l’épidémie de covid-19, la notion de travail interroge. À titre individuel, on se pose davantage la question de son sens. Du fait des difficultés de recrutement exprimées par le monde économique, on entend aussi dire que la valeur travail serait en décrépitude. Il y a une forme d’opposition entre vision qualitative et quantitative de cette notion. Qu’apporte l’expérimentation zéro chômeur de longue durée dans ce débat ?

L’expérimentation pose de nombreuses questions. Elle interroge sur le sens du travail. Quel est son but ? Est-ce aux emplois de s’adapter aux personnes ou bien l’inverse ? Elle interroge la manière dont on travaille, le lien entre salarié et employeur, la démocratie en entreprise. La façon dont on peut construire de nouvelles activités qui prennent soin des personnes et de l’environnement.

Ce projet montre aussi une chose importante à mon sens. On a souvent l’impression de ne rien pouvoir changer. Nous, on dit que rien n’est foutu. Les territoires zéro chômeur de longue durée nous montrent qu’on peut changer l’ordre des choses. Il existe plein d’utopies réalistes qui ne demandent qu’à être tentées. Encore faut-il essayer. ♦

 

*La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – Une idée née de la société civile – Quelques chiffres – Le financement des EBE – Et après l’expérimentation ? –

 

  • Quelques chiffres – Mi juillet 2023, 2 183 personnes étaient salariées au sein de 64 entreprises à but d’emploi. Quant au profil de ces salariés, des chiffres de fin 2022 nous indiquent que 23% étaient en situation de handicap. La moyenne d’âge est de 46 ans. Et les femmes sont majoritaires, représentant 53% des salariés. Quant aux activités proposées au sein des EBE, 37,4% étaient liées à la transition écologique, 25,5% à la cohésion sociale.
♦ Lire aussi : Singa contre l’isolement des exilés

 

  • Le financement des EBE – Pour mener à bien leurs activités, les EBE bénéficient d’une subvention : la contribution au développement de l’emploi, versée par l’État. Celle-ci a vocation à couvrir une partie des charges de l’entreprise afin de l’aider à créer de nombreux emplois. Une façon de compenser les difficultés rencontrées par la mise en place d’activités peu rentables, soumises à la règle de non-concurrence. C’est cette contribution qu’un arrêté paru cet été prévoit de diminuer. En plus de cette contribution, les EBE s’autofinancent en partie grâce au chiffre d’affaires généré par leurs activités. S’y ajoutent, en fonction des territoires, diverses subventions d’investissement, des emprunts, des fonds privés ou publics … 

 

  • Et après l’expérimentation ? – L’expérimentation est censée courir jusqu’en 2026. Le temps de « montrer que cela marche ». Puis, Laurent Grandguillaume espère que le dispositif pourra être généralisé. De sorte que « tout territoire qui veut se lancer puisse le faire ». Déjà, « nous allons lancer une large concertation d’ici la fin de l’année en direction de tous les acteurs pour recueillir les idées sur le dépassement de l’expérimentation ». Expérimentation qui doit encore relever plusieurs défis. Parmi lesquels la formation des personnes, le management des EBE, une meilleure valorisation de toutes les externalités positives. « Il faut aussi que le modèle soit attractif pour les personnes que nous n’arrivons pas encore à toucher ».