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Le LICA, émulsionneur de solutions

Par Maëva Danton, le 23 juin 2023

Journaliste

Institutions, associations, tiers-lieux, entreprises ... Nombreux sont ceux qui font appel au LICA pour sa capacité à faire coopérer des acteurs qui n'ont rien à voir. @MD

Niché dans le 4e arrondissement de Marseille, un domaine de 6000 m² de verdure ouvrira bientôt en grand son portail. Baptisé Le 15, ce nouveau tiers-lieu est un projet du Laboratoire d’Intelligence collective et artificielle (Lica), une Scop qui s’attelle depuis cinq ans à fédérer des acteurs peu habitués à travailler ensemble. Afin de relever au mieux les (immenses) défis environnementaux et sociaux auxquels nous faisons face.

 

Le LICA mêle intelligence collective et numérique pour faire émulsionner des solutions 2
6000 m² pour penser les grands enjeux de l’époque. Et trouver des solutions. @MD

« C’est un lieu de générosité, de nature et de simplicité », résume Cécile Monière, balayant des yeux le paysage. Assises sur un banc, nous sommes entourées d’herbes sauvages et d’arbres. On entend le vol d’un bourdon et le chant des oiseaux. On en oublierait presque que nous sommes à Marseille. Au cœur du très minéral et pentu quartier des Chartreux, dans le 4e arrondissement.

Ce matin, les travaux vont bon train autour de la grande bâtisse, pièce maîtresse de ce domaine de 6000 mètres carrés. Un peu plus bas, on installe des toilettes sèches. Et à l’arrière de la bastide, des ouvriers sont à la réfection d’un bâtiment plus modeste qu’on appelle ici « la pépinière ». Pépinière qui deviendra dans quelques mois un espace dédié à l’entrepreneuriat. En attendant, c’est une maison d’une centaine de mètres carrés, située au fond du jardin, qui permet de s’abriter.

Mais ici, la vie se déroule surtout au grand air. Ce matin, le vaste jardin accueille ainsi une formation de facilitation graphique et, un peu plus loin, autour d’une table de pique-nique, une autre est assurée par l’école de la transition écologique Être. Car le cadre est plutôt propice à qui veut se reconnecter au vivant. La nature permet aussi de casser les postures. Et en cela, de mieux travailler ensemble.

Ce lieu, c’est en quelque sorte l’incarnation physique des actions et réflexions portées par le Laboratoire d’intelligence collective et artificielle (Lica) depuis cinq ans. « On nous compare souvent à de la maïzena », illustre Cécile Monière qui a participé à la construction du LICA. Un tiers acteur qui parvient, grâce à deux ingrédients, à faire coopérer des personnes qui n’ont a priori pas grand-chose à voir, mais dont la complémentarité est une force pour faire face aux grands défis sociaux et environnementaux de notre époque.

 

Le LICA mêle intelligence collective et numérique pour faire émulsionner des solutions
Cécile Monière, cofondatrice du LICA @MD

Intelligence collective et numérique

Le premier de ces ingrédients est l’intelligence collective. Concrètement, il peut s’agir de développer l’empathie des personnes. Ou de veiller à une stricte égalité du temps de parole dans un groupe. « Cela permet aux femmes, qui ont généralement moins la possibilité de s’exprimer, de le faire davantage ». Et les hommes ne sont pas perdants, puisqu’ils apprennent « à mieux écouter ». Façon de corriger des biais de genre si fortement incrustés dans nos façons d’être.

Le Lica a aussi la capacité -assez rare- de faire preuve d’empathie à l’égard d’institutions. Ce qui lui permet de comprendre les spécificités et attentes de chacune. Pour mieux les faire coopérer malgré leurs divergences.

Et cette intelligence collective s’appuie sur un second ingrédient : le numérique. « Nous avons par exemple développé un système de badges : Echos life ». Un système qui s’appuie sur la technologie de la blockchain (bonus) et qui permet d’attribuer une valeur économique à des activités vertueuses pour la cohésion sociale et l’environnement. « On aimerait créer de nouvelles modalités de contribution et de rétribution. C’est une façon d’imaginer de nouveaux référentiels économiques », explique ainsi Jérôme Gonzalez, autre cofondateur du Lica. Des référentiels économiques au sein desquels la rétribution serait proportionnelle à l’utilité d’un acte. En contradiction avec le système actuel, dans lequel les métiers les mieux payés sont trop souvent les plus destructeurs.

 

♦ Lire aussi : La foncière, une solution pour pérenniser les tiers-lieux éphémères ?

 

Le LICA mêle intelligence collective et numérique pour faire émulsionner des solutions 1
Ce matin, dans un paysage sonore mêlant chants d’oiseaux et outils de chantier, trois formations se tiennent en plein air, assurées par des partenaires du LICA. @MD

La pluridisciplinarité comme ADN

Pour comprendre comment le Lica est parvenu à faire émulsionner tous ces ingrédients, il faut remonter à sa naissance. Et à la rencontre de ses six fondateurs. Tous issus d’univers très différents.

Cécile, elle, vient du monde de l’eau. « J’ai travaillé pour plusieurs institutions : des parcs naturels régionaux, l’Agence de l’eau », raconte-t-elle de sa voix calme, triturant un brin d’herbe entre ses doigts. Cela ne l’a pas empêché de s’intéresser aussi à l’anthropologie, éclairante lorsqu’il s’agit de comprendre la relation que l’humain entretient avec la nature.

Son mari, Charles Talbot, également cofondateur du Lica, vient quant à lui du monde de la recherche. « J’ai travaillé notamment sur la qualité de l’air et micrométéorologie ». À leurs côtés, Claire Demaison est issue de l’univers de l’événementiel et a travaillé sur plusieurs projets culturels européens. Jérôme Gonzalez, lui, a « travaillé dans les technologies numériques et les télécommunications. J’ai créé une startup. Je me suis intéressé au big data, à l’intelligence artificielle, aux applications mobiles », explique-t-il.

Il faut ajouter à ce tableau Audrey Vermeulen, designeuse experte de la facilitation et chercheuse en philosophie. Et Nicolas Rochet, data scientist et titulaire d’un doctorat en neurosciences.

Fourmillement de projets

Partis à six, ils sont désormais une bonne quinzaine à faire vivre la Scop Lica. « Au départ, on organisait des rencontres citoyennes sur le sujet du numérique ». Des rencontres au travers desquelles ils prônent un numérique qui mettrait l’humain et l’idéal démocratique au centre.

Puis le Lica embarque dans une aventure qui le fera décoller : le projet « Réalise tes rêves ». L’idée : révéler les talents de personnes éloignées de l’emploi. « Des personnes qui ne croient plus en elles à cause de leur milieu familial, des événements de la vie ». Un appel à projets remporté par un consortium très éclectique puisqu’il comprend le Centre de Recherches Interdisciplinaires, Synergie Family, l’Institut Catholique de Lille et Chance. Le Lica assurant le pilotage du consortium.

Dès lors, le Lica est impliqué dans une foultitude de projets. L’entrepreneuriat pour tous. La qualité de l’air. Les politiques publiques, au travers de l’École des transformateurs publics qui vise à apprendre à des agents de diverses institutions à monter des projets ensemble… ou via la mise en place d’un revenu de transition écologique, sujet pour lequel la Ville de Marseille a fait appel à l’expertise de la Scop.

Reconnu pour sa capacité à faire émulsionner les idées, le Lica l’est aussi pour l’évaluation de compétences transversales grâce à son outil Echos life. Sollicité par exemple dans le champ de la musique, autant que celui de l’insertion ou du sport.

 

♦ (Re)lire : La Cuisine du 101, pour ceux qui n’en ont pas

Le LICA mêle intelligence collective et numérique pour faire émulsionner des solutions 4Sciences, culture, restauration, aménagement, etc.

Puis, après cinq ans à fédérer les acteurs les plus divers, le Lica a eu envie d’un lieu capable d’incarner physiquement ce qu’il est. Son «tiers-lab des transitions».

D’où le choix de racheter en décembre 2022 ce terrain de 6000 m². Un terrain sur lequel on trouvera bien sûr ses bureaux mais aussi ceux d’autres résidents, parmi lesquels le restaurant solaire le Présage, Anatomie d’architecture, ou encore la Foncière Belleville. Des résidents qui pourront rencontrer des structures de passage dans les espaces de travail partagés, en intérieur ou en extérieur. De même que des personnes accompagnées dans le cadre de programmes d’inclusion sociale. Ou des citoyens invités à suivre la programmation artistique, culturelle et scientifique du lieu. « L’art et la culture sont des vecteurs de changement hyper forts. Car ils touchent à notre humanité et nous donnent envie de bouger ».

Mais il faudra encore patienter un peu avant de voir ce lieu prendre pleinement vie. « On prévoit une inauguration le 21 septembre ». Date qui marquera la naissance à Marseille d’un nouveau tiers-lieu capable, à sa façon à lui, de mêler des publics divers. L’écrin de verdure en plus. Une base-arrière régénérante, pour tous ceux qui veulent s’atteler à la construction d’un monde durable. Autant que désirable. ♦

 

*La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – La gouvernance – Le modèle économique –

  • Gouvernance du tiers-lieu le 15 – Pour incarner sa porosité avec le monde qui l’entoure et sa capacité à fédérer, le tiers-lieu porté par le LICA – via une structure distincte- s’appuiera sur une gouvernance ouverte autant aux partenaires du LICA qu’aux citoyens, aux entreprises et aux collectivités locales qui peuvent acheter des parts afin de participer à la vie du lieu. Une gouvernance qui compte pour l’heure un peu moins de 140 personnes ou structures, parmi lesquelles Synergie Family, La Cité de l’agriculture, de même que les foncières Belleville et Essentiel. Et le LICA aimerait accueillir encore davantage d’entreprises, de même que des collectivités territoriales.
  • Son modèle économique – Pour vivre, le tiers-lieu dépendra à 80%-85% de la location d’espaces, à travers plusieurs types d’offres. Doivent s’y ajouter quelques prestations de services (restauration, café). Et des subventions publiques pourraient compléter ces recettes, notamment pour financer la programmation culturelle du lieu – censée être accessible au plus grand nombre-, de même que l’accompagnement à l’entrepreneuriat, qui doit viser en priorité des femmes.