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« L’œil du loup » à l’affût des inégalités de genre et des violences

Par Audrey Savournin, le 18 janvier 2024

Journaliste

Les trois animatrices de l'association L'oeil du loup se rendent notamment dans les établissements scolaires pour déconstruire les stéréotypes filles-garçons. @ DR
Depuis 2015, l’association marseillaise L’œil du loup promeut le bien-être et le vivre-ensemble afin de prévenir les violences sexuelles et sexistes ainsi que les discriminations. Elle a été créée par une psychologue sociale, Laureline Carbuccia, et une conseillère conjugale et familiale, Johanne Ranson. Et s’attaque notamment aux stéréotypes en s’appuyant sur le développement des compétences psycho-sociales et du bien-être de chacun. Pour favoriser la qualité de la relation à soi et aux autres.

L’œil du loup. C’est le titre d’un roman jeunesse de Daniel Pennac dans lequel le loup d’un zoo et un petit garçon, plongent dans le regard et la vie l’un de l’autre. C’est aussi le nom d’une association marseillaise œuvrant « pour un regard différent ». Sur soi, sur l’autre, sur le monde, sur les inégalités de genre et les violences sexuelles et sexistes. Une structure créée en 2015 par Johanne Ranson et Laureline Carbuccia pour prévenir ces violences et ces discriminations en utilisant la promotion du bien-être et en développant les compétences psycho-sociales (CPS) (voir bonus).

Les compétences psycho-sociales, élément clé


Car d’après différentes recherches menées depuis plus de trente ans, l’acquisition de ces compétences améliore la santé, physique et mentale, le climat scolaire, la réussite éducative et professionnelle. Leur insuffisance, au contraire, serait l’une des premières causes des comportements à risque et violents, comme de l’anxiété. Mais de quoi parle-t-on précisément ? D’être capable de se maîtriser, de prendre des décisions constructives, de réguler ses émotions, de gérer son stress ou encore de communiquer.

Un conditionnement inégalitaire dès la petite enfance

« L’œil du loup » lutte contre les inégalités de genre et des violences en créant des cercles de parole avec les enfants et adolescents.
Johanne Ranson en est convaincue, « si on éduquait en tenant compte des CPS dès le plus jeune âge, ça transformerait les relations de genre et même la société». @ DR

Des compétences qui sont « inégalement stimulées depuis la petite enfance, ce qui crée des inégalités voire de la violence », explique Johanne Ranson, directrice de L’œil du loup, conseillère conjugale et familiale, animatrice et formatrice. Seule aux commandes depuis le départ en 2021 de Laureline Carbuccia, psychologue sociale. « Les garçons sont encouragés à ne pas développer les qualités associées au féminin comme la douceur, la sensibilité, l’empathie… Ils ne sont pas encouragés à exprimer certaines émotions souffrantes comme la tristesse ou la peur. Ils ne peuvent exprimer que la colère, poursuit-elle. Les filles, elles, sont moins encouragées à l’affirmation de soi par exemple. C’est flagrant dans la prise de parole quand on intervient dans les classes. Si on éduquait en tenant compte des CPS dès le plus jeune âge, ça transformerait les relations de genre et même la société, j’en suis convaincue

Former aux compétences psycho-sociales

L'association est également centre de formation, pour accompagner les professionnels.
L’association est également centre de formation, pour accompagner les professionnels. @ DR

Il y aurait moins de frustration et de malaise, davantage de compréhension et d’épanouissement, donc plus de bien-être et de bienveillance. Alors L’œil du loup milite. Met gratuitement à disposition des professionnels une boîte à outils CPS (voir bonus) sur son site. Et les forme (c’est un organisme de formation professionnelle, Ndlr), dans les secteurs social, médicosocial, éducatif, sportif, culturel, de la petite enfance…  Les trois salariées de l’association interviennent aussi au sein d’entreprises privées sur les questions de gestion du stress ou des conflits. Elles ont par ailleurs développé un programme d’e-learning sur les inégalités en milieu professionnel.

Faire réfléchir les ados

Et surtout, elles animent de nombreux ateliers dans le cadre d’actions d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), auprès de collégiens, de lycéens et de jeunes migrants. Objectif : déconstruire les stéréotypes de genre. Amener les jeunes à réfléchir à certains comportements et certaines croyances aussi basiques que bien ancrés. « Comme les garçons sont plus forts, les filles avec des tenues aguichantes provoquent » détaille Johanne Ranson. Qui ne manque pas alors de demander aux élèves : « Elles provoquent quoi ? » « Parfois le simple fait d’exprimer leur pensée leur permet de prendre conscience de l’absurde. »

Débattre pour déconstruire

« L’œil du loup » à l’affût des inégalités de genre et des violences
La méthode pédagogique est active, participative, et surtout pas descendante. @ DR

Imprégnée des outils de l’éducation populaire du Planning familial, où elle a été formée, Johanne Ranson leur donne des affirmations auxquelles chacun doit adhérer ou pas avant d’en débattre. Par exemple : « les filles sont plus sensibles que les garçons », permet de déconstruire le lien entre sensibilité et faiblesse, de sensibiliser aux émotions, à l’importance de les exprimer. « Un viol est toujours associé à de la violence physique » permet de déconstruire l’idée de pulsion, de violeurs forcément psychopathes ou frustrés. D’en venir à la notion de consentement (voir bonus), d’incapacité parfois à formuler un non-consentement ou à le déceler…

L’idée étant « qu’ils entendent d’autres points de vue, qu’ils remettent en question leur propre vision » insiste l’animatrice. « On n’arrive pas en missionnaire avec une bonne pensée à leur mettre dans le crâne. » Mais toujours avec la subtile volonté de leur apprendre à s’écouter et à respecter l’autre. ♦

Bonus
  • Les CPS. « Les compétences psychosociales (CPS) constituent un ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent d’augmenter l’autonomisation et le pouvoir d’agir, de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives » d’après la Synthèse de l’état des connaissances scientifiques et théoriques, Santé Publique France, 2021 .
    Elles se déclinent en 9 compétences générales (cognitives, émotionnelles et sociales). Conscience de soi, maîtrise de soi, prise de décisions constructives ; conscience de ses émotions et de son stress, régulation de ses émotions, gestion de son stress ; résoudre des difficultés, développer des relations constructives, communiquer de façon constructive.
  • « La boîte à outils CPS ». La mise en place d’activités pour développer les CPS fait partie intégrante du parcours éducatif de santé (PES) créé par la loi du 8 juillet 2013… Mais demande beaucoup de temps et de ressources aux enseignants. L’œil du loup a donc conçu une « boîte à outils » gratuite pour les professeurs des écoles de Grande section de maternelle et de CP. En partenariat avec les Cités Éducatives Marseille Nord et l’équipe circonscription Marseille Nord Estaque (Éducation Nationale). Les activités permettent de travailler sur les émotions et le stress.
  • Skills for consent. L’équipe de L’œil du loup travaille sur un livret d’activités d’éducation au consentement avec le Center for Violence Prevention (CFV). Une association danoise qui aborde les violences physiques et comme des problèmes de société. Ce projet, « Skills for consent », est cofinancé par le programme Erasmus + de l’Union européenne. Avec son binôme, elles créent une boîte à outils adaptés aux 5-7 ans. Elle sera téléchargeable en français, en danois, et en anglais, au printemps 2025.