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Le miscanthus, chauffage écolo d’une commune alsacienne

Par Zoé Charef, le 22 janvier 2024

Journaliste

Un champ de miscanthus, en Alsace. ©Mairie de Bernwiller
Planté d’abord pour assainir l’eau de Bernwiller dans le Haut-Rhin, le miscanthus est désormais utilisé pour chauffer les bâtiments communaux et quelques habitations. Le maire, Patrick Baur, revient sur la mise en place de ce système, ses grands avantages et petits inconvénients.
[Dans le cadre de l’éducation aux médias, avec le soutien de la Région Sud, une version radio pour les lycéens]
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On l’appelle l’herbe à éléphant, le roseau de Chine ou Eulalie. Originaire d’Afrique et d’Asie du Sud, le miscanthus est connu pour apporter au sol de nombreux micro-nutriments lors de sa décomposition. Mais par ici, cette plante graminée (rhizomateuse) se trouve dans les marais et flancs de collines. 

Dans cette commune alsacienne qui regroupe les villages de Bernwiller et Amertzwiller, on l’utilise depuis 2011 pour purifier les sols… et se chauffer ! L’histoire commence en 2008, lorsqu’une détérioration de la qualité de l’eau est notifiée : le taux de nitrate est passé de 20 milligrammes par litre à 40 en dix ans. Le miscanthus se présente comme une solution facile (nul besoin d’intrants – engrais ou pesticides) et efficace pour assainir l’eau du regroupement de communes de 1200 habitants. Patrick Baur, maire de Bernwiller, retrace l’historique alsacien de cette plante qui permet de chauffer tous les bâtiments communaux.

Le miscanthus, chauffage écolo d'une commune alsacienne
En 2023, la culture de miscanthus représente environ 11 000 hectares en France métropolitaine @France Miscanthus
Comment et pourquoi avez-vous commencé à cultiver le miscanthus ?
Patrick Baur : Notre eau commençait à être fortement polluée par le nitrate et nous cherchions une solution pour l’assainir. Le président de notre syndicat d’eau, Mathieu Ditner – qui était également le maire de la commune à l’époque -, utilisait déjà le miscanthus au niveau professionnel pour faire les paillages. Il connaissait donc la plante et a eu l’idée de la faire pousser sur les terrains alentour du captage d’eau. Une étude a été faite pour s’assurer de l’efficacité du miscanthus et nous en avons planté 27 hectares.

Une réflexion supplémentaire est apparue ensuite : nous cultivons une plante qui repousse chaque année sans trop d’entretien. Pourrions-nous l’utiliser à d’autres fins que le paillage et de l’assainissement de l’eau ? Nous nous sommes renseignés et avons mis en place un essai dans l’une de nos deux chaufferies communales. Jusque-là, nous utilisions les plaquettes de bois, mais le rendement thermique du miscanthus est meilleur ! Après des résultats concluants, nous nous sommes lancés ! Une chaufferie tourne à 100% au miscanthus et l’autre à environ 50%, selon la récolte. 

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Le stockage du miscanthus, une fois récolté, se fait dans deux hangars de la commune. ©Mairie de Bernwiller
Comptez-vous agrandir vos plantations pour augmenter le rendement ?

Patrick Baur : Actuellement, nous avons 27 hectares de miscanthus dans notre commune (soit une moyenne de 320 tonnes) et souhaitons ajouter une dizaine d’hectares. C’est l’un de nos projets de 2024 : que des propriétaires terriens nous rejoignent pour en planter. Avec l’objectif de couvrir les besoins de nos deux chaufferies, mais surtout de maintenir un sol avec le moins de polluants possible. Parce que le niveau de nitrate est bien redescendu grâce au miscanthus : nous sommes à nouveau à environ 20 mg/l !

Le grand avantage est qu’il n’y a rien à ajouter à cette plante pour qu’elle pousse. Elle repousse seule, les feuilles tombent à la mi-saison et nourrissent le sol. Et puis, par rapport aux plaquettes de bois, ça repousse tous les ans et bien plus facilement ! 

Lire aussi : A Marseille, l’eau de mer sert aussi de chauffage… et de clim’ !
C’est avantageux au niveau thermique, mais également au niveau écologique… 

Patrick Baur : Oui, il n’y a aucun polluant, ça assainit l’eau… Et c’est du circuit court puisque les plantations se situent sur nos terrains communaux.

Et au niveau financier ?

Patrick Baur : Ça nous revient moins cher aussi, comme il ne faut la planter qu’une seule fois pour des années de récolte. Il faut indemniser les différents propriétaires des terrains lors de la récolte fin mars début avril, mais c’est normal ! Nous rémunérons à hauteur de 110 euros la tonne, qui se récolte un peu comme le maïs. Ensuite, nous stockons cela dans nos deux hangars de 2000 m3 chacun à Bernwiller. 

Pendant la période hivernale, un exploitant-agriculteur du village – qui a moins de travail en cette saison – s’occupe du transport du miscanthus vers nos différentes chaufferies, à notre demande. L’année dernière, nous en avons consommé 140 tonnes.

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Vue générale des départs réseaux de chaufferie. ©Mairie de Bernwiller
Quels bâtiments le miscanthus permet-il de chauffer ?

Patrick Baur : La chaufferie de Bernwiller, celle qui tourne à 100% au miscanthus, dessert tous les bâtiments communaux : les écoles, l’ancienne mairie, la salle communale, des logements communaux, l’église et une quinzaine d’habitations privées qui sont branchées sur le réseau de la chaufferie. Car nous avons dû tirer un réseau pour rejoindre tous ces bâtiments lorsque nous avons installé la nouvelle chaufferie. Nous avons donc proposé aux habitants situés sur le réseau de s’y brancher.

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La chaudière (Heitzomat 400KW) utilisée pour transformer la plante en combustible puis chauffage. ©Mairie de Bernwiller
Ce sont les chanceux du village ! Pas de jaloux ?

Patrick Baur : Je ne suis moi-même pas sur le réseau, et c’est dommage effectivement [rires] ! Plusieurs habitants sont du même avis que moi d’ailleurs. Mais la puissance des chaudières est déterminée en fonction des bâtiments qui y sont rattachés. On ne peut pas y ajouter de bâtiments supplémentaires sans changer de chaudière, et ce n’est pas dans nos prévisions pour l’instant. C’est un inconvénient, mais c’est déjà bien de pouvoir chauffer nos espaces communaux ! Malgré la flambée des prix de toutes les énergies ces derniers temps, nous restons stables grâce au miscanthus.

Quelles sont les limites à ce mode de chauffage ?
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Les deux hangars de stockage de miscanthus de la commune de Bernwiller ©Mairie de Bernwiller

Patrick Baur : La difficulté, c’est quand vous créez le tout : planter le miscanthus, installer la chaufferie, aménager le réseau… Ça a un coût beaucoup plus important qu’un système normal. Mais nous avons pu répartir les coûts en faisant la chaufferie en 2007, en plantant en 2008 et en 2011, en réalisant des investissements par petits paquets. Si quelqu’un devait investir dans un tel montage actuellement, ce ne serait pas un coût anodin… C’est un projet d’avenir.

L’autre seul inconvénient auquel je pense, c’est le stockage : pour les plaquettes de bois, un seul hangar nous suffisait, mais le miscanthus est beaucoup plus volumineux, bien que bien plus léger. Nous avons donc dû répartir les récoltes dans deux hangars. Ça prend davantage de place, ça fait davantage de poussière, mais mis à part ça, pour nous, c’est parfait. En plus, cela ne dégage pas plus d’odeur qu’avec le bois ! ♦

Bonus 

[pour les abonnés] – Le miscanthus en chiffres – D’autres communes y recourent – L’asso France Miscanthus –

  • Le miscanthus en chiffres : En 2023, la culture de miscanthus représente environ 11 000 hectares en France métropolitaine (majoritairement dans le nord du pays). Ces surfaces ont doublé depuis 2017. La plante est actuellement utilisée pour plus de la moitié comme litière animale, à 25% comme paillage horticole et à environ 20% comme biocombustible.
  • Le miscanthus, chauffage écolo d'une commune alsacienne 1
    En fleur @France Miscanthus

    D’autres communes utilisent aussi le miscanthus. Elles sont aujourd’hui 14 en France à avoir adopté cette énergie renouvelable. Pour des bâtiments communaux, des habitations, des abbayes, des exploitations agricoles ou encore des châteaux. Essentiellement dans la moitié nord du pays.

  • France Miscanthus. Cette association est le fruit d’une réflexion menée dans les années 2000 par les betteraviers qui cherchaient une solution bas carbone pour déshydrater les pulpes de betteraves. Ils se sont alors tournés vers une culture énergétique pérenne : le miscanthus. La filière du miscanthus, émergente et pleine de potentiel ne demandait qu’à être structurée et développée. C’est ainsi qu’en 2009, la Confédération Générale des Planteurs de Betteraves créait l’association France Miscanthus.

Pourquoi le miscanthus ? D’abord en raison de son fort potentiel agronomique et d’une palette d’utilisations potentielles très large, tout en offrant une diversification pérenne aux agriculteurs. En effet, le miscanthus est une plante pleine de ressources à exploiter pour réduire notre empreinte carbone. Il s’intègre parfaitement dans la bioéconomie : biocombustibles, litière, paillage horticole, biomatériaux et demain bioéthanol de 2ème génération et biogaz peut-être. De plus, le miscanthus est une culture pérenne (elle pousse sur plus de vingt ans), autonome (pas d’intrants ni d’entretien) qui rend de nombreux services écologiques (biodiversité, érosion des sols, phytostabilisation…).