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Nathalie Ille, « woman for sea »

Par Audrey Savournin, le 20 décembre 2023

Journaliste

Avec Women for sea, Nathalie Ille souhaite protéger le milieu marin en s'appuyant sur les femmes ©DR
Capitaine 200, Nathalie Ille est la fondatrice et la directrice de l’association Women for sea. Depuis dix ans, elle multiplie les interventions, expéditions scientifiques et navigations entre femmes. Pour inciter à préserver la mer tout en y puisant de la force, en y expérimentant la sororité.

 

Le premier rendez-vous, manqué, avait été fixé à la Joliette, à Marseille. Le second sur le Vieux-Port. Toujours près de la mer, toujours dans un emploi du temps très serré. C’est que Nathalie Ille optimise des déplacements dans la cité phocéenne. Cette Marseillaise s’est exilée dans les Hautes-Alpes, non loin du lac de Serre-Ponçon. Paradoxal pour une inconditionnelle du grand large.

Mais pas pour une inconditionnelle des grands espaces, se justifie-t-elle presque en riant : « Je suis née dans les gorges du Verdon, j’y ai vécu jusqu’à mes quatre ans, j’allais beaucoup marcher en montagne aussi avec mon papa, et quand j’ai été enceinte de mon fils, il y a six ans, j’ai eu envie qu’il ait cette empreinte de la nature. »

« Puis maintenant, voir la Méditerranée ne me suffit plus, j’ai envie d’être dessus ! » poursuit la navigatrice, fondatrice et directrice de l’association Women for sea (WFS). C’est son élément et elle y passe deux mois par an, avec d’autres femmes, dans un souci de préservation de cet environnement malmené couplé à celui d’empowerment.

Déjà 10 ans de mobilisation

Drapeau Women for sea
Jusqu’en 2021, des structures ont été créées en fonction des expéditions. Depuis, Women for sea recentre l’identité des actions. @ Soraya Ruiz

Women for sea, elle l’a créée en 2021 pour recentrer l’identité de ses actions, mais cela fait dix ans que cette grande brune filiforme suit ce courant-là (voir bonus). Multipliant les expéditions et navigations en équipage 100% féminin, convaincue par la richesse de la pluridisciplinarité et de l’intelligence collective, ainsi que par la force de la sensibilisation in situ et de la sororité.

Une valeur à laquelle elle tient énormément, même si elle n’était pas au cœur de son engagement initial. « Je voulais bosser pour des expéditions scientifiques comme Tara, Jean-Loup Etienne, basées sur la connaissance de la mer, retrace-t-elle. Emmener des enfants malades, comme je le faisais en tant que bénévole. Utiliser la mer pour faire du bien, et inciter à lui en faire en retour. »

Tombée amoureuse de la mer

catamaran au large
La mer et la navigation conditionnent son équilibre, elle navigue deux mois par an. @ Lucie Francini

Elle passera ainsi un master en management social spécialisé dans les navigations à but scientifique, thérapeutique et éducatif, avant d’obtenir son brevet de capitaine 200, alors que pas grand-chose ne la prédestinait à la voile. Ni culture familiale de la mer, ni pratique dans l’enfance en dehors de la planche. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle met les pieds sur un voilier pour la première fois, grâce à une amie, et qu’elle « tombe amoureuse de la mer » sourit-elle pensive.

Une révélation confortée par son départ pour Paris, où elle entame une longue carrière de mannequin à laquelle elle n’avait jamais pensé. Elle qui se rêvait pilote d’hélicoptère ou de sous-marin, métier dans lequel il n’y avait pas de femme.  « J’ai été repérée à Sanary-sur-Mer, dans un marché aux puces, par un mannequin assez original. Il m’a dit ‘t’as des hanches hautes, tu pourrais faire quelque chose’ », se souvient-elle amusée. Il l’a présentée à son agence à Marseille et tout est allé très vite. Après quelques showrooms en guise de boulot d’été, direction la capitale à la rentrée. Le bac se fera par correspondance.

On est loin de la nature et de la vie en toute simplicité. « Mais j’y voyais la liberté, un moyen de fuir une vie familiale pas facile, l’ouverture au voyage… » explique-t-elle, alors qu’aujourd’hui elle se déplace en covoiturage et que son bilan carbone de l’époque l’ulcérerait. Le seul sacrifice, c’était de vivre à Paris. « C’était horrible. En m’éloignant, je me suis rendu compte de l’importance qu’avait la mer pour moi.»

 

Un an sur un bateau

« À saturation », elle rentre à Marseille où elle poursuit les shootings pour des catalogues en étant devenue « la Parisienne », et s’installe à la Pointe-Rouge, près de l’eau. « J’avais besoin de nature et je cherchais à donner un sens à ma vie », raconte celle qui obtient alors une licence de psychologie. Ce sens, elle commence à le trouver à la vingtaine. À 21 ans, elle accompagne son petit ami dans une traversée jusqu’aux Açores… Malgré le mal de mer ! « C’est fou, c’est passé par l’homme, il m’a fallu ça pour franchir le pas », relève-t-elle après une pause.

« À cet âge-là, j’y voyais surtout une aventure, reprend-elle. Puis on est partis vivre un an en Nouvelle-Calédonie, sur un bateau. Il m’a appris à naviguer et à mon retour, j’ai eu envie d’emmener du monde sur l’eau. De partager mon expérience, de montrer au plus grand nombre combien c’est puissant d’être au contact de la mer. Ça apprend la résilience, l’humilité, à être respectueux, à consommer… Parce que sur un bateau, tout est limité. Ça a mis de la conscience dans tout ce que je vis : le choix des vêtements, des aliments, des déplacements… Ça apprend à être en accord avec le vivant. C’est le seul endroit où c’est la nature qui décide, où je ne suis plus l’humain tout-puissant.»

La puissance des expéditions féminines

Nathalie Ille, en capitaine d'expédition féminine
C’est l’expérience qui lui a montré que s’appuyer sur un équipage féminin avait un réel sens. @ Lucie Francini

À partir de là, son engagement ne va cesser de croître. Elle va se lancer dans Earthship sisters, Expé2M, Eléments, Sillage Odyssée (voir bonus) puis créer Women for sea. Avec cette association, elle enchaîne sur l’Odyssée des possibles, l’Odyssée de la goutte d’eau, Nous sommes la mer, Toutes cap et engagées (voir bonus) ou encore des vidéos de sensibilisation à l’éco-navigation. Ancrée dans le triptyque « feel, learn, act » : ressentir, apprendre, agir. Entre femmes.

« À la base, je n’étais pas sûre de vouloir faire des expéditions féminines, mais à la première, j’étais avec une guide de haute montagne à qui on demandait souvent « où est le guide ? », et moi on me demandait « où est le capitaine ? », retrace-t-elle. Dans le monde maritime professionnel, j’ai découvert combien c’était un milieu masculin. » Selon l’OMI (organisation maritime internationale), seulement 2% des 1,2 million de marins sont des femmes. Et 94% d’entre elles sont sur des bateaux de croisière.

odyssée des possibles
Être entre femmes, c’est se donner de la force, de la confiance, de l’énergie. @ Lucie Francini

« Les directeurs de laboratoires, les scientifiques, les entreprises m’ont aussi dit que ça avait du sens, prolonge Nathalie Ille. De là est né le besoin d’agir pour les femmes. Je n’étais pas engagée au départ. Mais j’ai bien vu la force de ces expéditions, à quel point elles changent les participantes. C’est ultra fort à chaque fois, elles se sentent entendues, écoutées, valorisées. On se redonne notre place, de l’énergie, la puissance qui est en nous.» Pour oser créer son entreprise, prendre un poste de dirigeante ou encore se faire entendre dans les médias.

Un modèle de société

sororité
Ensemble, utiliser ses « super-pouvoirs ». @ Soraya Ruiz

« La navigation partagée, la complémentarité de l’équipage, l’acceptation de la différence, c’est un modèle de société incroyable. Et plus ça avance et plus je me dis qu’on a des super-pouvoirs. Il est temps de se révéler. » Comme elle, qui a accepté d’être au conseil d’administration de l’ENSM (école nationale supérieure maritime) avec trois objectifs : que tous les marins prennent soin de la mer, que ce soit une « safe-place » et que ces métiers se féminisent. ♦

 

Bonus
  • Les prémices. En 2011, Nathalie Ille fonde Expé2M pour organiser une expédition féminine avec des scientifiques, des artistes, des professionnels du nautisme ou encore de la protection du milieu marin. Puis en 2013, elle emmène 5 sportives en Méditerranée découvrir l’environnement dans le cadre d’Eléments. Et en 2015 c’est un bateau-laboratoire qui prend le large pour Sillage Odyssée, une expédition pluridisciplinaire. Elle co-fonde également Earthship sisters pour accompagner des femmes, notamment grâce à la navigation, pour les encourager à concrétiser leurs projets destinés à préserver la mer et plus globalement l’environnement.
  • Women for sea. Créée en 2021, cette association compte aujourd’hui 250 adhérentes, trois salariées et trois services civiques. Elle ambitionne d’être la plus grande communauté de femmes qui travaillent à protéger la mer. Son conseil d’administration est exclusivement féminin mais son comité d’experts est ouvert aux hommes.
  • Les projets menés par WFS. En 2023, 24 femmes ont embarqué un mois sur un catamaran pour l’Odyssée des possibles. Des ateliers d’intelligence collective pour trouver comment mieux porter la voix des femmes au service de la mer. L’Odyssée de la goutte d’eau a quant à elle associé descente de la Durance en kayak, vélo et ateliers de sensibilisation à terre. Et les sorties Toutes cap et engagées ont permis à des groupes de femmes de s’évader plusieurs jours pour se reconnecter à soi, aux éléments et retrouver confiance. Enfin, grâce au projet solidaire Nous sommes la mer, des femmes en difficulté ont été initiées à la voile et à l’écosystème dans un cadre rassurant.
  • À venir. Une armada de femmes engagées pour la mer accueillera la flamme des JO 2024 à Marseille tandis que 15 portraits de femmes accompagnés d’un audio seront projetés dans différents lieux. Au printemps, des vidéos de sensibilisation à l’éco-navigation vont par ailleurs être relayées vers 800 000 plaisanciers.