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Patron solidaire héberge personne sans abri

Par Philippe Lesaffre, le 17 juillet 2023

Journaliste

Les Bureaux du Coeur offrent un espace gratuitement, sans contrepartie ©BDC

Entrepreneurs et salariés, un peu partout en France, ouvrent la porte de leur lieu de travail à des personnes en situation de grande précarité. Le temps de trouver une solution pérenne, en semaine ou le week-end entier, des femmes et des hommes viennent gratuitement passer la nuit dans ces Bureaux du Cœur.

 

Il la croisait souvent en rentrant dans le parking de son entreprise. Une femme sans domicile fixe. Pierre-Yves Loaëc, dirigeant de l’agence de communication Nobilito, ne connaissait rien de son histoire. Mais il trouvait cela absurde qu’elle passe la nuit à l’extérieur de sa société nantaise, alors qu’il y avait de la place à l’intérieur. « Surtout que, sur une semaine, l’espace est inoccupé pendant 70% du temps, que ce soit le soir ou le week-end, calcule Kinda Garman, directrice générale des Bureaux du Cœur. Une association que Pierre-Yves Loaëc a fini par créer, en 2020, avec quelques autres membres du Centre des jeunes dirigeants (CJD) de Nantes.

Leur motivation : mettre en place les conditions pour que des femmes et des hommes, en situation de grande précarité, puissent dormir sous un toit pendant une période de trois à six mois. En tout cas, « le temps de trouver une solution plus pérenne pour chaque individu », note la jeune femme. Les organisations, en général, ont de la place, dans les bureaux, les salles de réunion, et elles peuvent faire preuve de solidarité à l’égard de personnes en détresse absolue. Tant des jeunes exilés en cours de régularisation que des individus qui, à un moment, ont trébuché et connu un accident de parcours. Des femmes ou des hommes qui, à la suite d’une séparation, par exemple, ont fini par dormir dans leur voiture, ou vécu dans la rue.

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Souleymane Diarra et Pierre-Yves Loaëc ©Bureaux du Coeur

 

21 villes et une centaine d’entreprises participantes

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Kinda Garman, directrice générale des Bureaux du Coeur

En revanche, l’idée n’est pas que chaque employeur cherche lui-même les sans-abri. « Nous n’avons pas cette expertise, observe Kinda Garman, et il est plus logique de travailler avec des acteurs de l’accompagnement et de l’insertion sociale. » Pierre-Yves Loaëc, au final, n’a pas accueilli la personne qu’il voyait devant l’entrée de l’agence. « Elle a fini par quitter les lieux et elle n’était pas suivie par une association… » Toujours est-il que les Bureaux du Cœur collaborent avec des structures telles qu’Emmaüs, la Croix-Rouge ou encore des missions locales, qui les mettent en relation avec des personnes dans le besoin, parfois dans un parcours de réinsertion.

Patron solidaire héberge personne sans abri 4Pour l’heure, l’association, lancée en Loire-Atlantique il y a trois ans, est présente dans 21 villes, des grandes et des moins grandes. Une centaine d’organisations ont d’ores et déjà sauté le pas et accueilli des personnes sans-abri, à l’instar de l’agence de design Point Triple, à Lille, d’Amix PTV, une société d’informatique à Caen, mais également deux espaces de coworking Morning, Laffite à Paris, et Pont de Neuilly à Neuilly-sur-Seine, près de la capitale. Ou encore le cabinet de conseil Utopies, dans le 11e arrondissement parisien.

 

 

Un accueil sans contrepartie

Kinda Garman insiste sur le fait que ces dernières n’attendent rien en contrepartie, ce sont « des invités » qui bénéficient d’un espace gratuit : « En échange, ils n’ont pas à réaliser telle ou telle mission. » « Ils », car ce sont plus souvent des hommes âgés de 30 à 35 ans en moyenne. Ils sont seuls et sans enfant (puisque les mineurs ne sont pas autorisés pour des raisons d’horaires et de sécurité). Par ailleurs, les « invités » sont censés ne pas avoir d’addictions avérées, et ne peuvent être en situation d’obligation de quitter le territoire ou sans-papiers.

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Quelques nuits de répit @Monsieur Roni

But du jeu : qu’ils se sentent à l’aise dans ce lieu, censé devenir un cocon pendant leur durée de séjour, les soirs et la nuit, du lundi au vendredi, et tout le week-end. Dans le détail, les équipes leur réservent un espace avec du mobilier récupéré ici ou là (via des prêts ou de l’achat de seconde main, notamment). Au minimum, un lit, une kitchenette, des WC, une douche, une armoire pour ranger les affaires personnelles. Parfois, les entreprises mettent à disposition une télévision ou encore un ordinateur.

On leur fait confiance, ils ont forcément les clés du bureau. Les invités arrivent comme bon leur semble, en fonction de ce qui a été établi au préalable. D’habitude, pour la semaine, à partir de 18h. Et ils restent jusqu’à l’arrivée des salariés le lendemain, à 8-9h. Moment, pour ces personnes, de filer (parfois pour aller au boulot – oui, elles en ont un – ou régler des démarches administratives).

Seule réserve : les « invités » sont censés ne pas avoir d’addictions avérées, et ils ne peuvent pas non plus être en situation d’obligation de quitter le territoire ou sans-papiers.

 

 

 

Des personnes qui retrouvent confiance en elles

« On pousse pour qu’il y ait des rencontres certains matins, qu’ils puissent échanger. Notre objectif est d’offrir une solution à ces personnes, mais surtout de créer du lien social. » Pas du blabla, selon Kinda Garman. « On pense que ces échanges peuvent aider et faire en sorte que ces personnes en situation de grande détresse retrouvent confiance en elles, rebondissent… » Certains peuvent transmettre des CV, en relire, d’autres les accompagner avant un entretien. « Il y a de belles histoires, explique encore la directrice générale des Bureaux du Cœur. J‘ai entendu une fois que quelqu’un avait prêté par exemple à son invité un costume, et même qu’il passe les fêtes de fin d’année dans sa famille… C’est réjouissant… »

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Un salarié avait prêté à son invité un costume… ©Unsplash

Les Bureaux du Cœur travaillent surtout avec des organisations à taille humaine, parfois des assos aussi, pas encore les grands groupes, ni les structures publiques. « C’est que les démarches sont plus longues à mettre en place », explique la responsable, confiante, toutefois, que cela puisse marcher à un moment. Il y a urgence, beaucoup demeurent dans une situation dramatique.

 

Casser les idées reçues

Afin que tout se déroule dans les règles de l’art, il est utile que le bailleur soit aligné avec le projet. Côté assurance, idem. Axa, par exemple, a signé un partenariat avec l’association, et les entreprises sont assurées sans surcoût en cas d’incidents avec leur invité. Manière, également, d’inciter les collaborateurs à s’engager : « Car les invités peuvent prévenir plus rapidement, en cas de vol ou de départ de feu… »

Pour inciter le plus d’employeurs à ouvrir leurs portes, son association sensibilise, bataille contre les idées reçues. Parfois, il arrive que certains, dans les bureaux, refusent au départ – pour mille et une raisons, que ce soit la peur ou le manque de confiance – d’accueillir une personne dans leur local. Mais le regard peut évoluer, et les citoyens changer d’avis… « en voyant, glisse Kinda Garman, que ça fonctionne ». ♦

 

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