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Les mots de Pone dans le ciel de Marseille

Par Agathe Perrier, le 16 janvier 2024

Journaliste

Un faisceau lumineux installé dans la tour du fort Saint-Jean reproduit le mouvement des yeux de Guilhem Gallart, alias Pone, chaque matin et soir © Agathe Perrier
Pone, c’est l’ancien beatmaker de la Fonky Family, Guilhem Gallart de son vrai nom. Alité et privé de sa voix à cause de la maladie de Charcot, il communique avec le monde grâce à ses yeux. Et fort d’une rage de vivre, enchaîne les projets, entre écriture et musique. Une résilience mise en lumière dans la dernière installation artistique du duo Brognon Rollin, à observer jusqu’en juillet dans le ciel de Marseille.

Depuis la mi-janvier, un phare un peu particulier est entré en service à Marseille. Sa vocation n’est pas d’aiguiller les navires arrivant dans le Vieux-Port, mais de diffuser un message. Celui de Guilhem Gallart, alias Pone, cofondateur du mythique groupe de rap Fonky Family dans les années 1990. Cloué au lit par la maladie de Charcot qui l’a petit à petit paralysé (bonus), il a pourtant décidé de se battre pour continuer à vivre. Une hargne et une volonté de fer qui ont inspiré le duo d’artistes franco-belge composé de David Brognon et Stéphanie Rollin.

« Pone nous a tout de suite fascinés par sa capacité de résilience XXL », expliquent-ils. Tous deux travaillent depuis plus de quinze ans sur la question de l’enfermement. « Psychologique avec par exemple le rapport à l’addiction, physique avec le milieu carcéral, géographique avec les îles-prisons (…) Il était donc assez naturel de nous intéresser à la maladie de Charcot », indiquent-ils. En ressort une œuvre, baptisée Le Phare, dont le but est de sensibiliser à cette pathologie neurodégénérative incurable.

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Guilhem Gallart communique grâce à un logiciel de poursuite oculaire qui lui permet d’écrire sur un clavier avec ses yeux © DR

Une œuvre poétique

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Les Brognon Rollin, inspirés par le combat de Pone ©dirtymonitor

Le combat de Guilhem Gallart force, il est vrai, le respect. Bien que tétraplégique, alité et intubé, il continue à composer des chansons, écrire – il a notamment sorti son autobiographie Un peu plus loin au printemps 2023 – et participe à différents projets. Privé de sa voix, il communique grâce à un logiciel de poursuite oculaire qui lui permet d’écrire sur un clavier avec ses yeux. « Nous avons eu l’idée d’enregistrer le déplacement de sa pupille lorsqu’il s’exprime, et de ne capter qu’une seule phrase, une « punchline », qu’on reproduirait ensuite en bord de mer via la lumière d’un phare », rembobinent les deux artistes.

Contacté par le binôme, l’artiste toulousain – mais Marseillais de cœur – a tout de suite été séduit. « En plus de trouver ça incroyable, je pense qu’il y a beaucoup de poésie dans ce projet. Et je suis persuadé que le monde manque de poésie, de légèreté », écrit-il à Marcelle. Après des échanges par mails, ils se sont rencontrés à son domicile de Gaillac, près de la ville rose, pour échanger de « vive voix ». « Quand vous posez une question à Pone, il compose sa réponse sur son écran et une voix électronique diffuse ce qu’il écrit. La discussion est lente, mais bienveillante, voire drôle », se souviennent les artistes. Interrogé sur la manière dont il a travaillé avec le duo, Guilhem Gallart confie : « Un seul mot me vient : fluide, j’ai adoré ».

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La tour du Fanal a dans son passé servi de vigie et même de phare ponctuellement © Julie Cohen (simulation)

Message d’espoir

Ne restait plus qu’à trouver le bon phare. C’est là que le Mucem* est entré dans la danse, en proposant la tour du Fanal – plus connue par les Marseillais sous le nom de « la Tourette » selon Pone. C’est la tour du fort Saint-Jean qui a, dans son passé, servi de vigie et même de phare ponctuellement.

« Ce qui nous a d’abord décidées, c’est le travail de Brognon Rollin. Le duo est très dynamique et fait un travail subtil, riche et engagé, si bien que nous avons eu envie d’accompagner l’élan qu’ils connaissent actuellement », expose Hélia Paukner, conservatrice au sein du musée marseillais et commissaire de l’installation. Et Justine Bohbote, son homologue, de préciser : « C’est aussi parce que la notion de soin est au cœur de cette œuvre. Ce projet s’inscrit pleinement dans l’engagement du Mucem autour de la question du soin et de la santé, qui se reflète dans ses collections ».

Tous les jours jusqu’au mois de juillet, la tour reproduit désormais le mouvement des yeux de Pone. Et à travers cette installation, relaie son message : « Je pense dire un truc bateau, mais tellement vrai me concernant, tout est possible ! ». Il s’explique : « Cette phrase c’est l’histoire de ma vie : toujours croire que c’est possible malgré les pronostics, les diagnostics. Avec le travail, la passion et l’envie, on peut atteindre ses objectifs ». Son parcours le prouve, en témoigne sa femme, Wahiba. « ‘Tout est possible’ représente notamment le fait qu’il puisse continuer les projets. Il a commencé par l’écriture, puis par la musique quand il a réussi à en faire via son logiciel qui n’est pourtant pas adapté. À partir de là, il s’est dit que tous les champs sont possibles. Et dès qu’il imagine un projet, il ne se donne aucune limite ».

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Pour lancer l’activation du Phare, une rencontre avec le public a été organisée au Mucem en présence du duo Brognon Rollin et de Wahiba Gallart, la femme de Pone. Ce dernier a participé en visio-conférence © Agathe Perrier

Un phare tourné vers la ville

Contrairement à un phare traditionnel, celui de la tour du Fanal n’est pas tourné vers la mer. « Les Marseillais vont tout de suite remarquer que ce phare-ci ne se comporte pas tout à fait comme les autres. C’est ce qui va les intriguer. Le faisceau lumineux ne balaie pas régulièrement l’horizon. Au contraire, il est tourné vers la ville et vagabonde dans le ciel. C’est vraiment un détournement poétique qui crée du mystère et suscite la curiosité », souligne Hélia Paukner.

Le signal est diffusé pendant une heure avant le lever du soleil, et une heure après son coucher. « Et de manière aléatoire une fois par nuit », précise la commissaire de l’installation. Quelques mots que l’ancien bad boy – référence au titre d’un album et d’un single de la Fonky Family – dédie « aux gens qui me connaissent, et aux autres, à tous les Marseillais, un peuple unique ». ♦

* Le Mucem est le parrain de la rubrique « culture » de Marcelle. Cet article n’est toutefois pas une commande puisque ce rôle ne donne ni droit de regard, ni ingérence dans le choix des sujets et la ligne éditoriale de notre média. Plus d’informations en cliquant ici.

Bonus

  • La maladie de Charcot ou sclérose latérale amyotrophique (SLA) – Cette maladie neurodégénérative se traduit par une perte des neurones qui commandent notamment la marche, la parole, la déglutition, la respiration. Elle mène en d’autres termes vers la paralysie totale. « Pour 1 patient sur 10, l’origine de la maladie est due à une mutation génétique héréditaire. Dans la grande majorité, 9 patients sur 10, la maladie apparaît après une mutation spontanée d’un gène », selon l’institut du cerveau. Elle toucherait 7 000 personnes en France et 1 000 nouveaux cas seraient diagnostiqués chaque année. L’espérance de vie des patients est de 2 à 5 ans suivant l’apparition des premiers symptômes. Quant à l’âge de début de la maladie, il se situerait vers 59 ans. Pour en savoir plus sur cette pathologie, Pone partage son expérience sur son site La SLA pour les nuls.
  • Trakadom, une asso pour aider les proches – Il est possible de vivre avec la maladie de Charcot, chez soi, à condition d’être appareillé. C’est le choix qu’a fait Guilhem Gallart via la pose d’une trachéotomie ventilée et d’une gastrostomie. Des dispositifs qui nécessitent des soins spécifiques à domicile. L’association Trakadom, qu’il a fondée en 2021 avec les docteurs Thierno Bah et Sylvain Garnier, propose de former à cette prise de soins. « Nous avons depuis créé un diplôme universitaire. Le public visé est essentiellement un panel de professionnels de santé. Le nombre de personnes formées se compte en centaines je dirais », indique Pone. L’objectif est de continuer en élargissant la formation aux aidants et d’obtenir un agrément d’utilité publique.
* Relire l’article « Vivre chez soi malgré une maladie de Charcot »
  • Quelques mots sur les artistes David Brognon et Stéphanie Rollin – Brognon Rollin est un duo franco-belge formé en 2006. Au cœur de leur réflexion se trouve souvent des questionnements éthiques et politiques, ainsi que la rencontre et la relation qu’ils tissent avec autrui. Leur travail a récemment été montré à Dublin ou à Los Angeles. Il est aussi représenté dans plusieurs collections publiques d’ampleur (Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, Collection, MUDAM, Luxembourg, etc). Des exemples de leurs réalisations sont à retrouver ici. Pour leur installation Le Phare, le binôme a été soutenu par le programme Mondes Nouveaux du ministère de la Culture. 430 projets en ont été lauréats sur plus de 3 000 propositions.