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En réa adulte, les proches désormais mieux accueillis 

Par Marie Le Marois, le 27 septembre 2023

Journaliste

Réanimation des urgences de La Timone @AP-HM

Autrefois hermétique, la réanimation adulte s’ouvre aux familles. Elles peuvent désormais voir leurs proches de manière prolongée, être informées et accompagnées par les soignants. Les conditions ne sont cependant pas toujours réunies pour bien les accueillir. Et amplifient une situation de stress déjà majeur. Pour apporter un peu d’humanité à la Réanimation des urgences de la Timone, à Marseille, ses médecins y ont aménagé une salle dédiée. Avec une attention particulière pour les enfants.

 

Triste. C’est le mot qui vient à l’esprit lorsqu’on emprunte le couloir conduisant à la Réanimation des urgences de La Timone. Murs sombres, chaises inconfortables, aucun jeu. Rien. Un néant qui, pour les familles, s’ajoute à l’angoisse d’un pronostic incertain. Derrière les portes battantes, desquelles surgit un brancard avec un patient intubé, l’état des lieux ne vaut pas mieux. Gisent ici et là chariots de linge sale et cartons.

Dans les chambres – dix en tout, des patients amenés aux urgences à cause d’un AVC, d’un accident de la route ou d’une maladie aiguë. « Ils ont atterri ici car leur pronostic vital était engagé. Ils avaient un ou plusieurs organes qui ne fonctionnaient plus », détaille Julien Carvelli, l’un des neuf médecins du service (bonus). Des machines suppléent leurs organes défaillants – cœur, poumons, rein, foie, système nerveux, et les maintiennent en vie. Avec une issue possiblement fatale. « Une personne sur trois meurt chez nous, car nous sommes une réa particulièrement exposée : on accueille de l’urgence vitale ».

 

D’un milieu hermétique…

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Bâtiment des urgences de La Timone construit en 2015. @AP-HM

1500 patients séjournent chaque année dans « ce monde à part », pour reprendre les propos de ce praticien bienveillant. Un monde qui reste méconnu. « Les autres services nous considèrent comme des techniciens. Le public nous confond souvent avec le bloc opératoire ou la salle d’anesthésie », soupire ce trentenaire, dans son bureau orné d’une affiche de Marseille et d’un tee-shirt de l’OM, signé.

La raison de cette méconnaissance est liée selon lui à l’histoire même de la réanimation. Née dans les années 1950 (bonus), elle est restée longtemps « un milieu hermétique ». La mission des soignants était de sauver le patient, pas de prendre soin son entourage. Les familles étaient considérées comme des intrus qui pouvaient potentiellement troubler le déroulé des soins, et donc impacter la santé des malades. Outre les visites réduites à une heure ou deux par jour, l’information médicale restait peu accessible.

 

♦ Selon Famiréa, un million de proches de patients hospitalisés en réanimation souffrent chaque année. Face à leurs difficultés rencontrées, ce groupe de recherche pluridisciplinaire met en place une ligne d’écoute afin de leur apporter « écoute, soutien, information et orientation ».

 

…à une unité ouverte

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Julien Carvelli, l’un des neuf médecins de la Réanimation des urgences de La Timone, à l’origine du projet de la salle des familles. @AP-HM

Cette approche restrictive a évolué « ces dix dernières années ». La médecine s’est rendu compte qu’en réanimation plus qu’ailleurs, soigner un patient, c’est aussi prendre soin de sa famille. Ainsi, les unités ont ouvert leurs portes, 24 heures sur 24, sans condition (durée des visites, nombre de personnes, etc.). 

Au-delà des horaires, la posture d’accueil et la considération vis-à-vis des proches ont fortement changé. Ils ne sont plus de simples visiteurs. Les soignants les écoutent, les accompagnent et les soutiennent. Moments indispensables pour ces personnes bouleversées par l’épreuve si soudaine et déstabilisante dont l’angoisse est amplifiée par cet environnement technique et bruyant. Et parfois par la distance géographique. Certains patients arrivent en effet aux urgences du Vaucluse, du Var, des Alpes-de-Haute-Provence et parfois de Corse.

 

Le proche, partenaire

Loin d’être un élément encombrant, l’entourage devient un partenaire avec qui l’information est régulièrement partagée. Julien Carvelli pense notamment à ce père de famille de 40 ans dont il a réuni les deux enfants de 6 et 9 ans, l’épouse et les parents pour leur délivrer ensemble la situation. En outre, « les entretiens avec les proches permettent de connaître le contexte de vie du patient pour humaniser et individualiser la relation avec lui ». 

Enfin, ils peuvent prendre part aux décisions médicales, réservées autrefois au seul médecin. Ainsi Caroline s’est opposée aux intentions du médecin de débrancher son mari, trois semaines après son accident de moto, à cause du risque de handicap. « On me disait qu’il allait devenir un légume si on persistait. Mais moi, j’avais vu deux jours avant dans son œil droit qu’il s’était réveillé et que tout fonctionnait. Il ne pouvait pas parler ni bouger, mais il était en vie ! », confie cette femme, encore chamboulée.

 

Et témoin

réanimation urgence patient
Un million de proches de patients en réanimation sont en souffrance chaque année. @AP-HM

Enfin, les proches sont les seuls témoins de ce que vit le patient à l’hôpital, celui-ci étant « souvent inconscient, mis sous coma artificiel », explique ce médecin arrivé dans le service en 2016. En effet, l’hospitalisation, si elle dure en moyenne quatre jours, peut être longue. Actuellement, dans le service, un patient souffrant du syndrome de Guillain-Barré, qui provoque une paralysie musculaire, est là depuis un mois « car il ne peut plus respirer ». 

Cette nouvelle prise en charge permet aux familles de se sentir plus soutenues et apaisées. Limite leur risque de développer un syndrome post-réanimation. Enfin, engendre des bénéfices au niveau de la santé psychique et physique du patient.

On pourrait penser qu’à la Réanimation des urgences de La Timone, elle est vaine puisqu’un patient sur trois meurt. « Si elle n’est pas toujours pour le bien du patient, elle l’est toujours pour le bien de la famille ». Et participe à son deuil. 

 

 

Les limites de l’accueil des familles

Urgences La Timone
L’ancien espace d’accueil pour les proches d’un patient en réanimation.

Laisser les portes ouvertes aux proches en continu n’est pas sans poser quelques difficultés. Le risque est que ce soit « le défilé » pour reprendre le terme de Caroline. « Trop de monde passait voir mon mari, il avait besoin de calme et de repos. Les infirmiers ne voulaient pas faire la police. Le médecin a alors restreint les visites à ses parents, ses enfants et à moi ». Autre difficulté : la disponibilité du personnel soignant. À la Réanimation des Urgences de la Timone, une médiatrice formée accueille et accompagne les proches, mais pas la nuit. « Il est alors difficile pour les infirmières, souvent seules, d’être à la fois au chevet des patients et des familles », souligne Julien Carvelli. Raison pour laquelle il préfère ouvrir les portes de midi à minuit « et non 24 heures sur 24 ».  Car, mal accompagner, bâcler l’accueil et l’écoute faute de disponibilité, peut empirer la situation. D’autant que les familles « demandent beaucoup à ce moment ». 

Autre limite : le bâtiment. Pourtant construit en 2015, il n’a pas été conçu pour accueillir les proches. Or, « la rencontre avec les familles nécessite intimité et douceur. Elle ne peut se concevoir au milieu d’un couloir », martèle ce Stéphanois d’origine. En 2023, avec l’aide d’associations dont Pour Le Fil d’Ariane, il a poussé les murs et aménagé un endroit « un peu plus » chaleureux de huit places avec meubles colorés, fauteuils moelleux et livres. Une pièce où sont également menés les entretiens avec les familles. Où elles peuvent attendre ensemble, pleurer sans regards indiscrets, s’épauler dans la douleur. Se reposer.

 

Les enfants, ces invisibles

Réanimation des urgences de la Timone.
Nouvelle salle d’accueil de la Réanimation des urgences de la Timone.

Cette salle, ornée de dessins sur les murs, est principalement dédiée à l’accueil spécifique des jeunes enfants. « Ceux des patients hospitalisés en réanimation restent en effet souvent ‘’’invisibles’’. Peut-être par souci de protection, les familles les écartent de la réanimation. Peut-être par peur ou par manque de temps, les soignants ne questionnent pas leur existence », expose Julien Carvelli. Quel que soit leur âge, ils ont pourtant bien des questions et parfois besoin d’aide. Outre des jeux, des feuilles et des crayons, l’équipe leur met à disposition un livret d’accueil, « où on va leur expliquer ce que c’est la réa, ce qu’on va faire à leur papa ou à leur maman ».

Dans les situations les plus graves – « hospitalisations prolongées en réanimation, décès à venir, mort violente d’un parent » -, l’équipe les inclut dans une démarche de soins. Un entretien avec un psychologue, puis parfois avec l’équipe médicale, se déroule également au sein de cette salle d’accueil.

 

 

Trouver des solutions au cas par cas

Ce praticien « qui fait un peu de tout » – endormir les patients, les placer sous assistance respiratoire, poser tel tuyau… – cherche aussi des solutions pour les familles. Il pense à ce jeune du Var renversé par une voiture. « Il a fallu trouver un hébergement pour sa famille, nous nous sommes tournés vers l’association Pour le Fil d’Ariane qui leur a payé l’hôtel une semaine. On fait de l’humain au cas par cas », confie-t-il. Avant d’ajouter : « On n’est pas des warriors, on essaie juste de faire un peu mieux ».

Après avoir enfilé jean et baskets pour donner un cours de médecine de réanimation à côté, à la fac de Médecine, il montre son nouveau projet : la rénovation complète de l’accueil des familles. Il est prévu de relocaliser les vestiaires femmes et le bureau du psychologue pour fusionner ces pièces avec l’actuelle salle d’accueil. Le projet, financé par le fonds Phocéo, devrait voir le jour début 2024. Avec notamment un bureau d‘entretien et un coin toilette. « Il n’y en a pas actuellement. Ça fait partie du prendre soin », étaye cet humaniste, soucieux du moindre détail pour le mieux-être des familles.♦ 

 

*La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – Petite histoire de la réanimation – La bio du Dr Julien Carvelli –

  • L’hôpital de La Timone compte cinq services de réanimation et trois services de soins intensifs propres à la réanimation. Réanimation des urgences, réanimation cardio-vasculaire, réanimation neurochirurgicale, réanimation pathologie du foie et du tube digestif et réanimation pédiatrique.

 

  • La réanimation est née dans les années 1950, avec l’épidémie de polio et l’avènement d’un respirateur artificiel. Sont survenues ensuite d’autres épidémies, comme la grippe asiatique. Le covid a donné un coup de projecteur sur ce service, lui offrant une légitimité auprès du public, « Ils ont compris ce qu’on faisait ». Le Service de Réanimation des Urgences Hôpital de la Timone a accueilli 400 malades entre mars 2020 et février 2022. Une période paradoxale pour Julien Carvelli, « à la fois exténuante et très stimulante car on avait l’impression de rendre service ». 

 

  • La bio de Julien Carvelli en bref. Ce soignant de 36 ans est arrivé à Marseille en 2011 pour ses études en médecine interne. Il ne se destinait pas à la réanimation, perçue alors comme trop technique. Mais le stage obligatoire dans cette discipline l’a convaincu. « Car c’est un travail d’équipe, beaucoup plus que dans les autres services ». Outre l’enseignement, il mène des recherches sur le fonctionnement « de certaines maladies graves en réa. Par exemple, le Covid et l’atteinte inflammatoire au niveau pulmonaire ».