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Réduire l’impact des pubs : pas encore un réflexe, mais un objectif

Par Philippe Lesaffre, le 9 février 2023

Journaliste

Il faut aujourd'hui réfléchir à faire évoluer les pratiques professionnelles, pour que les structures aient une empreinte la plus positive possible © kate-trysh-unsplash

La publicité incite à consommer, parfois des produits très polluants. Faut-il limiter leur diffusion, en interdisant un certain nombre de campagnes ? Ou orienter les messages afin d’inciter à plus de sobriété ? À la Convention des Entreprises pour le Climat, les agences ont été invitées à « ouvrir leur capot ».

 

On les remarque dans le métro, par exemple. Ces affichages XXL, pour nous inciter à partir en week-end à Barcelone, ou ailleurs en Europe, à bord d’un low-coast, pour deux jours de folie. Et à prix cassé, évidemment. Quitter son train-train quotidien, partir au soleil et s’amuser entre amis… Belle promesse, mais… réclame démodée ? « Ce n’est pas une publicité responsable », observe Olivier Bailloux, responsable responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l’agence Saatchi & Saatchi. La PME, appartenant au groupe Publicis, a fait partie, l’an dernier, de la Convention des Entreprises pour le Climat, une aventure ayant réuni des sociétés de taille et de secteurs différents (et qui a fait des émules à des niveaux régionaux).

Réduire l'impact des pubs : pas encore un « réflexe », mais un objectif
5% des Français seraient pour moins d’écrans publicitaires numériques au sein de l’espace public © aleks-marinkovic-unsplash

Olivier Bailloux, de par son poste, a représenté sa société, invitée pendant plusieurs mois à « ouvrir son ‘capot’ », comme il dit. Avec cette intention de « revoir son modèle économique », de fond en comble. Car l’idée, pour les sociétés, à l’heure où la prise de conscience écologique des citoyens progresse à vitesse grand V, n’est plus de « faire ‘moins mal’ » ou de « pratiquer la RSE ‘à l’ancienne’ », dixit Olivier.

 

« Meilleur pour le monde »


Autrement dit, de se contenter de limiter les impacts écologiques et carbone générés par l’activité des agences de publicité. Il faut aller plus loin. C’est-à-dire « réfléchir de façon générale à faire évoluer les pratiques professionnelles » pour que les structures aient une empreinte la plus positive possible. Et se transformer, au final, en entreprise… régénératrice (concept précédemment expliqué par Marcelle). Il s’agit, comme l’expliquerait Thomas Breuzard, l’un des dirigeants de la « perma-entreprise » Norsys et coprésident de l’association B-lab-France (lire bonus), d’essayer d’être « meilleur… pour le monde plutôt que d’être le meilleur au monde » (1).

Réduire l'impact des pubs : pas encore un réflexe, mais un objectif
© Grenpeace

Mais comment y arriver ? Nous nous interrogeons. Faut-il limiter la diffusion de publicités sur l’espace public ? D’après un sondage BVA commandé pour Greenpeace en janvier dernier, 85% des Français se sont prononcés en faveur d’une réduction du nombre des écrans numériques publicitaires visibles au sein de l’espace public. 54% demandent même leur interdiction… à l’instar, d’ailleurs, de l’ONG, à l’origine d’une pétition en ce sens sur Greenvoice. L’Adème rappelle qu’on en comptait en France 55 000 de tailles variables en 2019, contre 40 000 deux ans auparavant. La progression est rapide, pour ces panneaux très énergivores, comme le rappelle l’Adème.

Il y a les appareils par lesquels les affichages sont diffusés, et il y a les campagnes. La question qui fâche : devrions-nous interdire certaines publicités si elles visent à mettre en lumière des produits ou des services trop polluants ?

 

♦ Lire aussi l’article : Régénérer l’environnement, le nouveau pouvoir des entreprises

 

« Orienter les messages »

Réduire l'impact des pubs : pas encore un « réflexe », mais un objectif 2
Faut-il mettre fin aux campagnes sur les très polluants SUV ? © Pixabay

Depuis l’été dernier, justement, il n’est plus autorisé de proposer des réclames pour les énergies fossiles, règle issue de la loi Climat et résilience, votée en 2020. La disposition concerne les produits pétroliers, les énergies issues du charbon minier et l’hydrogène carboné – sachant que le gaz a obtenu un sursis jusqu’au 30 juin 2023. Mais faudrait-il se montrer plus restrictif ? Certains, par exemple à la Convention citoyenne pour le climat, préconisaient de mettre fin aux campagnes des très polluants SUV (Véhicule Utilitaire Sport) ou, de manière plus générale, des « produits ayant un fort impact sur l’environnement ». En tout cas, d’en réduire fortement leur diffusion.

« Une agence n’a pas à donner son avis sur ce sujet », rétorque Olivier Bailloux. Difficile, en effet, pour une agence, de se positionner sur ce type de mesures. Sans doute compliqué de refuser par exemple un client au prétexte que celui-ci vise à promouvoir un produit « impactant », au hasard, le secteur automobile… Toutefois, il est possible de « réorienter les messages que l’on souhaite diffuser », estime-t-il.

 

Le « pouvoir » des réclames

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En 2021, campagne de publicité Enercoop by Saatchi & Saatchi

En d’autres termes, grâce à la publicité, il est « envisageable d’indiquer un autre chemin ». En somme, poursuit-il, « inviter, via des campagnes, à consommer autrement ». Par exemple, « pour un affichage à destination d’Enercoop, la coopérative d’électricité renouvelable, nous avons présenté la facture d’électricité non comme une dépense, mais comme un investissement écologique ». Son idée, ainsi : transformer les habitudes des uns et des autres, pourquoi pas, à l’avenir, « mettre en avant, de plus en plus, la mobilité douce ». Pour Saatchi & Saatchi, mais pour les autres agences également, tel est sans doute « le pouvoir » des réclames.

Celui-ci est clairement établi. Une étude universitaire a pu montrer qu’en France 30 milliards d’euros avaient été dépensés chaque année entre 1992 et 2019 par les annonceurs, et que cela avait conduit à une augmentation cumulée de 5,3% de la consommation. Étude citée par l‘association Communication et démocratie dans un rapport paru l’an dernier, avec l’Institut Veblen (en bonus). L’Adème estime que ces dépenses annuelles devraient même augmenter à l’avenir.

 

♦ Et relire : La permaentreprise de Sylvain Breuzard

 

Réduire l’empreinte des pubs

Réduire l'impact des pubs : pas encore un « réflexe », mais un objectif 3
Deux leviers : les messages de la publicité mais aussi leur fabrication. Pour tendre vers des campagnes écoresponsables © Pixabay

La publicité est vue comme persuasive, et les Français déclarent s’en rendre compte. « Selon le baromètre de la consommation responsable (Greenflex/Adème), datant de 2021, 77% des interrogés disent être d’accord qu’ « en périodes promotionnelles, les marques font tout pour nous faire acheter des produits dont nous n’avons pas vraiment besoin ».

D’où l’intérêt de s’en servir pour éveiller les consciences et de ne plus inciter à surconsommer… tout en se montrant responsable, du côté des producteurs de publicités. De nombreuses entreprises, même si elles n’en ont pas l’obligation (comme Marcelle l’avait raconté), mesurent ce qu’elles génèrent. Savoir, comprendre… pour mieux agir, et réduire son empreinte carbone. Qu’en est-il du côté des agences de pub ? L’impact des communications est-il calculé ? Les professionnels commencent à s’y employer. Ne reste plus qu’à accélérer le schmilblick. À la CEC, les participant.e.s ont créé une feuille de route à long terme afin de formuler des engagements concrets pour les prochaines années.

Et pour Saatchi & Saatchi (mais pour les autres, aussi), l’idée est bien qu’à terme, d’ici 2030, toutes les campagnes publicitaires soient écoresponsables. En clair, plus sobres en carbone. « Pour l’heure, ce n’est pas encore un réflexe, un critère systématique… Mais, oui, il faut que ça devienne une habitude dans les agences. » Qu’attendent-elles ? Pour lui, « cela ne se décrète pas du jour au lendemain, car cela se prépare bien en amont ». Et puis il faut sensibiliser en interne, pour que l’ensemble des collaborateurs s’y mette, tant les équipes commerciales que créatives.

 

Réflexion sur les tournages

L’ambition est de pouvoir « prendre en considération l’impact d’une production », en somme que cela figure dans les critères au même titre que le prix final, la qualité ainsi que le délai. Or, beaucoup se joue au tournage, en particulier. « Les postes les plus impactants sont les déplacements et la vie autour du tournage, c’est-à-dire l’hébergement et les repas, indique Olivier Bailloux. Pour lui, il est notamment capital de penser aux lieux de tournage. « Il faut y réfléchir en amont, également dans le but de limiter les allers-retours, notamment en vue des repérages. » Des habitudes pas encore totalement ancrées, mais qu’il faut adopter, et puis généraliser à la profession. « Cela prendra du temps », admet-il.

Début février 2023, Olivier Bailloux nous indique justement que, pour l’assureur Matmut, son agence vient de réaliser « un tournage éco-conçu ». Nous demandons une précision. « Les équipes se sont rendues à Barcelone en train le plus possible. Et nous avons réduit les impacts pour le catering et le décor. » ♦

 

(1) Thomas Breuzard a utilisé ces mots sur les ondes de la radio Airzen, à propos des entreprises labellisées B Corp.

 

Bonus
  • La certification B Corp. Plus de 6000 entreprises dans le monde ont d’ores et déjà été certifiées B Corp. Un label compliqué et long à obtenir pour les sociétés. En Europe, on en comptait au début de l’année plus de 1100, dont 270 en France. L’association B-lab France représente cette communauté dans l’Hexagone. Beaucoup d’entrepreneurs se lancent dans les démarches de certification pour de nombreuses raisons (pour améliorer leur image, pour respecter la réglementation ou parce que c’est une demande de la part de clients, etc.). Avant d’être audités, ils peuvent s’auto-évaluer gratuitement via l’outil de B Corp (B Impact Assesment). Utile pour comprendre comment… progresser.

 

  • Communication et démocratie se mobilise pour réguler davantage les activités de communication des grandes entreprises, et la structure soutient l’idée de la mise en place d’une taxe sur la publicité dans le projet de loi de finances 2023, pour lutter contre le consumérisme.