Fermer

Remplir les Frigos Solidaires plutôt que gaspiller

Par Audrey Savournin, le 17 avril 2024

Journaliste

C'est devant son restaurant parisien
Selon l’Observatoire des vulnérabilités alimentaires de la Fondation Nestlé France, fin 2023, 37% de Français déclaraient ne pas avoir accès de manière régulière à une alimentation saine et suffisante. Dans le même temps, le gaspillage alimentaire était estimé à 8,7 millions de tonnes dans l’Hexagone en 2020. 60 kg par an et par habitant. Imaginés par Dounia Mebtoul en 2017, Les Frigos Solidaires répondent à cette double problématique. On peut en effet y déposer de la nourriture pour les plus démunis et s’y servir quand on est en difficulté. Coup de projecteur sur le réseau marseillais.

10 millions. C’est le nombre de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire en France, selon la Fédération française du bénévolat associatif. Et c’est une infime partie de ceux qui en ont besoin. Car 80% des Français en insécurité alimentaire préfèrent s’en passer. La moitié parce qu’ils ne sont pas à l’aise dans les lieux de distribution. Un frein que font sauter Les Frigos Solidaires. Des réfrigérateurs en accès libre implantés devant des commerces, des restaurants, des écoles mais aussi sur un campus universitaire ou dans des locaux associatifs. Le principe est élémentaire : chacun peut y déposer des invendus ou des dons, pour que d’autres puissent se nourrir.

Remplir les Frigos Solidaires plutôt que gaspiller 5
Malika et Dounia Mebtoul, le duo à l’origine des Frigos Solidaires. © DR

Un modèle importé de Londres

Une innovation sociale et « anti-gaspi » imaginée en 2017 par Dounia Mebtoul et sa mère Malika, alors restauratrices dans un tiers-lieu parisien.

« On a découvert un frigo de ce type dans un marché couvert à Londres et on a créé le premier de France au milieu de la terrasse de notre établissement, retrace-t-elle. Grâce à une campagne de crowdfunding. Des commerçants et des habitants des alentours l’alimentaient, on touchait environ 80 bénéficiaires par jour. Puis Identités Mutuelle nous a aidées, ça a été médiatisé, relayé par des influenceurs… Et on a commencé à être contactées par des porteurs de projets pour essaimer. »

160 frigos en France

Sept ans plus tard, 160 Frigos Solidaires étaient installés partout en France. Selon les estimations de l’association, plus de 3000 personnes en bénéficient au quotidien.

Remplir les Frigos Solidaires plutôt que gaspiller
Le restaurateur Paul Khouri héberge un frigo devant son restaurant Asabiya, à Marseille, depuis un peu plus d’un an. © Audrey Savournin

À Marseille par exemple, la dynamique est lancée. Un frigo est installé devant le restaurant Asabiya (6e) depuis un peu plus d’un an, un autre devant la Laverie Sociale (1er) depuis novembre dernier, un troisième vient d’être livré à l’Armée du Salut (3e). Chez Asabiya, Paul Khouri apprécie particulièrement le côté « anonymisé, sans formulaire », de cette distribution indirecte. Le restaurateur a fait le choix de le placer derrière sa devanture « pour se caler sur les horaires d’ouverture » et le protéger de l’agitation nocturne festive du quartier. « Il fait partie du décor », sourit-il après avoir relevé la grille.

Même constat à la Laverie Sociale (voir bonus), où c’est l’éducatrice référente du lieu, Nadia Ouhmich, qui veille sur le matériel. Elle, a voulu le laisser à l’extérieur, pour qu’il soit accessible en permanence. En particulier quand les rues se vident. « Comme ça il n’y aucune gêne, aucune honte » insiste-t-elle entre le réglage d’une machine à laver et la prise de rendez-vous pour une prochaine lessive. Le lieu permettant à des personnes orientées par des prescripteurs de laver leur linge pour un euro.

De son bureau, elle ne voit pas le frigo. Mais elle a tout de même pu constater que des habitués avaient repéré les jours d’approvisionnement. Que les bénéficiaires ne sont pas tous des SDF. Que certains sont étudiants, d’autres guettent la viande… Enfin elle a vite noté que quand quelque chose est déposé, « ça part super vite, en quelques heures ».

Remplir les Frigos Solidaires plutôt que gaspiller 3
Nadia Ouhmich ne ménage pas ses efforts pour que le frigo de la Laverie Sociale soit rempli. Mais il est sans cesse dévalisé. © Audrey Savournin

« Plus de demande que d’offre »

Un constat là encore partagé par Paul Khouri. «Il y a plus de demande que d’offre malheureusement, admet-il. On y met nos invendus, un autre restaurant le fait, des gens du quartier participent, mais on aurait besoin d’un approvisionnement plus régulier. La seule présence du frigo ne suffit pas, il faut communiquer, relancer régulièrement les commerçants… Sinon, ça retombe. »

Un travail que Nadia Ouhmich a pu confier à des stagiaires, chargés de sensibiliser le quartier avec des flyers. « Certains déposent des yaourts, du fromage, des compotes. Des boulangeries laissent des pizzas, des sandwichs, des pâtisseries… Puis on s’appuie sur des associations. »

L’aide précieuse des associations

Essentiellement On se Gèle Dehors, qui vient en aide aux sans-abri, et ne ménage pas ses efforts pour approvisionner un frigo « toujours vide », regrette Daniel Jacquin, le président de cette association. « Même quand on le remplit à ras-bord, en un jour ou deux il n’y a plus rien…» Chaque matin, avec deux bénévoles, il fait la tournée de magasins, supérettes, boulangeries, pour récupérer des provisions. Mais les bras manquent pour récolter davantage.

Remplir les Frigos Solidaires plutôt que gaspiller 1
Les frigos sont fournis avec un meuble en bois, sur roulettes, affichant les règles de fonctionnement. © Audrey Savournin

D’où l’importance du choix des implantations : au plus près d’associations donatrices et de commerçants, avec des « structures accueillantes » investies. Convaincus ou à convaincre. « Il y a parfois un peu de réticence par rapport à l’entretien du frigo, à la vérification des denrées, mais c’est finalement peu contraignant, insiste Dounia Mebtoul. Il suffit de pouvoir brancher le frigo, qui est sur roulettes, fourni dans un meuble en bois, avec les supports de communication expliquant son fonctionnement aux utilisateurs. Et on gère les réparations si besoin, en sachant qu’on ne constate pas de dégradations ni de vols.» Coût de l’investissement : 1 600 euros, parfois mobilisés grâce au mécénat, parfois grâce à des subventions municipales.

Des mairies en soutien

Toujours à Marseille, la maire des 6e et 8e arrondissement a ainsi voté à l’unanimité en juin dernier l’installation d’un frigo solidaire dans son secteur. À l’initiative du Conseil des enfants (voir bonus) qui a officiellement émis ce vœu « pour que les gens qu’ils voient mendier n’aient plus faim », résume Juliette Masson, adjointe aux écoles et à la place de l’enfant dans ce secteur. « Ils voulaient mettre en place des lieux où déposer de la nourriture, on leur a proposé des solutions et ils ont retenu ce système. On aimerait pouvoir l’inaugurer avant les vacances d’été mais il faut encore déterminer où l’installer. » Plusieurs pistes sont à l’étude avec des commerçants.

« C’est intéressant de voir comment la solidarité se crée sur un territoire, analyse Dounia Mebtoul. Aucun frigo ne se ressemble. » ♦

*Le fonds de dotation Compagnie Fruitière parraine la rubrique ALIMENTATION et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – La Laverie Sociale de Marseille – Un conseil d’arrondissement des enfants – Les chiffres de l’Observatoire des Vulnérabilités Alimentaires –