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« Sur l’Adamant », doc consolateur sur la psychiatrie

Par Nathania Cahen, le 20 novembre 2023

Journaliste

L'Adamant, amarré au pied du pont Charles de Gaulle, sur la rive droite de la Seine (Parie 12e) ©DR
En partenariat avec Marcelle, un « cinéthique » (projection suivie d’un débat) s’est intéressé au documentaire Sur l’Adamant (Ours d’or à Berlin en 2023). L’occasion de parler psychiatrie, maladies mentales et accompagnement – notamment.

 

L’Adamant ? Ce Centre de Jour unique en son genre est un bâtiment flottant édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, qui accueille des adultes souffrant de troubles psychiques (lire bonus). Ce film est une incursion à bord, à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien. La projection a été suivie d’une conversation débat avec le Dr Jean-Marc Chabannes, Chef de service de psychiatrie et Vice-président de la CME de l’AP-HM (assistance publique hôpitaux de Marseille).

 

« Ceux qui font la psychiatrie de demain, ce sont notamment les patients »

"Sur l'Adamant", débrief du cinéthique 1« Ce film très sensible, qui met un visage profondément humain sur l’exercice de la psychiatrie. Avec des moments très forts, à commencer par la reprise par un patient de la chanson La Bombe humaine en prologue. Qui montre que ceux qui font la psychiatrie de demain, ce sont notamment les patients, des patients attachants et attachés », a résumé le médecin.

Puis il a évoqué dans le désordre ce que ce long métrage lui a inspiré : « Je suis loin d’être persuadé que cette psychiatrie est partagée par la majorité, mais l’exercice institutionnel de la psychiatrie fondé après-guerre n’est plus le seul. Pour soigner, il faut des équipes elles-mêmes en bonne santé. La maladie qui isole du reste du monde et des phrases qui marquent : « les amis ça me manque », « j’ai perdu ma liberté », « j’ai pas le droit »…  Quand l’infirmière ouvre les persiennes – à la fois une odeur de liberté mais aussi l’évocation des barreaux d’une prison. L’importance de la culture, précieux médiateur relationnel : musique, dessin, photo, danse…

Ce drôle de patient artiste qui évoque Aristide Briand et signe une chanson intitulée Open the doors ».

 

Une vraie maladie
"Sur l'Adamant", doc consolateur sur la psychiatrie
Dr Jean-Marc Chabannes, Chef de service de psychiatrie © Christophe Asso-AP-HM

Le Dr Chabannes rappelle que la psychiatrie n’est pas la santé mentale. On soigne là une vraie maladie, une vraie souffrance. Pourtant, selon lui, aujourd’hui l’enseignement en la matière n’est pas adapté. « J’ai 30 ans de psychiatrie derrière moi, j’ai fréquenté beaucoup de patients et d’après mon expérience, je pense qu’on passe à côté de quelque chose ».

Ce film est donc une réconciliation : « Heureusement, il y a des gens qui continuent à penser que la psychiatrie c’est ça, rompre l’isolement, accompagner, mais pas forcément guérir ». Et de citer l’exemple de cet homme qui dans le documentaire pèle les mangues tout en se bouchant régulièrement l’oreille pour échapper à ses voix.

 

L’attention, l’écoute, le temps accordé à chaque patient

Beaucoup d’entre nous prenons ce temps. C’est un choix, le choix d’une certaine psy, de ceux avec qui je partage une communauté de pensée. On en aimerait plus du temps mais on ne manque de passion.

Dans les service de jour des hôpitaux psychiatriques de Marseille (pôle psy de l’AP-HM, Edouard Toulouse et Valvert) l’accueil est du même ordre que sur l’Adamant. Même si être sur une péniche est exceptionnel. On trouve partout une communauté de travail.

 

Des malades que le film rend accessibles et pleins d’humanité

« On est dans un hôpital, mais pas une blouse, pointe le Dr Chabannes. Ceux qui le veulent la portent. Je pense que si j’étais patient, je préfèrerais qu’il n’y en ait pas. C’est compliqué d’aller consulter, si on ajoute en plus la blouse du sachant, ça peut ralentir l’élan. Ne pas en porter signifiant, rend l’échange plus simple, permet d’être à la même hauteur ».

Le psychiatre souligne aussi la productivité artistique des patients de L’Adamant : musique, chansons, peinture, danse… « ils sont très créatifs ».

Ce qui transparaît aussi, beaucoup, est la question de la souffrance. « Il faut se laisser guider par ce qui disent les patients ».

 

 

Un spectateur pose la question de la guérison des maladies psychiatriques
"Sur l'Adamant", débrief du cinéthique 2
Atelier peinture à bord de l’Adamant © Films du Losange

« Moi j’ai tendance à dire que oui, il y a guérison, répond Jean-Marc Chabannes. Beaucoup de patients sortent d’un épisode aigu de leur maladie et reprennent leur vie. Après qu’est-ce que la folie, vivre avec la folie ?

Néanmoins, cela reste souvent une maladie chronique. Qui reste longtemps. Alors, guérir ce n’est pas certain, mais accompagner, certainement. Faire en sorte qu’on puisse vivre avec sa pathologie, ses névroses… »

Il ajoute : « Il y a des patients qui s’effondreraient si on détruisait complètement leur délire avec des médicaments. Car ce peut être leur pulsion de vie ».

La Dr Pascale Giravalli, est également psychiatre. Avec des soignants résilients et engagés, elle s’occupe notamment de personnes détenues. Elle complète : « Cela dépend. Soit on pense que c’est quelque chose à éradiquer ou bien une façon d’être au monde. De l’appréhender de façon différente. Cela amène à penser la différence et le rapport à soi.

Soigner, c’est accompagner, être là. Avec. Maintenir le lien pour ne juste être dans ‘il faut prendre le traitement’ ».

L’un des problèmes est le turn over des équipes. Elles changent beaucoup, or ces patients ont besoin de stabilité : comment sécuriser des lieux de soin, contenance psychique.

 

Sur la violence des patients envers eux-mêmes et les autres

Le passage à l’acte est possible. Cela fait partie des préoccupations. Sachant qu’ensuite c’est la prison ou l’internement.

On relève dans le film que la plupart des patients sont très conscients de leur maladie, plutôt lucides. Ils l’évoquent en tant que patients, en conscience, parlent médicaments, troubles, voix…

 

À propos du lien avec les familles

« Le lien est conservé si le patient en a envie, observe le Dr Chabannes. Quand on est atteint d’une maladie, a fortiori psychique, ce peut être compliqué. On travaille la question, notamment quand ça va mieux, qu’il y a désir d’aller de nouveau à la rencontre de l’autre. Voire même du désir amoureux ». ♦

 

♦ Prochain cinéthique mardi 30 janvier à 20h au cinéma Les Variétés (Marseille, 1er). Au programme, le film d’animation japonais Silent Voice (Naoko Yamada – 2018) pour évoquer le harcèlement scolaire.

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Bonus
  • À propos de l’Adamant. Le Centre de Jour L’Adamant est un bâtiment flottant situé au pied du pont Charles de Gaulle, sur la rive droite de la Seine.

Ce bâtiment, qui respecte les normes Haute Qualité Environnementale, a été spécialement créé pour être un Centre de Jour. Le cabinet d’architecte qui l’a conçu a travaillé en liens étroits avec l’équipe et les patients du centre.

L’Adamant accueille des patients adultes ressortissants des 4 premiers arrondissements de Paris autour d’un suivi organisé à partir d’accueil et de groupes à visée thérapeutique, soutenu et structuré par des entretiens réguliers avec le médecin responsable et les référents du patient. Ils sont adressés par les autres structures de soin du pôle Paris Centre, des médecins privés ou des partenaires du secteur.

Les soins proposés s’articulent autour de trois axes : accueil, ateliers thérapeutiques médiatisés et accompagnements de réhabilitation psychosociale.

L’équipe se compose de psychiatres, psychologues, infirmiers, ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, psychomotricien, coordinateur des soins, secrétaire médicale, agents de service hospitalier et de divers intervenants extérieurs (artistes et art-thérapeutes).

 

  • Pour les cinéphiles qui en veulent davantage Folle embellie, de Dominique Cabrera (2003). Juin 1940 : l’exode a vidé les maisons. Au bord de la Loire, les grilles d’un asile se sont entrouvertes. Quelques pensionnaires vont les franchir. C’est l’été. Le plus bel été du siècle. Un été inoubliable pour Alida, Fernand, Julien, Lucie, Colette et les autres. Dans ce pays qui a perdu la tête, ils vont vivre ensemble une folle embellie : la liberté…