Fermer

Le premier verger urbain participatif et scientifique

Par Audrey Savournin, le 4 mars 2024

Journaliste

Le terrain de 4000m² est coincé entre une partie couverte de la rocade L2 et des ruelles résidentielles. © Audrey Savournin
La jeune association marseillaise VVOUM (Vers des vergers ouverts urbains méditerranéens) crée le premier jardin partagé à vocation sociale ET scientifique : La Bastide à Fruits. Citoyens bénévoles et chercheurs s’y partagent les tâches. 60 arbres fruitiers et 160 arbustes y ont récemment été plantés, à deux pas d’une station de métro.

14 h, mercredi 14 février. L’heure de se remettre au boulot après une courte pause pizza-café. Sylvain Takerkart rassemble les troupes présentes depuis le matin, accueille les nouveaux arrivants et oriente la trentaine de jardiniers bénévoles vers les rangs à planter. Bien dans son rôle d’initiateur et président de VVOUM (Vers des vergers ouverts urbains méditerranéens). Une association créée en 2021 pour porter le projet de « La Bastide à Fruits ». Un premier verger collectif, participatif et scientifique, coincé entre une partie couverte de la rocade L2, sous la station de métro La Fourragère à Marseille, et des ruelles résidentielles.

Associer vie de quartier, préservation de la nature et recherche

Un premier verger urbain participatif et scientifique 4
L’ancienne friche est désormais un grand laboratoire où jardinent les habitants du quartier. © Audrey Savournin

4 000 m² jusque-là en friche, sur un ancien domaine bastidaire, sont devenus un grand laboratoire d’agroécologie (voir bonus) en plein air. Car si l’espace a été mis à disposition par la Ville sous forme de jardin partagé, au printemps 2023, il a également une vocation plus pointue.

« À la base, des habitants du quartier se sont inquiétés du devenir de ce terrain. Ils voulaient le préserver, éviter que ça se construise, retrace le président de VVOUM. Puis je suis allé discuter avec des chercheurs pour que le projet serve aussi pour faire avancer la recherche en agronomie bio et agroforesterie. » C’est que Sylvain Takerkart travaille lui-même au CNRS, en neurosciences, en plus d’aimer le jardinage en général et les arbres fruitiers en particulier.

> Lire aussi l’article : Le bassin de Thau, éden menacé des hippocampes (et des sciences participatives)
Un premier verger urbain participatif et scientifique 5
60 abricotiers et amandiers sont associés avec précision à 160 arbustes. © Audrey Savournin

Enrichir la biodiversité plutôt qu’utiliser des pesticides

Une collaboration s’est donc engagée avec le Grab (groupement de recherche en agriculture biologique – voir bonus) pour co-concevoir ce verger unique en son genre et le suivre de près. Le choix s’est finalement porté sur 60 abricotiers et amandiers – qui présentent l’avantage de produire des fruits en décalé et en dehors du plein été – associés à 160 arbustes. Une combinaison essentielle puisque ces derniers, en enrichissant la biodiversité, pourraient permettre de réduire les intrants chimiques. « Les maladies du verger viennent de la monoculture, explicite Sylvain Takerkart. Il n’y a pas de diversité, l’écosystème est déséquilibré. En réintroduisant une diversité végétale, on attire des insectes bénéfiques pour les arbres productifs, qui viennent manger ceux délétères. » L’insecticide naturel par excellence.

> Lire aussi l’article : Les chercheurs en appellent au grand public pour scruter les fonds marins
Un premier verger urbain participatif et scientifique 1
Les bénévoles écoutent attentivement les consignes, plan en main. © Audrey Savournin

D’où la plantation de haies diversifiées au préalable et de multiples arbustes entre les arbres, dans un ordre bien précis. En cet après-midi ensoleillé de « chantier », chaque plant est ainsi couché sur son futur emplacement, sur la toile de chanvre préalablement posée au sol. Et chaque participant tient un plan en main. Armé d’un cutter ou d’une petite pelle, pour inciser la toile ou commencer à creuser, chacun écoute attentivement les consignes. Soucieux de respecter les exigences scientifiques de ce projet de recherche participative financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche).

Étudier la fixation de l’azote pour limiter les engrais

Car au-delà de la question de l’impact de la biodiversité se pose aussi celle de la fixation de l’azote, qui est « très peu étudiée dans les vergers » insiste le chef de file. Rappelant que l’azote est l’un des principaux nutriments favorisant la croissance des plantes. Et peut permettre de réduire les apports extérieurs en engrais notamment. « On sait que certains arbustes le fixent par leur racine, mais on ne sait pas s’ils le transmettent aux végétaux voisins. » L’équipe a donc choisi des fixateurs d’azote et des non-fixateurs pour pouvoir comparer.

Un vaste champ expérimental

Un premier verger urbain participatif et scientifique 2
Lina Faraj entretient la partie de la parcelle réservée à l’expérimentation de l’agriculture syntropique. © Audrey Savournin

Charge ensuite aux bénévoles d’entretenir le verger en suivant les protocoles à la lettre, coordonnés par un animateur. Et aux chercheurs de venir y mesurer l’azote dans les feuilles ou y prélever de la terre pour étudier les micro-organismes. « Chaque laboratoire a sa question scientifique et sa méthodologie. » Au-delà des interrogations du Grab, l’Imsic (Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication) se penche sur la communication environnementale ou encore la participation citoyenne, l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) sur l’écodéveloppement et les associations de plantes et l’IMBE (Institut méditerranéen de la biodiversité et d’écologie marine et continentale) sur un suivi longitudinal de la biodiversité des sols.

Sans compter qu’une partie de la parcelle, encore plus complexe, permet d’expérimenter l’agriculture syntropique (voir bonus). C’est-à-dire qui repose sur une diversité importante de plantes, cultivées à haute densité, dans leurs conditions optimales de lumière et de fertilité.

Hors protocole cette fois. « Disons qu’on profite de ce terrain de jeu pour appliquer ces principes. Qui sont très connus au Brésil mais très peu en milieu tempéré et encore moins en milieu méditerranéen, sourit Lina Faraj, membre du conseil d’administration de VVOUM et spécialiste de l’agroforesterie (voir bonus). Cela permet d’habituer l’œil du citoyen, de vulgariser… »

 

Un premier verger urbain participatif et scientifique 3
Plus de 350 personnes ont participé aux chantiers préparatoires. © Audrey Savournin

« Un fort potentiel à Marseille »

Quant aux résultats des recherches, ils ne sont pas attendus avant cinq à dix ans. Mais La Bastide à Fruits est prometteuse. « Les habitants viennent nombreux. Ils ont besoin de nature mais aussi une appétence pour le scientifique. Cela fonctionne bien », se réjouit le président de VVOUM, qui a pu s’appuyer sur plus de 350 personnes au fil de la trentaine de chantiers préparatoires.

Il se verrait bien « essaimer » et créer d’autres vergers de ce type à Marseille. D’autant que la ville compte « beaucoup d’espaces encore naturels, cartographiés notamment par la Cité de l’agriculture. Il y a un fort potentiel. Mais il va nous falloir d’autres moyens…» ♦

 

* Lire aussi l’article : La Cité de l’agriculture, petits actes pour grands changements

 

Bonus

[pour les abonnés] Agroécologie, agriculture syntropique, agroforesterie… : définitions – Le Groupe de recherche en agriculture biologique (Grab) –

Ce contenu est réservé à nos abonnés. Soutenez-nous en vous abonnant !.
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous.