L’institut de recherche Ifremer a lancé à la fin de l’été « Espions des Océans », une plateforme de sciences participatives. Les citoyens et citoyennes volontaires sont invités à analyser des photos des fonds marins pour identifier les espèces qui y vivent. De quoi faire gagner du temps aux scientifiques et les aider à mieux connaître les océans, dont à peine 25% de la surface a été cartographiée à ce jour.
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Quelle vie se cache dans les fonds marins ? La question anime de nombreux scientifiques. Pour le savoir, ils installent de part et d’autre des océans des « observatoires » – des ensembles d’instruments collectant des données. Notamment des caméras qui capturent le quotidien des espèces à raison de plusieurs minutes par jour. « On récupère des heures de vidéos, mais on n’a plus les moyens humains pour les analyser. D’où l’idée de « demander de l’aide » aux citoyens », explique Catherine Borremans, ingénieure biologiste imagerie à l’Ifremer (bonus) et coordinatrice de l’application Espions des Océans. Tout un chacun est invité à se connecter à cette plateforme pour inspecter les fameuses images et y pointer la faune présente.
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Dans la peau des chercheurs
Pour se mettre dans la peau des scientifiques, rien de plus simple. Il faut d’abord créer un compte sur la plateforme. Puis choisir, entre trois écosystèmes, celui que l’on veut explorer : les récifs de corail d’eau froide du canyon de Lampaul à 300 km des côtes bretonnes, les fonds de la rade de Brest ou les geysers situés à plus de 1700 m de profondeur au large des Açores. Si l’objectif est identique – repérer et annoter la faune – les espèces varient d’un site à l’autre. Des listes et des photos guident les utilisateurs, sachant qu’il est possible de ne rien trouver sur certaines images. Il manque néanmoins un tutoriel plus précis, que l’Ifremer devrait rajouter prochainement confie Catherine Borremans.
Les volontaires ont en tout cas la totale confiance des scientifiques. « Le but est d’essayer de retrouver tout ce qui est présent, sans non plus chercher des choses là où il n’y en a pas. Ce qu’on demande d’annoter est à la portée de tous, ce n’est pas compliqué », rassure la coordinatrice d’Espions des Océans. Seule requête : que les observateurs en herbe se servent d’un ordinateur ou d’une tablette. « La plateforme est adaptée à la visualisation sur smartphone, mais l’écran est trop petit pour l’annotation », précise-t-elle.
Précieuses données
Le but d’Espions des Océans étant de soulager le travail des scientifiques, les annotations des particuliers ne sont pas vérifiées. Pour s’assurer d’obtenir des données de qualité, une même image est donc soumise à plusieurs utilisateurs différents. Les observations sont ensuite comparées grâce à des méthodes statistiques, qui indiquent aux chercheurs ce qui ressort le plus sur les clichés et s’il y a beaucoup d’oublis.
Ces données se révèlent bien utiles dans la poursuite de leur travail. « On a ainsi des informations sur la présence et la distribution des espèces, leur évolution dans le temps, comment elles interagissent, se reproduisent… Cela nous permet d’améliorer nos connaissances sur la biodiversité des écosystèmes », indique Catherine Borremans. Et de dresser un état des lieux de chacun des sites observés.
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Un stock d’images infini
Ce n’est pas la première fois que l’Ifremer fait appel aux citoyens. En 2016, les chercheurs avaient déjà réquisitionné les volontaires pour scruter la vie dans les grandes profondeurs des océans Pacifique et Atlantique. « Plus de 1 500 utilisateurs ont participé à cette initiative et annoté plus de 50 000 images. Sans leur aide, analyser ce volume d’images aurait pris près de 78 jours de travail ininterrompu pour les scientifiques », souligne Catherine Borremans.
Entre 4000 et 5000 clichés sont actuellement en ligne sur Espions des Océans. Ils sont regroupés en lots, puis remplacés dès qu’un ensemble a été suffisamment de fois annoté. Et le stock est loin d’être tari. « On n’est pas près d’avoir tout analysé, car on acquiert des images en continu tout au long de l’année », expose-t-elle. C’est pourquoi l’Ifremer incite les utilisateurs à y consacrer, si possible, un peu de temps régulièrement dans la durée. Sachant qu’à force d’observation, l’œil s’habitue et devient plus chevronné. Les scrutateurs actifs sont d’ailleurs « récompensés » : ils se voient débloquer l’accès à des photos plus complexes. Mais grâce à l’expérience acquise, cela reste dans leurs cordes rassure la chercheuse.
Mieux connaître pour mieux protéger
Toutes ces données servent en parallèle à entraîner des algorithmes à reconnaître les espèces sous-marines. Le but étant d’automatiser à terme cette tâche de repérage grâce à l’intelligence artificielle. « On aura cependant toujours besoin de l’humain pour vérifier le travail des machines. Elles nous feront néanmoins gagner du temps », estime Catherine Borremans. Puisque seulement 25% des fonds marins ont été cartographiés jusqu’à présent (bonus), tous les outils pour aller plus vite sont bons à prendre.
Espions des Océans sert aussi à la sensibilisation du grand public. « On met à disposition des gens de vraies images d’endroits où ils n’auront jamais accès. Cela permet de les leur faire connaître et de leur faire prendre conscience qu’il y a de la vie et qu’il faut la protéger », pointe la coordinatrice. Comme le disait le célèbre commandant Jacques-Yves Cousteau : « On protège ce qu’on aime, et on aime ce qu’on connaît ». Un adage toujours d’actualité et d’autant plus important face aux pressions qui pèsent de plus en plus sur les écosystèmes sous-marins. De nouveaux habitats ou thématiques devraient d’ailleurs venir progressivement étoffer les trois missions d’observation déjà disponibles. ♦
Bonus
[pour les abonnés] – 40 ans d’exploration des océans – Des fonds marins moins connus que la Lune –