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Une nouvelle vie pour les matériaux de construction

Par Maëva Danton, le 12 janvier 2024

Journaliste

Ci et là, des initiatives naissent pour favoriser le réemploi des matériaux de construction. Mais pour qu'une véritable filière voit le jour, il est indispensable de fédérer le maximum de parties prenantes. Ce à quoi s'attelle Raediviva. @DR
Il s’est longtemps agi d’une pratique courante. Pourtant, le réemploi des matériaux de construction a quasiment disparu des pratiques, ne concernant désormais que 1% des matériaux utilisés en France. Certains, pourtant, n’en démordent pas. Ci et là, des projets favorables au réemploi voient le jour tandis que des lois commencent à l’encourager. Sauf que pour redonner plus de circularité à une économie, il faut du lien entre des initiatives souvent éparses. C’est ce à quoi s’attelle l’association Raediviva installée à Marseille.
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Un forum organisé à l’espace Jean d’Ormesson, ancienne église transformée grâce au réemploi @DR

Fin novembre à Bouc-Bel-Air. C’est au sein de l’espace Jean d’Ormesson que l’association Raediviva choisit d’organiser son second forum. Un moment clé de la vie de cette association (bonus). Un lieu dont le choix n’est pas anodin. 

Il s’agit en fait d’une ancienne chapelle œcuménique, transformée en espace culturel avec la volonté de préserver l’existant tout en recourant au réemploi. L’autel, de même que certains éléments architecturaux, a ainsi pu demeurer dans ce lieu de vie capable d’accueillir plus de 150 personnes. Un symbole de ce que peut le réemploi des matériaux de construction. Une pratique pour laquelle tout (ou presque) reste à faire.

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Sur 100 tonnes de déchets produits annuellement en France, 70 proviennent du secteur du bâtiment. Une partie significative est abandonnée dans la nature. La majorité est recyclée, moyennant l’utilisation de beaucoup d’énergie. @DR

1% des matériaux de construction sont réutilisés après un premier usage

« À l’heure actuelle, écrit ainsi l’Ademe, seulement 1% des matériaux de construction sont réutilisés après un premier usage. Bien qu’une grande partie des éléments soient techniquement sujets au réemploi, ils finissent trop souvent mis en décharge ou recyclés, entraînant un impact environnemental et une perte de valeur économique »

On estime ainsi que sur 100 tonnes de déchets produits annuellement en France, 70 proviennent du secteur du bâtiment. Soit 227 millions de tonnes, dont 50 jetés dans la nature.

Or la fabrication de nouveaux matériaux émet du carbone et demande d’exploiter toujours plus de ressources non renouvelables comme la pierre, le sable ou le gravier ; mais aussi le bois et l’eau … Au risque de dérégler les équilibres naturels.

Quant au recyclage, couramment pratiqué, il est très consommateur d’énergie. À l’inverse, le réemploi n’exige pas d’extraire de ressources. De sorte que son impact carbone est considéré comme nul.

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« Raediviva était le nom donné par les Romains au réemploi de pierres » @DR

Une pratique très ancienne

Marginal, le réemploi a pourtant longtemps été une pratique courante. C’est ce qu’explique Benoît Campion, président de Raediviva, un nom qui renvoie justement à ce type de pratiques.

« Raediviva était le nom donné par les Romains au réemploi de pierres ». Preuve de l’antériorité du réemploi. « Cette pratique s’est perdue il y a une cinquantaine d’années au profit de la société de consommation qui n’a pas épargné le secteur du bâtiment ». Extraire, consommer, jeter. Sans jamais s’arrêter.

De sorte que des savoir-faire ont été perdus. Les bâtiments n’ont plus été conçus pour être réemployables. Et les connexions entre acteurs de la filière susceptibles de participer au réemploi ont été rompues.

Créer une émulsion, et de l’émulation

Malgré tout, de nombreuses initiatives voient le jour, à l’instar de Readificare et Readiviva.  « Il y a de plus en plus d’acteurs qui ont envie de faire des choses. Des maîtres d’ouvrage qui ont envie de faire du réemploi. Des entreprises qui veulent réutiliser leurs matériaux, des ressourceries qui s’intéressent à ces matériaux … ». Reste que ces initiatives demeurent « disparates. On n’a pas encore de filière du réemploi structurée ». Filière que Raediviva s’attelle justement à rebâtir.

Pour cela, l’association – qui a signé une convention financière avec l’Ademe en lien avec la Région Sud- se pose en tiers-acteur neutre, capable de faire travailler ensemble des acteurs peu habitués à le faire, voire concurrents.

♦ Lire aussi : Une appli pour récupérer (gratuitement) les déchets des chantiers

Raediviva, qui dispose de deux salariés, s’appuie ainsi sur un conseil d’administration de onze membres voulus représentatifs de la filière. On y trouve des cabinets d’architecture, des acteurs de la formation, des entreprises spécialisées dans l’économie circulaire comme R+Eveil ou Néo-Eco, ou encore le Groupe Sols, spécialiste de l’aménagement urbain et paysager.

Et au-delà de ce noyau, l’association compte une cinquantaine d’adhérents. Elle organise par ailleurs, à l’image de son deuxième forum de Bouc-Bel-Air, une série d’événements ouverts à un large public dans le but de créer une communauté locale autour du réemploi. Essentiel pour que chacun sache où trouver les matériaux de réemploi dont il aurait besoin ou à qui proposer ceux qu’il génère.

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Photo prise lors d’une visite de la Cave Gazel, à Septèmes-les-Vallons en octobre 2023. @DR

Bataille culturelle

En plus de fédérer, Raediviva se charge de promouvoir le réemploi en valorisant notamment des projets exemplaires. Une manière de bousculer certains préjugés. « On a tendance à croire que les matériaux du réemploi sont de moins bonne facture que des matériaux neufs. Mais parfois, c’est l’inverse. On trouve par exemple des tommettes de très bonne qualité ». Et de créer de nouveaux imaginaires. « Il y a quelques années, on valorisait une architecture plutôt immaculée. Aujourd’hui, les jeunes générations voient des images que je ne voyais pas ». Avec une quête de plus d’authenticité, de caractère esthétique. Et Tiphaine Guélou, directrice de la structure d’ajouter : « Le réemploi permet un rendu moins aseptisé, moins standardisé ».

Une vision défendue aussi au travers des missions d’information et de formation de Raediviva. D’autant que les formations sont encore peu nombreuses alors que le réemploi exige de nouvelles compétences. À la place des bulldozers : des yeux, des mains et des cerveaux pour identifier les matériaux réemployables, pour les remettre en état si besoin, puis pour les réutiliser. « Mais toute cette matière grise doit être valorisée », pense Safa Ben Kheder, doctorante et vice-présidente de l’association. De quoi défaire l’opposition entre conceptualisation et exécution dans ces métiers, et peut-être leur redonner l’attractivité qui leur manque…

Enfin, Raediviva ne s’interdit pas de s’adonner à quelques expérimentations en lien avec ses adhérents, histoire d’esquisser de nouveaux possibles. Et bien sûr de créer du lien …

Un cadre législatif encourageant

Autant d’actions grâce auxquelles l’association espère poser les bases d’une filière au niveau régional. S’appuyant sur des lois récentes (Agec notamment) favorisant le réemploi des matériaux de construction et la création de filières à responsabilité élargie des producteurs (bonus). Des dispositifs qui concerneront tous les acteurs, notamment les fabricants de matériaux.

Pour profiter de ces évolutions qui pourraient « créer de nouveaux emplois non délocalisables et mettre en lien divers métiers », l’association espère accueillir de nouveaux adhérents. Elle pointe aussi l’enjeu du foncier, alors que le réemploi nécessiterait de pouvoir stocker du matériel. Et espère que les aménageurs – Soleam, Euroméditerranée – prendront leur part dans ces sujets.

Pour l’heure, Tiphaine Guélou se réjouit de l’enthousiasme né du dernier forum à Bouc-Bel-Air. « Un succès et un vrai temps fort pour l’association, tant en termes de contenu que de participation (120 participants), avec une très grande diversité d’acteurs présents et des échanges très qualitatifs ». De quoi enclencher « un vrai engouement et engagement en faveur du réemploi dans la région. Nous sommes dans une dynamique très positive pour commencer 2024 ». ♦

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique « Aménagement » et partage avec vous la lecture de cet article *

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Bonus

[pour les abonnés] De Raedificare à Raediviva – Un agenda à suivre – Les filières à responsabilité élargie des producteurs –

  • De Raedificare à Raediviva – Au départ, l’association marseillaise en charge de promouvoir la filière du réemploi des matériaux de chantier s’appelle Raedificare. Fondée par Valérie Décot, elle fait rapidement face à une forte demande, de sorte qu’elle décide en 2021 de séparer ses activités de sensibilisation de celles de conseil. Elle crée pour cela l’entreprise (une SAS) Raedificare, qui est en fait un bureau d’étude chargé d’accompagner les maîtres d’ouvrage soucieux de réintégrer des matériaux usagés dans leur chantier. L’association demeure, mais prend le nom dont Raediviva, et elle a vocation à poursuivre les actions de sensibilisation et d’organisation de la filière réalisées jusque-là.
  • Des événements à suivre – L’association organise régulièrement des événements, dont certains ouverts au grand public. Parmi les prochaines échéances : un petit déjeuner du réemploi organisé le 15 février en partenariat avec le Grand Avignon. Ou encore une demi-journée de sensibilisation au réemploi en partenariat avec la FRB PACA (FBTP 13) et EnvirobatBDM le 22 février après-midi. Les détails et les prochains rendez-vous sont à retrouver sur le site de Raediviva.
  • Filières à responsabilité élargie des producteurs – Il s’agit de dispositifs qui reposent sur l’idée selon laquelle les producteurs de certains produits peuvent être rendus responsables de financer ou d’organiser la prévention et la gestion des déchets issus de ces produits au moment de leur fin de vie. Plus d’informations sont à retrouver sur le site du Ministère de la transition écologique.