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VIP, un programme disruptif contre le déterminisme social

Par Olivier Martocq, le 4 avril 2024

Journaliste

À bord du Svanevit ©Svan

Dans l’imaginaire populaire, et c’est une réalité, le yachting demeure une activité réservée à une élite. Issue des milieux aisés, l’élite se perpétue notamment via l’accès aux meilleurs établissements de l’enseignement supérieur. À Marseille, le Voile Inclusive Projet (VIP) entend casser ce déterminisme en ouvrant les régates de prestige aux étudiants boursiers ayant intégré des classes préparatoires, sas d’accès aux grandes écoles.

Le 8 mai prochain, pour l’arrivée du Belem à Marseille avec à son bord la flamme olympique, des jeunes issus de milieux populaires seront aux premières loges. Douze étudiants embarqueront avec les équipages de quelques-uns des plus beaux témoins de l’histoire de la voile olympique. Ils participeront à la grande parade nautique, avec une démonstration évoquant les courses que se livraient, lors des premiers JO, ces bateaux centenaires.

Un symbole des valeurs de l’olympisme 

Il arrive parfois que des projets totalement improbables sur le papier naissent de rencontres fortuites. Puis aboutissent parce qu’ils deviennent une évidence. Et même, par un concours de circonstances, prennent une dimension inattendue. VIP en la matière est un cas d’école. La formation à la voile d’équipages socialement mixtes, lancée en octobre dernier, est un modèle d’inclusion qui n’a jamais été testé. Marseille capitale de la voile des JO en sera le précurseur.

Informé de son existence, Cédric Dufoix, le directeur des sites olympiques dans la région, a milité pour lui donner une exposition forte. Au nom de « L’ambition posée par les Jeux olympiques et Paralympiques Paris 2024 qui aspirent à être les Jeux les plus inclusifs de l’histoire de l’olympisme ».

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Les bateaux de tradition assureront le spectacle lors de la parade nautique © Svan

Un bateau historique en multipropriété

À l’origine de ce programme d’inclusion, on trouve Guillaume Wattinne. Passionné de voile, il repère en mai 2023 un 8MJI (la jauge internationale pour concourir aux JO avant 1940- lire bonus) en vente en Allemagne. Pour un bateau de ce type, le prix d’achat n’est pas élevé moins de 200 000 euros. Il convainc huit Marseillais de l’accompagner dans une aventure qui ne se résumera pas à la seule participation aux régates de prestige organisées pour ces voiliers d’exception de Cassis à Cannes, en passant par Saint-Tropez et Porquerolles.

Excepté Wattinne, skipper régatier expérimenté, aucun des quirataires n’appartient au monde de la voile. Le Svanevit devient la copropriété d’un groupe qui entend amener à Marseille, ville hôte des jeux, un voilier figurant au patrimoine historique des Jeux olympiques. Et l’utiliser comme vecteur d’inclusion et de cohésion sociale dans le cadre sportif pour lequel il a été conçu. Une association à but non lucratif et d’intérêt général est créée : SVAN, comme Sauvegarde des Voiliers Anciens. Elle œuvre désormais dans le domaine de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS).

Ouvrir un milieu fermé à des jeunes méritants

L’inclusion est un terme administratif fourre-tout, à la mode. L’association va contacter Marc Rosmini, professeur agrégé de philosophie qui enseigne au lycée Antonin Artaud dans le 13e arrondissement de Marseille. Il s’est fait connaître du grand public il y a une dizaine d’années, en créant avec des collègues une CPES (classe préparatoire aux études supérieures) réservée aux bacs pros. Les succès de plusieurs élèves aux concours les plus prestigieux, notamment Centrale et Polytechnique, ont attiré l’attention des médias et du rectorat.

« La réussite et l’épanouissement reposent sur trois sortes de capital : le capital financier, le capital culturel et le capital social. Le programme VIP Marseille participe à la constitution de ce dernier », expose Marc Rosmini. Il ajoute que « la voile oblige à s’harmoniser. Un équipage c’est un tout. Chacun à un rôle à jouer mais dans l’optique de réussite du groupe. Faire des choses ensemble est la meilleure façon de casser les stéréotypes ». Et le professeur des quartiers nord, qui encadre par ailleurs la CPES du lycée Thiers, de préciser que, parmi ses élèves, plusieurs ne savent pas nager et vont découvrir la mer. « Le comble du déterminisme social quand on habite une ville côtière », juge-t-il.

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Les baptêmes de voile sont réalisés en partenariat avec la FFV ©DR

Effacer les marqueurs sociaux

Également associé au programme, Jules Sitruk a, lui, créé le Protis Club pour rassembler au stade Vélodrome (sur les bancs des South Winners), en mode prépa HEC, des jeunes de tout Marseille. Et ainsi tisser des liens entre monde populaire et académique par le biais de la passion du foot.

L’étudiant va plus loin, estimant que « la fréquentation de yacht-clubs parfois élitistes et la participation aux régates de voiliers de prestige s’inscrivent en faveur de l’effacement des marqueurs sociaux. Les discussions sur les pontons entre équipages, les cocktails sont des moments de brassages essentiels. L’occasion aussi de se faire un réseau et un carnet d’adresses ».

La confiance, clé de la performance

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Un couts théorique de Christopher Pratt précède la sortie en mer ©DR

Proposé aux élèves de la classe CPES du lycée Thiers, le programme VIP a été conçu par Marsail, un organisme de formation unique en son genre. Il a été fondé par Christopher Pratt, skipper professionnel renommé (Route du Rhum, Transat Jacques Vabre, double vainqueur du Tour de France à la Voile) et Amandine Deslandes, formatrice en ingénierie de la protection sociale. VIP est ainsi bâti autour d’un mixte de cours dispensés dans l’enceinte du lycée Thiers et d’apprentissages de la voile en mer.

La méthode Marsail, développée depuis 2008, est devenue une référence du nautisme et du coaching auprès des entreprises. La notion de confiance pour parvenir à la performance en est l’essence. « En effet, l’engagement social repose avant tout sur la croyance que la confiance crée la performance. Confiance en soi pour libérer son plein potentiel, confiance en l’autre pour des collectifs efficaces et alignés, confiance en l’avenir, enfin ! », résume Amandine Deslandes.

« Rien n’est impossible »

Des valeurs et une méthode approuvées par Jérémie Mion, qui participe au programme. Le champion du monde en dériveur 470 est lui-même issu d’un milieu populaire : « J’ai commencé la voile en Île-de-France à l’âge de 11 ans, sur le lac de Cergy. Assez tard donc, et pas le sport en vogue dans ce coin de France ».

Ce sportif qui va tenter de décrocher la médaille d’or de la discipline en juillet prochain poursuit : « Quand au départ on n’a pas les codes et les réseaux dans le domaine que l’on choisit, la confiance est essentielle pour s’imposer. Une rencontre avec Édouard Philippe, à l’époque maire du Havre où j’étais en école de voile, puis d’autres quand il était Premier ministre, m’ont conforté dans l’idée que rien n’était impossible pour un jeune issu du 9-5 ». 

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Jérémie Mion n’a pas douté ©DR
« À des années-lumières de mon quotidien »

Nino Salim, qui a intégré VIP ne dit pas autre chose. « Vu le nombre d’heures que me prend la CPES, j’ai vraiment hésité à remplir encore plus mon emploi du temps. Fils d’un vendeur à Conforama et d’une mère au foyer, je vise une école d’ingénieur. Je suis boursier. Je n’ai aucune relation. Le mentorat, rencontrer des cadres issus de milieux très différents permet une ouverture d’esprit. Quant à naviguer sur ce type de voiliers, entrer dans des clubs comme la Nautique sur le Vieux-Port, c’était pour moi un autre monde. À des années-lumières de mon quotidien ». Au nombre des cours dispensés figure notamment la sensibilisation à l’environnement, via un partenariat avec Neede et la chaire de l’Unesco « Éducation à la transition environnementale en Méditerranée ».

Parmi les entreprises mentors qui financent le programme, il y a Tenergie. Pour Nicolas Jeuffrain son président fondateur, VIP s’inscrit dans la lignée de son école de production du solaire, qui forme des jeunes déscolarisés à des métiers comme poseur de panneaux photovoltaïques. « Nous sommes aussi à la recherche d’ingénieurs. Motiver des étudiants sur les secteurs de la décarbonation, le solaire, l’éolien entre dans nos missions. Or, un programme bâti autour d’un bateau à voile, ça nous parle aussi. Car finalement, c’est un bateau qui se déplace grâce à une énergie renouvelable ! » ♦

*La Criée, Théâtre national de Marseille, parraine la rubrique éducation et vous offre la lecture de cet article*
Bonus

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