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[WC durables #3] : Pour Ecosec, il n’y a pas de sot déchet

Par Patricia Guipponi, le 19 juin 2023

Journaliste

Un des prototypes de toilettes conçues par Ecosec, utilisé lors de festivals ©DR

Rien ne se perd, tout se régénère. Tel est le credo de la Scop Ecosec. Cette équipe de l’Héraut s’est spécialisée dans les sanitaires écologiques et le traitement des effluents organiques. Peu engageant à première vue… Pourtant, ses solutions pour rendre utiles nos selles et urines séduisent.

 

« C’est une aberration ! ». Le ton est donné. Benjamin Clouet ne mâche pas ses mots pour évoquer l’eau qui se perd lorsque l’on tire la chasse des toilettes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et abondent dans le sens du co-fondateur de la société coopérative héraultaise Ecosec. En effet, pas moins de 9 litres d’eau potable partent dans les égouts chaque fois que l’on actionne le bouton-pression qui va nettoyer nos cuvettes. Ce qui représente plus de 13 000 litres par an et par personne. Un gaspillage insensé à l’heure où les réserves d’eau sont critiques et alors que plusieurs départements souffrent de la sécheresse. « Et les débits des cours d’eau vont diminuer de moitié d’ici 30 ans sur le pourtour de la Méditerranée », observe encore l’ingénieur en génie civile de formation.

« C’est d’autant plus fou que l’on peut très bien éviter tant de gâchis et utiliser les urines et la matière fécale à des fins agronomiques », poursuit Benjamin Clouet. En 2014, il a donc lancé avec Bernard Caille, son ami d’enfance, une Scop d’économie solidaire et sociale spécialisée dans les toilettes sèches. Rien à voir avec les sanisettes de première génération. Leurs WC écolos sont pensés pour économiser l’eau certes, mais aussi pour récupérer et valoriser les pipis et cacas.

 

L’urine est un fertilisant de choix moins coûteux que les engrais importés

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Ils étaient deux à l’origine en 2014. Aujourd’hui, la Scop Ecosec compte sept associés ©DR

Ces toilettes sèches sont du haut de gamme tant par leur confort que par les matières écologiques employées pour leur construction. Elles ne sont pas à lavage automatique, mais nécessitent le nettoyage et le ramassage des résidus par un humain. « Nous employons des personnes en insertion. Elles se déplacent à vélo pour effectuer leur mission. Cela a du sens et nous les rémunérons en conséquence », souligne Benjamin Clouet.

Les urines et excréments sont séparés à la source par un procédé mécanique simple. Pour schématiser : un tapis roulant incliné gère l’urine, tandis que les matières fécales sont conduites à l’arrière. « Nous n’avons rien inventé. La Suède et la Suisse utilisent ce principe depuis longtemps ». Les urines sont riches en nutriments nécessaires à la croissance des plantes. Ce sont d’excellents engrais. Les excréments, eux, sont traités et revalorisés en amendements organiques.  Pour exemple, lors d’un événement festif à Lyon, plus de 120 m3 d’urines ont été récoltés par Ecosec, après 400 000 visites sur ses trônes. Et 43 hectares ont pu être fertilisés en périphérie de la ville.

La France importe 100% d’engrais azotés pour ses sols. Avec la crise, cette matière a considérablement augmenté. Et le gaz employé pour la transformation de l’azote voit son prix exploser. Par ailleurs, les stations d’épuration ont montré leurs limites et les conséquences des micropolluants non maîtrisés sur l’environnement. « Valoriser les rejets humains est une réponse aux enjeux économiques et environnementaux », insiste le cofondateur d’Ecosec.

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L’objectif de faire rentrer les WC écolos dans le bâti urbain

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Un urinoir pour femme pensé pour la ville de Lyon

Le premier prototype de toilettes sèches de la Scop est passé par le zoo du parc de Lunaret à Montpellier. Forte des retombées positives, l’équipe investit les festivals de sa région d’origine, et au-delà, avec ses WC nomades démontables. Les cabinets évoluent au gré du temps et des remontées du terrain. Il existe plusieurs gabarits, adaptés aux personnes handicapées, indépendants de toutes connexions aux réseaux de distribution d’eau et d’électricité.

Mais depuis le début de l’aventure, l’objectif d’Ecosec est clairement d’amener ses toilettes dans la ville. Ce qui n’est pas une sinécure. « Nous pensions que nos solutions vertueuses allaient faire des émules. Mais il nous a fallu beaucoup de temps pour convaincre du bien-fondé de nos WC écolos, témoigne Benjamin Clouet. Les élus et les promoteurs ne nous ont pas vraiment pris au sérieux et nous ont gentiment dit d’aller nous faire voir sur le Larzac ! ».

À force de persévérance et de travail, de collaborations notamment scientifiques, Ecosec a fini par s’imposer dans plusieurs projets immobiliers. En Ille-et-Vilaine à Dol-de-Bretagne, un bâtiment de 23 logements sur trois étages bénéficie des toilettes sèches équipées d’un système de séparation des urines, réutilisées comme fertilisant par les agriculteurs du coin. À Paris, Parc de La Villette, un restaurant s’est doté de neuf de ces WC particuliers ; les déjections sont valorisées et compostées localement. Toujours à Paris, dans le XIVe arrondissement, Ecosec participe au projet Saint-Vincent-de-Paul, un écoquartier de plus de 130 logements.

 

 

Le mur végétal fait baisser de 10 à 15 degrés la température ambiante

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Des toilettes sèches qui végétalisent leurs propres murs ©DR

Les sept associés d’Ecosec ont de la suite dans les idées. Autant recycler jusqu’au bout et trouver un usage aux eaux grises, c’est-à-dire aux eaux ménagères issues notamment des douches, des lavabos, des lave-linge et vaisselle. Toujours dans un souci de préservation des ressources et d’amélioration de l’existant. Car, aujourd’hui, 30% du prix de l’eau part dans la prise en charge de ces eaux usées.

« Cette eau pourrait être utilisée autrement par les villes », observe Benjamin Clouet. Et pas dans le seul but d’arroser les espaces verts, mais aussi pour rafraîchir l’atmosphère. Le mur végétalisé alimenté par les eaux grises, une autre des spécialités proposées par Ecosec, fait baisser de 10 à 15 degrés la température ambiante. « C’est une solution pour lutter contre la canicule ». Deux projets mûrissent, à Prades-le-Lez dans l’Hérault et dans une brasserie de Castelnau-le-Lez dont les eaux de lavage irriguent un mur végétal.

Ecosec est englobé dans Macondo, société coopérative d’intérêt public qui gère d’autres structures de l’économie solidaire et sociale. Dans ce grand laboratoire dédié à la transition écologique, les bureaux et les ateliers se partagent. On y réfléchit et travaille sur des solutions de compostage, à un autre habitat, avec entre autres la construction de Tiny houses. Et on forme des jeunes de 16 à 25 ans, déscolarisés, aux métiers du bois, de l’agroécologie et des énergies renouvelables au sein d’une école, nommée Être, où la classe est sur le terrain. ♦