Fermer

Des biotechnologies pour prouver les vertus des plantes

Par Maëva Danton, le 28 janvier 2022

Journaliste

L'entreprise utilise la chimie verte pour valoriser des variétés de plantes qui poussent au Sénégal. Ici, des comprimés de moringa qui devraient bientôt être mis sur le marché. @MGP

Alors qu’elles ont, des siècles durant, été utilisées pour soigner les humains, les plantes ont perdu de leur attrait, leur usage étant assimilé à une forme d’ésotérisme. À Aix-en-Provence, le docteur en pharmacie Doudou Tamba, issu d’une longue lignée de phytothérapeutes, utilise la science et les biotechnologies pour conférer à ces pratiques une crédibilité scientifique. Ce, au travers de l’entreprise Tamba Labs qu’il a fondée.

Le Technopole de l’Arbois se réveille à peine. Ceux qui arrivent pour y travailler se garent le long des bâtiments qui composent ce berceau de l’innovation verte, niché dans son cocon de garrigue, à quelques encablures d’Aix-en-Provence.

C’est ici que Doudou Tamba a souhaité installer son entreprise, Tamba Labs. Pas trop loin de chez lui. Dans un écosystème dynamique où les questions environnementales sont une préoccupation majeure. Parmi ses voisins de palier, de jeunes pousses telles que Green Systems Automotives qui permet aux moteurs de deux-roues de fonctionner avec du biocarburant. Ou encore Xrapid, qui utilise l’intelligence artificielle pour améliorer le diagnostic en santé. Des habitués du fameux CES Las Vegas qui met chaque année à l’honneur les meilleures innovations technologiques du monde.

Si Doudou Tamba appartient de fait à ce monde de l’innovation et des startups, il est aussi intimement lié à un autre univers, a priori aux antipodes. Celui de la phytothérapie, telle que la pratiquent depuis des siècles des guérisseurs d’Afrique de l’Ouest.

 

Des biotechnologies pour prouver les vertus médicinales des plantes 2
Depuis deux ans, l’entreprise est hébergée au sein de la pépinière d’entreprises Cleantech, au sein du Technopole de l’Arbois @MGP

Dans la famille Tamba, la passion des plantes de père en fils

L’entrepreneur est ainsi issu d’une longue lignée de phytothérapeutes. Certains ont même conseillé des souverains de l’Empire Mandingue (Empire du Mali), empire le plus prospère d’Afrique de l’Ouest, qui a connu son apogée au XIVe siècle. Un héritage dans lequel Doudou Tamba baigne depuis l’enfance. « Petit, on allait faire du jogging en forêt avec mon père et il me donnait le nom latin de toutes les plantes ».

Et pour parfaire sa maîtrise du sujet, il s’adonne régulièrement à des séjours d’immersion auprès de guérisseurs installés dans des zones reculées, au Sénégal en particulier. À leurs côtés, il apprend à observer la nature. À l’imiter. Et à s’émerveiller sans cesse. « Lors de ma dernière immersion, j’ai découvert une plante qui m’était totalement inconnue et qui a la capacité d’attirer la mouche du fruit ». Un insecte qui génère d’importants dégâts chez les herborisateurs, et qu’il serait, grâce à cette découverte, possible de piéger.

 

Des biotechnologies pour prouver les vertus médicinales des plantes 3
Doudou Tamba a une ambition : donner une crédibilité scientifique aux phytothérapies, pratiquées depuis des siècles par ses aïeux. @MGP

Réconcilier sciences et traditions

« Les plantes constituent un univers tellement riche. Elles ont tellement à nous apprendre. Avant, il y a à peine un siècle, tous les médicaments étaient conçus à base de plantes ». Puis la chimie et l’informatique s’en sont mêlées, rendant les phytothérapies obsolètes. Voire suspectes. « Mais aujourd’hui, on se rend compte des limites de la chimie. Et on constate que la production de médicaments à partir du néant est un gouffre financier ».

Alors, depuis l’obtention de sa thèse en pharmacie, Doudou Tamba a une ambition. Celle de réconcilier ces deux mondes. De leur permettre de s’enrichir mutuellement. En offrant à la science de nouveaux actifs. Et en donnant à la phytothérapie -ainsi qu’à son héritage familial- une crédibilité scientifique.

Pour ce, il sélectionne des plantes souvent méconnues qui poussent sur les terres du Sénégal (dont il est originaire). À partir de cette ressource, il réalise toute une batterie de tests pour démontrer leurs vertus. Une fois les preuves d’efficacité apportées, il met au point des préparations destinées à être vendues en pharmacie ou en magasin bio.

 

 

Un anti-moustique naturel

C’est de cette façon que l’entrepreneur est par exemple parvenu à concevoir un répulsif à moustiques. « Une découverte fortuite, dit-il. La ‘sérendipité’ comme disent les Anglais. Lors de séjours d’immersion, nous campions et faisions du feu. Certains jours, nous nous faisions dévorer par les moustiques. D’autres jours, pas du tout. Or il se trouve que nous parsemions le feu de plantes aromatiques ». Il mène l’enquête et finit par identifier la plante (encore confidentielle) qui les fait fuir.

Une aubaine, d’autant qu’on ne compte à ce jour qu’un seul répulsif naturel sur le marché. De quoi offrir à la jeune entreprise des perspectives commerciales intéressantes en France, en Afrique dans le cadre de la lutte contre le paludisme, mais aussi en Amérique du Nord. Le brevet devrait être déposé d’ici peu. Pour une mise sur le marché prévue en 2023.

 

Des biotechnologies pour prouver les vertus médicinales des plantes 1
Si l’industrie des compléments alimentaires utilise essentiellement les feuilles de moringa, Doudou Tamba d’intéresse aussi aux vertus de ses fleurs et de ses graines. @MGP

Renforcer les bienfaits du moringa sur l’organisme

D’ici là, Doudou Tamba s’apprête à vendre un autre produit, du moringa. Bien connu des adeptes des compléments alimentaires, il s’agit « du végétal le plus riche en nutriments. Il a huit fois plus de vitamines A que la carotte, onze fois plus de calcium que le lait, vingt-sept fois plus de fer que les épinards et la liste n’est pas exhaustive ». Il contient également une série de minéraux et il est recommandé contre le diabète.

Seul bémol : une faible biodisponibilité. Cela signifie que ses vitamines et minéraux sont en grande partie rejetés par l’organisme qui n’en profite alors que peu. En cause : les fibres qui les séquestrent. Tamba Labs entend donc améliorer cette biodisponibilité en éliminant une partie de fibres et en encapsulant les nutriments à l’intérieur d’un comprimé.

Une campagne de financement participatif sur Ulule devrait être lancée d’ici l’été pour faire connaître le produit. Avant un déploiement plus large.

 

 

Ambitions médicales

Ensuite, l’entreprise devrait élargir sa gamme avec d’autres plantes. « Pour le sommeil et la digestion par exemple ». Avec, à terme, des applications dans un domaine cher à Doudou Tamba. Celui de la médecine.

« Dans l’organisme, nous avons une matrice extra-cellulaire. C’est un gel dans lequel baignent les cellules. Elle leur permet de fonctionner et d’avoir un substrat dans lequel se développer. C’est le centre d’ingénierie des cellules », explique-t-il. « Or, nous avons découvert une plante qui est la copie exacte de cette matrice ». Une première qui ouvre tout un champ de perspectives, notamment sur le marché de la cicatrisation, puisque cette plante favorise la régénération des cellules. Un projet déjà enclenché mais pour l’heure en suspens. « La santé demande beaucoup d’investissement. Il faut d’abord générer du chiffre d’affaires puis trouver une industrie pharmaceutique qui accepte d’investir avec nous sur ce projet ».

 

Des biotechnologies pour prouver les vertus médicinales des plantes 5
Pour parfaire ses connaissances, l’entrepreneur se rend régulièrement dans des zones reculées du Sénégal, en immersion auprès de guérisseurs @Doudou Tamba

Richesse et verdure

Car si Doudou Tamba veut apporter une crédibilité scientifique à la phytothérapie, il veut aussi qu’elle soit source de création de valeur économique.

Ici, à Aix-en-Provence, où il envisage de créer une vingtaine d’emplois d’ici 2023. Mais aussi au Sénégal, où se trouvent toutes les plantes qu’il utilise dans ses formulations. « Là-bas, nous proposons des initiations à la culture en biodynamie et nous formons de jeunes chômeurs à la distillation, à partir de matériel produit localement. Ils peuvent ensuite se lancer dans ce métier à leur compte et nous leur achetons leurs produits de manière équitable ».

Pour permettre à ces personnes de mieux vivre. Mais aussi pour verdir et protéger les terres contre l’avancée du désert. ♦

 

BiodivAquArt traque la faune aquatique dans les œuvres d’art 6  parraine la rubrique « Recherche » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] – Le prix Africa Provence Connect – L’application à venir –

  • Tamba Labs, lauréat d’Africa Provence Connect – Fin 2021, ce prix créé par la Métropole Aix-Marseille Provence et Emerging Valley (sommet des innovations émergentes entre l’Europe et l’Afrique) a été décerné à deux entreprises aixoises, dont Tambalabs. Une reconnaissance qui lui permettra de bénéficier d’un accompagnement pendant un an, assorti d’une visibilité accrue.

 

 

  • Bientôt une application – Bien que naturelles, les plantes médicinales doivent être consommées avec précaution. Il faut également être vigilants quant à d’éventuelles interactions avec d’autres actifs. « Par exemple, si on prend des compléments alimentaires, mieux vaut éviter de boire du café dans le même laps de temps car les polyphénols qu’il contient séquestrent des nutriments », explique Doudou Tamba. Pour aider à démystifier l’univers des plantes et démocratiser les phytothérapies, l’entrepreneur prévoit de mettre au point une application pédagogique, accessible gratuitement pour ses clients.