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Du bio pour sauver oliviers et autres arbres fruitiers

Par Agathe Perrier, le 24 mars 2023

Journaliste

Composé d'un attractif et d'un répulsif, le système développé par Cearitis protège jusqu’à 90% des récoltes © Photo d'illustration, Pixabay

La start-up Cearitis a mis au point un procédé naturel pour lutter contre la mouche de l’olive, qui ravage les cultures d’oliviers depuis des années en Provence et en France. Une technologie duplicable à d’autres nuisibles d’arbres fruitiers, notamment les cerisiers. Le dispositif, en cours d’homologation en vue d’une commercialisation prochaine, étofferait ainsi le chiche panel des solutions biologiques existantes.

 

Si les insectes sont indispensables au bon équilibre de la biodiversité, reste que certains sont carrément néfastes aux cultures. La mouche de l’olive par exemple. Depuis des années, Bactrocera Oleae est identifiée comme « le ravageur le plus important et le plus problématique » de ce fruit. Ses attaques provoquent des pertes de production considérables ainsi qu’une dégradation de la qualité des huiles (bonus). Une menace contre laquelle les oléiculteurs soucieux de leur impact sur l’environnement n’ont que peu de solutions. « Il existe aujourd’hui deux grandes techniques dites naturelles. D’une part, pulvériser de l’argile blanche sur les arbres, pour créer une barrière physique contre les mouches. D’autre part installer des pièges à phéromones, afin de perturber la ponte des femelles », expose Marion Canale. Associée à sa cousine Solena, elles ont créé leur start-up, Cearitis, et imaginé une troisième alternative mixant les deux.

 

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Le piège diffuse une solution attractive afin d’attirer les mouches et de les emprisonner à l’intérieur © DR

Un dispositif inspiré par la nature

La technologie développée par Cearitis repose sur un système de biocontrôle « inspiré de ce qui existe déjà dans la nature ». « On pulvérise sur les arbres et les fruits une solution composée de molécules répulsives naturellement présentes entre l’arbre et les mouches. Elle crée une barrière contre le ravageur et les détourne du verger. En parallèle, un piège est installé aux abords. Il s’agit d’une colonne qui diffuse une solution cette fois attractive, composée elle aussi de molécules naturelles, afin d’attirer les mouches et de les emprisonner à l’intérieur », explique Solena Canale Portale. Aucun produit chimique n’est utilisé, ce qui rend le procédé non toxique pour l’être humain et la biodiversité. Quant au piège, il fonctionne de façon autonome grâce à un panneau solaire.

Le dispositif est pour le moment adapté uniquement aux grandes parcelles de plus d’un hectare. L’objectif est de la rendre à terme également accessible aux plus petits terrains, comme les jardins de particuliers.

 

 

90% d’efficacité

Pour mettre au point cette technique, l’entreprise mène depuis quatre ans des travaux de R&D dans son propre laboratoire. Elle dispose pour cela d’une machine spéciale, capable d’identifier les molécules attractives et répulsives correspondant à un nuisible et à son fruit préféré. Elles sont testées sur place sur un élevage de mouches capturées dans la nature. Puis, après des expérimentations dans diverses conditions, directement dans des vergers, en France, mais aussi en Espagne et au Portugal.

Si les résultats côté français ne sont pas encore connus, ceux de la péninsule ibérique sont prometteurs. Il ressort en effet que 90% des récoltes ont été protégées grâce au procédé. « La complémentarité des deux solutions, attractives et répulsives, fait qu’on a un dispositif efficace. Et puisqu’on ne cible qu’un seul ravageur, les autres espèces ne sont pas piégées, donc on ne nuit pas au reste de la biodiversité », précise la directrice générale.

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Cearitis dispose d’un élevage de mouches de l’olive pour les tests en laboratoire, avant d’aller sur le terrain © DR

 

Olive, mais aussi cerise, amande, mangue…

En parallèle de la mouche de l’olive, Cearitis s’est également attaqué à Drosophila Suzukii, petite mouche asiatique qui commet des dégâts notamment sur les cerisiers. « Le principe est le même, mais on adapte évidemment les molécules à l’insecte et au fruit. Si ça paraît simple sur le papier, c’est loin de l’être en réalité tant les mouches présentent des caractéristiques différentes », souligne Solena Canale Parola.

Les premiers tests sont plus récents puisque commencés l’année dernière, seulement en France cette fois. L’efficacité est moindre avec 70% des récoltes protégées. Ces résultats sont cependant concluants pour un démarrage, bien qu’insuffisants pour valider le process. L’équipe a donc relancé des expérimentations en laboratoire dans le but de l’améliorer, avant de retourner sur le terrain prochainement.

L’objectif final de la start-up, via tous ces tests, est de décrocher une homologation européenne pour sa technologie. La démarche pour obtenir une autorisation de mise sur le marché est enclenchée. Priorité est donnée à la cerise, dont les vergers sont davantage menacés que les oliviers. Cearitis espère pouvoir démarrer la commercialisation d’ici 2024-2025. « On débute aussi un programme de recherche sur la mouche méditerranéenne des fruits. Ce sera ensuite le tour du ravageur des amandes », glisse l’entrepreneuse. Cerise, amande, agrume, mangue… l’équipe souhaite apporter une solution à toutes les cultures menacées de par le monde.

 

 

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Marion Canale et Solena Canale Parola, cousines et co-fondatrices de Cearitis © DR

De la région parisienne au sud de la France

Les deux cousines se sont officiellement associées le 20 mars 2020. En plein premier confinement, elles ont profité de cette période de ralentissement national pour développer au maximum leur entreprise. « On a d’abord été accompagnées par le Genopole d’Évry, en région parisienne. On a rapidement compris qu’il fallait qu’on se rapproche des oléiculteurs et plus globalement des producteurs arboricoles », indique Solena Canale Parola.

Cearitis a donc quitté le nord pour s’installer dans le sud de la France en 2021. Et a choisi Aix-en-Provence pour la pépinière d’entreprises CleanTech, au technopôle de l’Arbois (bonus). « On avait pensé à Montpellier mais les critères d’incubation n’étaient pas compatibles avec le stade de notre avancée », explique Marion Canale. La jeune pousse bénéficie d’avantages sur les loyers ainsi que d’un accompagnement à son développement. « On est de plus dans un écosystème riche, entourées de plein d’entreprises innovantes. Pour nos employés, c’est aussi intéressant car on a un CE (ndlr : comité d’entreprise) commun », apprécie Solena Canale Parola.

L’équipe, de huit salariés, est vouée à doubler dès cette l’année. Une croissance telle que les locaux actuels ne seront plus suffisants. L’une des priorités de Cearitis pour 2023 est donc de s’installer dans le bâtiment voisin qui leur offre 150 m² de bureau et autant de labo. Un espace plus grand, à la hauteur de ses ambitions. ♦

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus

[pour les abonnés] – du Genopole d’Évry au technopôle de l’Arbois – La mouche de l’olive, un véritable fléau –

  • Du Genopole d’Évry au technopôle de l’Arbois – Le Genopole est le « premier biocluster français ». Cet incubateur, installé dans l’Essonne (91), est dédié aux projets dans le domaine des biotechnologies. Quant au technopôle de l’Arbois, il a ouvert en 2016 une pépinière pour les entreprises du secteur des technologies propres (ou clean technologies). Cearitis est à la moitié de son incubation, de cinq ans maximum. En plus de ces accompagnements, elle a bénéficié de soutiens financiers. Des prêts, des prix et des subventions lui ont permis de récolter environ 800 à 900 000 euros. La start-up prépare actuellement une levée de fonds avec entrée au capital de business angels. 800 000 euros sont visés d’ici la fin du mois d’avril, dont 75% ont déjà été sécurisés.
  • La mouche de l’olive, un véritable fléau – Les ravages engendrés sont à la fois d’ordre quantitatif et qualitatif, selon l’Association française interprofessionnelle de l’olive (Afidol). Quantitatif car le développement de la larve à l’intérieur de l’olive affecte directement l’alimentation du fruit, sa maturation et sa force d’attachement au pédoncule, provoquant ainsi une chute accélérée. Qualitatif puisque, en mettant la pulpe de l’olive au contact de l’air et des déjections de la larve, les dégâts de mouche conduisent à une altération de la qualité de l’huile.