Fermer

Le made in France a besoin de couturiers et couturières

Par Olivier Martocq, le 8 juin 2023

Journaliste

Une commande incroyable pour les élèves de la Fask Academy : les étoles que porteront les 600 prêtres entourant le pape lors de sa venue à Marseille en septembre 2023 ©Fask Academy

Pour peu que la concurrence soit possible, aucun domaine n’échappe à la volonté d’un nombre croissant de consommateurs d’acheter des produits issus d’un circuit court et « fabriqué en France ». Dans la mode où notre pays demeure encore la référence mondiale, la réindustrialisation est un casse-tête faute de main-d’œuvre dans les métiers de la confection. Il n’y a plus de couturières et de couturiers. Intéresser des jeunes à ces métiers puis les former est un défi que la Fask Academy a décidé de relever.

 

Même guidé par Waze, trouver la Fask Academy (fask, pour fashion skills ou, en français, outils de la mode -Ndlr) est compliqué. Le Parc Eiffel situé aux Aygalades abrite un nombre impressionnant d’entreprises. Les bâtiments bas s’enchaînent dans la pinède. Après avoir montré patte blanche à un gardien, on sillonne les allées à la recherche d’un édifice s’apparentant à une école, sur lequel on ne tombera jamais car cette formation qui prépare au CAP métiers de la mode occupe un local design.

Depuis le début de l’année scolaire, dix jeunes âgés de 15 à 18 ans y sont formés. C’est la première promotion. Ils travaillent dans des locaux spacieux et baignés de lumière. L’atelier est doté d’équipements de pointe. Machines à coudre spécialisées dans des tâches spécifiques comme le surjet, la boutonnière, la mise en place de boutons plus ou moins gros avec deux, quatre ou cinq trous… Des machines programmables, assistées par ordinateur. À des années-lumières des images renvoyées par les ateliers insalubres de l’autre bout du monde qui exploitent femmes et enfants.

Le made in France a besoin de couturiers et couturières
La table de coupe de 10 mètres a permis de tailler les 1 200 morceaux de tissus qui une fois assemblés formeront les étoles ©Fask Academy

 

Coup de projecteur

Relancer la filière commence par changer son image. Et donc faire parler d’elle. L’annonce par le diocèse de Marseille d’une commande spécifique pour la venue du pape est l’opportunité d’un coup de projecteur bienvenu. Le 23 septembre prochain, la messe sera célébrée au stade Vélodrome et 60 000 fidèles envahiront le temple du football ce jour-là. Dans les tribunes parmi les invités, seront présents les élèves de la Fask Academy. Ils éprouveront une fierté particulière lorsque la procession sortira des vestiaires pour fouler la pelouse. Car ils font partie des chevilles ouvrières qui, en amont, auront participé à la préparation de cette cérémonie.

La promotion vient d’attaquer la confection des étoles que porteront les 600 prêtres entourant le souverain pontife. Une initiative qui revient à Monseigneur Ellul : « Sur ces étoles écrues sera imprimée l’image de Notre Dame de la Garde entourée d’oliviers sur un fond du bleu de la couleur de la ville, qui est le même que… celui de l’OM ».

Le chanoine de la cathédrale se félicite de cette implication de jeunes Marseillais, mais aussi d’une vingtaine de bénévoles du diocèse qui vont « leur prêter la main » afin que tout soit prêt dans les temps. Et il y a encore d’autres habits sacerdotaux en cours de fabrication à l’archevêché. « Les dix-huit chasubles des prêtres qui officieront autour de l’autel, plus une destinée au pape et même une mitre, précise Jean-Pierre Ellul. Car le Saint-Père peut décider au dernier moment de choisir de revêtir des habits spécifiques liés à l’évènement ».

 

Le made in France a besoin de couturiers et couturières 3
Autre commande en cours : des t-shirts « Coupe du monde de rugby » pour la fondation Total ©FA

 

 

Attirer les jeunes 

Pour les responsables de la Fask Academy, ce coup de projecteur est une opportunité. Depuis le début de l’année scolaire cette école est l’une des quatre en France qui prépare au CAP métiers de la mode. Deux ans d’études qui ouvrent les portes du Brevet professionnel qui se prépare lui aussi en deux ans. « 600 000 euros ont été investis dans cet outil de production », explique Jocelyn Meire, le président de l’association qui gère l’école. « Il y a une forte demande des marques de pouvoir fabriquer ou au moins assembler les vêtements en France. Mais il y a pénurie de main-d’œuvre. Notre problématique est bien sûr de former des jeunes, mais surtout en amont de les intéresser aux métiers de la confection ».

Dans l’atelier, vissés derrière une machine à coudre, Clara et Ysée, 17 ans, ne sont pas « versés dans la religion ». Ils ont néanmoins été flattés d’échanger avec Monseigneur Ellul. « On est tous très motivés et on va y arriver », assurent les deux jeunes. Qui avouent avoir mis plus de deux heures pour sortir leur première étole. « Mais elle était réussie ! » Après des parcours scolaires chaotiques, tous deux pensent avoir trouvé leur voie. Ysée est peut-être le plus motivé de la promotion. Il avait auparavant été orienté vers un CAP de boucher. Il vient tous les jours de Toulon pour se former désormais à la confection. « La mode est un monde dont je rêvais, mais qui pour moi était inaccessible ». Pour Clara, cet apprentissage des bases du métier peut lui permettre d’évoluer ensuite. De devenir, pourquoi pas, « styliste et créatrice ».

Le made in France a besoin de couturiers et couturières 1
Un outil de production et des machines à la pointe ©FA

 

 

Mêler apprentissage et fabrication

Le made in France a besoin de couturiers et couturières 2
Sandrine Blanc, prof de couture, et deux élèves ©FA

Sandrine Blanc, qui enseigne la couture à la Fask Academy, se félicite du marché passé avec le diocèse de Marseille. « C’est concret. C’est une prise de conscience de l’exigence requise. Du souci du détail et de la qualité. Ils savent que ce qu’ils sont en train de fabriquer va être vu par des millions de téléspectateurs du monde entier ». Une exposition parmi d’autres qui booste ces jeunes.

« Ils découvrent aussi des projets de petits créateurs de mode qui n’ont pas de volumes suffisants pour faire appel à des professionnels », poursuit Jocelyn Meire. Le modèle économique de la Fask Academy repose d’ailleurs en partie sur leur travail : « Les études sont gratuites, mais nous vendons ce que nous produisons. C’est d’ailleurs valorisant pour l’élève ». Dernier contrat en date pour les apprentis couturiers et couturières, des centaines de tee-shirts « Coupe du monde de rugby » commandés par la fondation Total. Mais aussi des ponchos d’après bain destinés aux surfeurs et aux plongeurs pour une nouvelle marque de vêtements spécialisée qui se lance à Marseille. Ils feront partie de son histoire si elle connaît le succès. ♦

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

Bonus

[pour les abonnés] – Genèse de la Fask Acadely – Les chiffres de l’industrie textile en France –

  • Histoire de la Fask Academy. La création de cette association à but non lucratif dite « loi 1901 » incombe à FASK, le collectif des professionnels de la mode basés à Marseille et dans sa région. Dès janvier 2020, ce qui n’était alors qu’un projet a bénéficié du soutien de la Région Sud Provence Alpes Côte d’Azur. Puis de la Caisse des Dépôts – Banque des Territoires. La Fédération Nationale des Écoles de Production a octroyé son label au projet en mai 2021.

 

  • L’industrie textile en chiffres. Avec près de 2200 entreprises, l’industrie textile française emploie plus de 62 000 salariés. Leurs activités couvrent les nombreuses étapes de la fabrication de textile : filature, moulinage, tissage, tricotage, ennoblissement… Ces entreprises sont en majorité des PME (63%). Emploi, chiffre d’affaires et exportations sont en progression. En effet, les marchés de la mode et du luxe et les textiles techniques dopent le secteur. D’autres chiffres détaillés dans le dernier rapport de l’Union des Industries Textiles.