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Quand les échecs s’invitent à l’école

Par Agathe Perrier, le 6 février 2024

Journaliste

Le cours dure 30 minutes pour les plus petits quand les plus grands profitent de 45 à 60 minutes © Agathe Perrier

Les échecs sont reconnus pour développer la concentration, l’anticipation ou encore le respect des règles et d’autrui. C’est pour toutes ces vertus que l’Université des Petits, une école privée de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), a décidé de les intégrer comme matière scolaire dès la grande section de maternelle. Une partie des enfants y sont tellement accros qu’ils les pratiquent aussi lors d’ateliers facultatifs.

C’est une matière scolaire peu ordinaire qui a fait son apparition depuis la rentrée de septembre à l’Université des Petits. Dans cette école privée de Bouc-Bel-Air, de la grande section jusqu’au CM2, c’est échecs obligatoire tous les mardis. À raison de 30 minutes pour les maternelles et cours préparatoire quand les plus grands bénéficient de 45 à 60 minutes. « C’est inscrit dans le règlement intérieur », sourit Patricia Molina, fondatrice de cet établissement et à l’origine de cette initiative. Une idée mûrie pendant plusieurs années, le temps de trouver un professionnel de cette discipline qui soit fin pédagogue.

« J’aurais pu demander à nos enseignants mais l’objectif est de permettre aux élèves de progresser », ajoute-t-elle. La rencontre avec Yannick Gozzoli du club aixois l’Échiquier du Roy René, par ailleurs grand maître international (voir bonus), a donné un coup d’accélérateur à ce projet en le rendant réalité.

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Chaque classe, de la grande section au CM2, dispose de son propre créneau animé par Anthony © AP

Des compétences utiles dans la vie

Chaque classe dispose de son propre créneau. Tous sont animés par Anthony, 15 ans de pratique au bout des doigts – et dans la tête. « Au début de l’année scolaire, certains élèves ne savaient même pas bouger une pièce. Ils sont capables aujourd’hui de faire des parties complètes », salue-t-il. Les duels se jouent y compris entre enfants de maternelle. Avec ces derniers, la stratégie n’est pas encore ultra-présente, mais les bienfaits de la discipline se ressentent déjà. « Les échecs leur apprennent le respect des règles et aident donc à les structurer », souligne Patricia Molina. Une compétence utile dès le plus jeune âge.

Et ce n’est pas la seule. « L’avantage, devant l’échiquier, est qu’on est à égalité parfaite avec son adversaire. On a les mêmes pièces, les mêmes règles. Pour gagner, il faut imaginer toutes les possibilités qui s’offrent à nous, tout en acceptant que l’autre vienne les perturber », souligne Yannick Gozzoli. Analyser, anticiper, raisonner de la façon la plus logique possible est nécessaire. Ce qui fait travailler la concentration et l’attention. Et Patricia Molina d’ajouter : « C’est un bon moyen de faire se rendre compte aux enfants qu’une action a des conséquences. Je suis intimement convaincue que c’est une discipline qui peut les aider à ne pas être sclérosés dans leur vie ».

Les parties se terminent en outre par une poignée de main. Un geste loin d’être anodin : il témoigne du respect pour l’adverse et donc d’autrui. Une valeur fondamentale en société.

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Les colonnes de l’échiquier portent toutes une lettre et les rangées un chiffre, un bon support pour travailler le repérage dans l’espace © AP

Passerelles avec les autres matières

Le cours d’échecs s’avère aussi très transversal avec les autres matières scolaires. On y fait en effet des maths : chaque pièce a une valeur différente selon son importance – un pion vaut un point, une tour cinq, la dame neuf… De plus, la somme totale et la nature des pièces encore en lice sur l’échiquier donnent des indications sur le joueur en position de force. D’où l’importance de calculer, avant de jouer un coup, quelle pièce il vaut mieux rafler à l’adversaire.

Les noms donnés à certaines tactiques sont en outre une manière d’aborder l’histoire. Exemple ce mardi de janvier où Anthony rappelle aux CE1 celle dite le « mat du berger ». Elle consiste pour un joueur à attaquer, avec sa reine et un de ses fous, le pion F7 de son rival – les colonnes de l’échiquier portent toutes une lettre de « A » à « H » et les rangées un chiffre de 1 à 8, un bon support d’ailleurs pour travailler le repérage dans l’espace. « Ce pion est appelé le talon d’Achille, vous savez ce que ça signifie ? », questionne Yannick Gozzoli. L’occasion de donner aux enfants une petite leçon de mythologie, notion sur laquelle reviendra leur enseignant principal dans l’après-midi. Bien sûr, il explique également pourquoi cette pièce est affublée de ce qualificatif peu flatteur. « Elle n’est protégée que par le roi », glisse-t-il. Donc si le joueur attaqué ne défend pas ce pion, son adversaire peut réussir un mat fulgurant et signer la fin de la partie en seulement quatre coups.

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40 élèves de l’école participent chaque semaine aux ateliers facultatifs pour parfaire leur technique © AP

Tous mordus d’échecs !

En plus de ce cours obligatoire, les élèves peuvent en plus, s’ils le souhaitent, participer à des ateliers d’échecs (bonus). Ils ont lieu le mardi et le vendredi pendant la pause méridienne et sont idéaux pour mettre à profit les coups appris en classe. Une quarantaine d’enfants les suivent, sur les 120 apprentis. Soit un tiers qui préfère rogner sur la pause et le temps de récré pour parfaire leur technique. Force est de constater que le succès est au rendez-vous. « Les échecs, on trouve ça bien. On réfléchit, ça permet d’être calme », apprécie Ariane. « De développer la réflexion aussi. Il faut bien connaître les déplacements, les tactiques », complète Alexandre. Sa camarade confirme, reconnaissant les oublier parfois. « Mais quand on se retrouve dans la situation, ça revient », assure-t-elle.

Certains enfants ramènent même les échecs jusque chez eux. À l’image de Chiara, en CE2, qui y joue avec sa sœur jumelle à la maison. À ses dires, c’est elle qui remporte le plus souvent la victoire ! Les élèves démarrent d’ailleurs chaque partie dans l’optique de la gagner, comme tout bon compétiteur. Et certains ne manquent pas d’ambition. « Y’en a qui ont pour but ultime de battre Anthony », révèle Fiona. Ce qu’ont déjà réussi Alexandre et Maxence. Sans doute de futures graines de champions… ♦

Bonus

  • Les échecs s’invitent aussi dans les écoles publiques – Avec le programme « Class’Échecs ». Lancé par la Fédération Française des Échecs (FFE), ce dispositif prend la forme de kit permettant aux professeurs volontaires d’animer des séances d’initiation en classe. D’après l’organisation, il réunit plus de 3 000 écoles et près de 6 000 professeurs depuis juin 2022. Une étude publiée fin janvier sur la pratique des échecs en classe par les enseignants, réalisée par Yves Léal (maître de conférences à l’INSPE de Toulouse et membre de la commission Scolaires de la FFE), montre que ces derniers en sont satisfaits. 96,5% considèrent que les échecs présentent un intérêt pour les élèves avec des difficultés scolaires. 83% qu’il y a un transfert de compétences des apprentissages de ce programme vers d’autres champs disciplinaires scolaires. L’ensemble des résultats est à retrouver ici.
  • Où pratiquer les échecs ? La Fédération Française des Échecs répertorie les clubs de toute la France sur son site internet en cliquant ici. Il suffit d’entrer le nom de sa ville dans la case prévue à cet effet pour obtenir la liste.