Fermer

À Arles, un bâtiment démonstrateur organique pour Luma

Par Nathania Cahen, le 31 août 2023

Journaliste

Maquette à l’échelle 1:50 montrant le projet architectural complet, Le Magasin Électrique, LUMA Arles, France. © Victor&Simon - Joana Luz

Du Magasin Électrique édifié il y a plus d’un siècle dans le parc des Ateliers SNCF d’Arles, seule la structure métallique a été conservée. Les murs ont été démolis, la toiture a été déposée. Restait une ossature à rhabiller, à la manière de son nouveau locataire, le laboratoire de design social Atelier Luma : selon une approche régénératrice, durable et vertueuse.

 

La Tour Luma a été une première occasion de démontrer les ressources et savoir-faire locaux, identifiés par Atelier Luma. Mais il s’agissait de micro-projets : cristaux de sel pour habiller les ascenseurs, panneaux en moëlle de tournesol pour tapisser le Drum Café, laine de moutons Mérinos pour une tapisserie, algues et plantes tinctoriales pour des tuiles bioplastiques… Diverses incursions dont le mérite est d’avoir débroussaillé le terrain. Mais avec l’ancien magasin électrique des ateliers SNCF il s’est agi, cette fois, de réhabiliter un bâtiment de A à Z.

À Arles, l’Atelier Luma occupe un bâtiment démonstrateur organique 1
Nettoyage des tuiles en terre cuite, Le Magasin Électrique, LUMA Arles, France. © Adrian Deweerdt

 

Changement d’échelle

Ce prototype imprégné de nouvelles applications ambitionne d’être un « flagship », un étendard. Et, mieux qu’une vitrine, le démonstrateur d’un bâtiment durable 100% régional. D’où ce principe de « building for incertain future », modèle qui aura la possibilité d’évoluer « vers des futurs qu’on ne connaît pas. Comme les arènes, qui ont connu plusieurs vies, plusieurs fonctions, ont même été habitées, mais sont toujours là », commente Jan Boelen, cofondateur et directeur artistique d’Atelier Luma. « S’en tenir aux échantillons était un peu frustrant, pointe Caroline Bianco, sa directrice adjointe. Là nous produisons un projet complet, avec des matériaux éprouvés ».

Dans le cadre de cette réalisation collective et ambitieuse, le magasin électrique fait à la fois office de cobaye et de labo. « Mais à la différence des autres labos, très cloisonnés et fonctionnant en huis clos, celui-ci est un espace ouvert, interdisciplinaire, perméable, transverse entre toutes les dimensions : making, designing, living… Il existe ici une grande fluidité entre les personnes, les espaces ou les matériaux », précise encore Jan Boelen. Cet état d’esprit transparaît dans la philosophie du bâtiment. Par exemple du côté des portes, puisque ce bâtiment n’en compte que deux.

À Arles, l’Atelier Luma occupe un bâtiment démonstrateur organique 4
Façade du Magasin Électrique, LUMA Arles, France © Adrian Deweerdt

 

♦ (re)lire l’article : Atelier Luma crée du design à partir du patrimoine naturel

 

Une réflexion plurielle

Trois structures ont phosphoré conjointement sur cet espace de 2000 m2 à reconquérir : Atelier Luma avec l’architecte irlandais Daniel Bell, le bureau bruxellois BC Architects and Materials, et le collectif londonien du studio Assemble. Tous ont en commun de placer la valorisation des matériaux de construction au centre de leur processus de recherche. Depuis 2019, ils avancent en symbiose, tricotant avec dextérité un projet original, innovant et adaptable. De nombreuses mains ont ainsi pétri cette matière inspirante. Plusieurs cerveaux se sont interconnectés.

« Parmi nos références, il y avait l’ouvrage How buildings learn, de Stewart Brand. Des bâtiments simples que les habitants peuvent modifier pour les adapter à leurs besoins », note Daniel Bell, architecte, responsable projets à Luma, qui supervise cet audacieux programme. Les plans ont été conjointement dessinés avec BC Architects. « Nous partagions la même vision, donc la collaboration a matché, nous avons fonctionné de manière organique, raconte Laurens Bekemans, cofondateur de BC Architects. Notre expertise recherche et développement a été très utile pour les ressources géo-sourcées, le pisé, les enduits… »

Identifier et mettre au point les matériaux a constitué une première étape, étalée sur près de 18 mois. La quête a ainsi porté sur des ressources accessibles dans un rayon de 70 km autour du Parc Luma. Sur toutes matières susceptibles d’entrer dans la composition de matériaux naturels de construction, d’isolation, d’embellissement. Puis à la phase recherches a succédé celle des essais.

À Arles, l’Atelier Luma occupe un bâtiment démonstrateur organique 3
Prototype de plâtre teinté en algues. © Laurens Bekemans
♦ Une médaille d’or a récompensé la phase conception de la reconfiguration du Magasin Electrique, pour sa démarche BDM – Bâtiments Durables Méditerranéens (lire bonus).

 

Tournesol, paille de riz, poussière de béton, tuiles et sable de Tarascon

À Arles, l’Atelier Luma occupe un bâtiment démonstrateur organique 5
Tabourets de bioplastiques qui incorporent du bioplastique recyclé, des microalgues, des additifs à base de plantes et descolorants à base de plantes. Le Magasin Électrique, LUMA Arles, France. © Joana Luz

À l’arrivée, dix matériaux issus ressources de ressources locales, de déchets de l’agriculture et de la construction ont été retenues :  tournesol, paille de riz, poussière de béton, tuiles, sable de Tarascon ou encore argile de Vallabrègues. L’argile et ses usages illustrent bien la démarche. Pour un carrelage comme pour un enduit, mêlé à la paille de riz, elle donne un matériau respirant, coupe-feu, qui régule l’atmosphère, estompe le bruit. De quoi recouvrir et isoler les briques de terre crue comprimée dont sont faits les murs du bâtiment.

Mais avant d’attaquer les travaux, il a fallu creuser le sol à un mètre de profondeur. Pour évacuer plusieurs mètres cubes d’une terre archi-polluée par des composants électriques datant de l’ancienne vie de ce bâtiment industriel.

Les étapes de chantier sont autant d’occasions d’organiser des ateliers de formation autour de procédés mis au point par Atelier Luma. Il faut en effet former à cette approche de la construction et ses process. Cela concerne le personnel des entreprises spécialisées impliquées dans la construction, mais aussi des communautés locales.

 

 

Essaimer méthodologie et savoir-faire

Impliqué depuis sept ans dans l’étude des ressources (matérielles et immatérielles) du bassin arlésien, Atelier Luma non seulement développe et met en pratique un modèle bio régional. Mais entend mettre en commun le fruit de ses recherches. Des régions comme la Champagne ainsi que des pays étrangers comme les Émirats Arabes, la Corée du Sud ou l’Allemagne témoignent déjà de leur intérêt. « Notre souhait est de partager les protocoles mis au point, abonde Jan Boelen. Le principe est que les matériaux sont lourds, et doivent donc être locaux. Mais que les idées, légères, peuvent voyager ».

À Arles, l’Atelier Luma occupe un bâtiment démonstrateur organique 2
Workshop fibres durant la construction du Magasin Électrique en mai 2022, LUMA Arles, France. © Adrian Deweerdt

 

Un rôle économique et social

Après sept années d’observations et d’expérimentions en Camargue, l’équipe d’Atelier Luma aurait-elle fait le tour de la question ? « Non, répond Jan Boelen. La Camargue est un paysage dynamique, qui évolue constamment. Le réchauffement induit des changements, au niveau de la salinité par exemple. L’écosystème se modifie, de nouvelles ressources apparaissent. On peut aussi creuser davantage l’usage du chanvre par exemple… » Ou encore trouver des solutions pour protéger toutes ces ressources.

« C’est un cap plus qu’une fin, confirme Caroline Bianco. Une reconnaissance. Cet outil bien dimensionné, ouvert au public, va nous permettre d’essaimer au-delà de notre archipel. Le changement d’échelle nous amène notamment à étudier comment un élément naturel peut devenir un matériau industriel. À l’instar de certaines plantes invasives présentes en quantité astronomique, comme le baccaris, la renouée du Japon ou la canne de Provence, qui peuvent entrer dans la fabrication de plaquage, de pâte à papier ou de matière textile ». Des travaux de recherche dont le système local est premier bénéficiaire, qu’il s’agisse de la transition environnementale de certaines entreprises, ou même de leur pérennisation. Un parfait exemple d’économie circulaire. ♦

 

Bonus

Médaille d’or. La phase conception de la reconfiguration du Lot 8 a été saluée par une médaille d’or pour sa démarche Bâtiments Durables Méditerranéens.

Les trophées BDM mettent en lumière depuis 2009 les projets livrés et reconnus les plus remarquables dans leur catégorie. Qu’il s’agisse de construction ou de rénovation. Ils récompensent ainsi l’ensemble de l’équipe d’un projet – aménageur, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, financeurs, entreprises… Car c’est l’intelligence collective qui permet à un bâtiment d’être conçu, réalisé et entretenu de façon respectueuse de l’environnement. Avec, notamment, des consommations énergétiques minimum.