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Apprendre à nager chez des particuliers grâce à Eau-Rizon

Par Marie Le Marois, le 13 juillet 2023

Journaliste

La mer est si proche et pourtant, à Marseille, deux collégiens sur trois en zone prioritaire ne savent pas nager à leur entrée en sixième. En cause, le manque de piscines. Pour y remédier, chaque été depuis trois ans, Eau-Rizon forme 90 jeunes aux rudiments de la nage dans des piscines mises à disposition gracieusement par des particuliers.

 

La villa Les Bains de Mer Chauds (un ancien centre de thalassothérapie, lire bonus), toute de blanche vêtue, se love dans la roche calcaire, épousant la forme de la calanque. De sa terrasse, la vue sur la mer de cet ancien centre de thalassothérapie est époustouflante. Les filles Pietri, famille propriétaire des lieux, jouent à s’arroser, tandis que cinq jeunes de 20 à 26 ans apprennent à nager dans la piscine. Elle n’est pas grande, suffisamment toutefois pour acquérir les rudiments. Flotter, souffler dans l’eau, se détacher du bord, puis plus tard, commencer quelques brasses. Peu importe si les jeunes ont pied, « au contraire, ça rassure », observe Caroline L’Helgoualc’h, coordinatrice d’Eau-Rizon, projet porté par Contact Club depuis l’été 2022 (bonus). L’association souhaitant que l’opération soit propice à tous les jeunes l’a proposée à plusieurs partenaires (bonus) qui œuvrent en faveur des jeunes défavorisés.

 

Traumatisme d’enfance

Des bulles Pietri
Les jeunes essayent de faire des bulles dans l’eau.@Marcelle

Les jeunes bénéficient en tout de dix séances d’une heure avec un maître-nageur certifié. Sylvie Tamburini a la voix rassurante et le verbe encourageant. Le challenge, cette ancienne cadre commerciale connaît. À plus de cinquante ans, elle a obtenu le brevet de maître-nageur sauveteur (BPJEPS). Formatrice à l’école ESM, elle accompagne depuis le début Eau-Rizon.

Après s’être essayés à l’étoile de mer, ses élèves font des bulles en fermant la bouche et en soufflant par le nez. « Joli, pas mal », lance-t-elle à l’attention de trois élèves, tout en taquinant un autre : « Oussama, tu es sûr que c’était le nez » ? Puis elle les invite à s’allonger sur le ventre, « pour regarder les poissons dans l’eau », en précisant que le secret est leur tête : « c’est votre gouvernail ». Cette fois-ci le jeune homme parvient à réaliser l’exercice et même à lâcher les mains. Une prouesse pour celui qui a failli se noyer à l’âge de 10 ans. « J’étais au centre aéré, j’ai voulu faire le malin en allant dans le grand bain, j’ai coulé, il a fallu venir me chercher », raconte-t-il les yeux bleus légèrement voilés par ce souvenir.

 

 

Cinq apprentis par cours

Apprendre à nager chez des particuliers grâce à Eau-Rizon 2
Oussama parvient à flotter sur le ventre et même à décrocher les mains. @Marcelle

Pour les deux grands gaillards qui barbotent à côté de lui, c’est une autre histoire. Ibrahim n’a jamais appris à nager au Niger, son pays d’origine. Et Aled n’a bénéficié que de deux cours de natation enfant, à Marseille. Il est éducateur sportif à Sport dans la Ville, association d’insertion professionnelle par le sport. L’année prochaine, il se professionnalisera avec son diplôme, le BPJPES. Savoir nager sera un atout sur son CV. Tous les trois sont donc très motivés pour apprendre à nager.

Avant eux, l’été dernier, ce sont 90 jeunes qui ont appris à nager, dont Benji. L’étudiante en commerce de 25 ans, qui avait bénéficié de cours de natation uniquement en CE1, a désormais la nage dans la peau. Tout comme le vélo, appris récemment. Le format est toujours le même – cinq apprentis par cours – à une différence près : les groupes ne sont plus mélangés entre les publics, « trop compliqué à organiser » souligne Caroline L’Helgoualc’h, la coordinatrice qui espère 100 jeunes cet été. Celle qui met elle-même à disposition sa piscine les constitue par association et en fonction, bien sûr, des piscines disponibles.

 

Besoins : De nouvelles piscines, surtout en août. Contact : 04 91 91 42 20 / contactclub.eaurizon@gmail.com

 

11 piscines de particuliers

brasse
À la fin de la séance, Ibrahim explore la brasse. @Marcelle

Contact Club en compte actuellement 11 « et deux potentielles ». Trois de plus par rapport à l’année dernière. « On les a principalement trouvées par réseau, bouche-à-oreille et une ou deux grâce à notre com’ sur les réseaux sociaux ». Les arrondissements ? Quartiers Sud, Nord et Vitrolles. Les propriétaires n’ont rien à faire, si ce n’est de mettre à disposition gracieusement leur bassin. « On s’occupe de tout : transport, recrutement des maîtres-nageurs, assurance… »

La famille Pietri fut la première à ouvrir sa piscine, en 2021 à la création du projet. Sa motivation ? « L’eau. C’est l’élément de notre entreprise familiale (Constructa NDLR) », répond spontanément Marie-Victoire Pietri, la dernière de la fratrie. Pour la chargée de communication et de la RSE du groupe, il était évident d’ouvrir Les Bains de mer chauds à des personnes désireuses d’apprendre à nager. « La volonté, il faut l’accompagner », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Apprendre à nager permet de se dépasser et d’avoir confiance en soi ». Cinq jeunes viennent ainsi dans la villa chaque mardi soir et ce, jusque mi-octobre, sauf en août où la famille au grand complet y passera ses vacances.  

 

 

Un format sécurisant 

Sylvie Tamburini
Sylvie Tamburini sécurise une Fatou effrayée. @Marcelle

Fatou, la seule jeune fille du groupe, a peur.  À chaque exercice, Sylvie Tamburini la sécurise, avec ses jambes, ses bras, une frite. La jeune lycéenne de l’École de la Deuxième Chance n’a pas vraiment suivi de cours enfant. « Je crois que j’en ai eus jusqu’en CE1, mais j’étais très très timide, je n’y allais pas trop », raconte-t-elle. Soudain, elle lâche un traumatisme enfoui : elle a failli se noyer. « Le maître-nageur m’avait dit de m’allonger avec une planche, puis il est parti et j’ai coulé. Heureusement, une copine m’a rattrapée ». Ne pas savoir nager lui a-t-il manqué ? « Il y a beaucoup de choses que je ne faisais pas, comme aller me baigner avec mes amis ou ma famille ». Elle avait tenté quelques séances avec Sport dans la Ville, mais sans succès, « trop de monde ». Elle apprécie d’être en petit groupe : « La maître-nageuse prend le temps de nous expliquer ». Pour les jeunes, c’est un bon format pour apprendre à nager rapidement et profiter ainsi des loisirs nautiques. Pour les propriétaires, une occasion unique de soutenir la jeunesse de leur ville, mais aussi de « faire des rencontres formidables », étaye Marie-Victoire Pietri.

Du haut de la Villa des Bains de Mer Chauds, après leur cours, Ibrahim, Aled et Oussama observent des jeunes s’ébrouer dans la calanque. Bientôt, ce sera leur tour.♦  

 

♦ Le République, restaurant pour tous, parraine la rubrique SOLIDARITÉ et vous offre la lecture de cet article ♦

 

Bonus

[pour les abonnés] – L’histoire d’Eau-Rizon – Celle des Bains de mer chauds – Les partenaires – Les financements –

  • Les Bains de Mer Chauds. Ils ouvrent leurs portent au début du XXème siècle. Situés à l’entrée du village de Malmousque en venant du Vieux-Port, juste après le Vallon des Auffes, l’établissement propose une piscine couverte, plusieurs salles de soin, ainsi qu’un restaurant avec une large terrasse sur pilotis en belvédère au-dessus de la mer. Le site est exceptionnel : à l’écart de la circulation de la Corniche, il s’ouvre sur la baie de Marseille face aux îles du Frioul et du Château d’If. Le terrain a les pieds dans l’eau. Le succès est immédiat.
    Apprendre à nager chez des particuliers grâce à Eau-Rizon 5
    Les bains de mer chauds, première version ©DR

    Au cours des années 1980, une vaste campagne de travaux est entreprise. Le lieu perd de son charme, les volumes sont rationalisés, l’ensemble forme une forteresse. L’accès à la thalassothérapie ne se fait plus que par un escalier aveugle, privant de vue vers la mer. L’activité cesse définitivement au début des années 2000, faute d’entretien et à cause de la vétusté des équipements. Puis en 2008, une villa dessinée par l’architecte Jean-Baptiste Pietri.

    Début 19e, la médecine vient de découvrir les bienfaits de la balnéothérapie. Dès 1820, un premier centre est réalisé au Nord de la Joliette, dans les bassins d’Arenc : les Grands Bains de la Méditerranée. L’aménagement progressif de la Corniche, de 1848 à 1863, favorise encore leur essor. C’est ainsi qu’un premier grand établissement, Les Bains du Roucas Blanc, est inauguré en 1875. Celui-ci propose deux bassins permettant les bains de mer, des salles d’hydrothérapie puis, plus tard, un restaurant. L’établissement est devenu depuis l’hôtel Palm Beach. D’autres infos encore sur ce blog bien renseigné, Les Petites balades urbaines.

♦ Lire aussi : Une régate des Minots qui rappelle que la mer appartient à tous

 

  • Histoire d’Eau-Rizon. Cette opération a été créée par la Fondation Apprentis d’Auteuil (programme Impact Jeunes) et la Fabrique du Nous en 2021. Face au succès, elle a été confiée à Contact Club. Une association qui, depuis 1959, propose aux 12-25 ans un accueil de loisirs, des projets culturels et sportifs « et bien sûr un accompagnements scolaire », souligne Caroline L’Helgoualc’h. Elle rajoute qu’une douzaine de jeunes partent avec des policiers « pour un rapprochement jeunes-police ». L’association est très attachée à ce projet, « surtout en ce moment ».

 

  • Associations partenaires : Sport dans la ville, Les Apprentis d’Auteuil (via Campus Co, Impact Jeunes et un foyer de jeunes travailleurs), Ramina (accompagnement des Mineurs non accompagnés MNA), Article 1 et Télémaque (tutorat pour les étudiants qui n’ont pas de réseau). Et le centre social La Garde. 

 

  • Financements : Contact Club, soutiens publics et privés.