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Avec Face, le recrutement débute sur un voilier

Par Marie Le Marois, le 18 octobre 2023

Journaliste

L'équipage de Canaille au complet ©yohanbrandt
Depuis 2022, la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE) organise la Régate des possibles à Marseille. Recruteurs et demandeurs d’emploi naviguent ensemble, anonymement, avant de se dévoiler lors d’un job dating. Ce dispositif inédit met en avant les qualités plus que le CV.

 

Au pied du Mucem, le 10 octobre, 160 participants arborent le même tee-shirt bleu floqué du logo de la Régate des possibles. Ils patientent sur le quai, avant d’embarquer sur les vingt voiliers amarrés les uns aux autres. Certains sont excités à l’idée de monter sur un bateau pour la première fois, d’autres appréhendent de tomber à l’eau. Tous arborent un large sourire. Parmi eux, 80 demandeurs d’emploi et 20 entreprises venues en duo.

À bord du  »Canaille », nous sommes accueillis par Vaki et Audrey. Il est le capitaine et elle, la facilitatrice, celle qui va favoriser les échanges. Impossible de distinguer parmi les dix équipiers qui est en recherche, qui est en demande. Notre curiosité laisse rapidement place au plaisir de naviguer dans la rade de Marseille.

 

♦ La Fondation Face, présente dans 51 départements, fête ses 30 ans le 14 novembre à Marseille en présence de son président, Jean Castex.

 

Plus d’étiquette, plus de statut

Avec Face, le recrutement débute sur un voilier 10
Embarquement au Mucem, 20 voiliers, 20 équipages. @Pauline Fernandez

La fondation Face Sud Provence organise cette troisième édition pour les personnes éloignées des réseaux d’entreprises, avec le soutien de la Métropole (bonus) et en partenariat avec Marseille Capitale de la Mer. Sa présidente, Malika Idri, est convaincue que le sport est fructueux pour la mobilisation des publics et leur parcours d’insertion.
« Sur un bateau, sans étiquette, sans statut, les personnes peuvent montrer réellement qui ils sont et développer leurs talents », explique cette bénévole lors du lancement du Manifeste sport et insertion le 28 septembre (bonus). Le recrutement n’est plus une épreuve stressante qui peut réduire les moyens du candidat. Mais un moment joyeux animé par l’esprit d’équipe et la convivialité. À bord, tout le monde est à égalité face aux éléments, s’appelle par son prénom et se tutoie.

 

Mis en lumière des compétences

Face Vaky
Vaky, le skippeur, montre une manoeuvre à Mourad très intéressé @Marcelle

Le sport déconstruit les stéréotypes. Change les représentations mutuelles. Et sensibilise les entreprises à l’égalité des chances.

Cette méthode inédite, employée de plus en plus chez les recruteurs, fonctionne. Lors de la première régate, en octobre 2022 – une édition particulièrement ventée – les recruteurs à bord ne pouvaient pas deviner que cette femme charismatique en face d’eux était issue de la prostitution. Ou que cet homme taiseux portait un bracelet électronique à la cheville. En revanche, ce qu’ils ont remarqué, lorsque l’équipage a dû effectuer des manœuvres rapides, c’est leur savoir-être.

 

Et du savoir-être

Face Malika
Malika Idri, présidente de Face Sud Provence depuis dix ans

La femme en question a fait preuve de « leadership, de sang-froid et de relationnel facile », détaille Malika Idri, encore fascinée. Et d’ajouter : « Sur le bateau, c’est elle qui commandait et distribuait les rôles à tout le monde ». Y compris à un dirigeant d’entreprise de 10 000 collaborateurs « qui obéissait à tout ce qu’elle disait ». Elle ne savait pas qui était ce monsieur, bien sûr. Il l’a recrutée pour un poste d’accueil et de relation client dès la fin de la régate avec ces mots : « Je ne sais pas si vous êtes employeur ou chercheur d’emploi, mais je vous veux dans mon équipe ».

Quant à l’homme, « plus réservé », il s’est avéré efficace et rassurant sur la mer démontée, avec des capacités d’attention et de soutien. « Il a été recruté dès l’après-midi pour un poste nécessitant discrétion, assurance et force tranquille. Et a eu depuis deux promotions », étaye la présidente qui ne souhaite pas en dire plus. Pour préserver l’anonymat.   

 

 

S’amuser d’abord

Face Fanny
Fanny et Mourad, demandeur d’emploi ou recruteur ? @Marcelle

Sur notre bateau, Audrey la facilitatrice invite chacun à partager ses attentes et ses peurs. Cette accompagnatrice à l’emploi chez Apprentis d’Auteuil commence par elle-même, s’excuse pour ses tremblements dus à une maladie neurologique. Cette confidence met tout le monde à l’aise. Pas de faux-semblant ici, on joue authentique et équipe.  

Les interventions se ressemblent. Envie de « passer un bon moment », « profiter », « décompresser un peu ». Peur de « tomber à l’eau », « du mal de mer ». Une voix se distingue à la fin, celle de Dania. De cette journée, elle attend trouver un emploi. Sa voix est à peine audible, mais suffisamment pour que les autres reprennent dans un brouhaha que, oui, ils espèrent décrocher un job. La jeune fille de 23 ans n’a pas de formation, juste une expérience d’ASH (Agent de service hospitalier) et l’envie de devenir aide-soignante. Elle a pris connaissance de la régate par une affiche collée à la Mission Locale (association du service public dédiée aux 16-25 ans en recherche d’emploi ou de formation).

 

Public discriminé

Face Dina
Dania hisse la grand-voile, avec l’aide de Fanny. @Marcelle

Le skipper demande à Dania de hisser la grand-voile. Malgré son appréhension des profondeurs, elle s’exécute, fébrilement. Fanny l’assiste en récupérant le mou de la corde. À 48 ans, cette femme au foyer durant quatorze ans, toujours prête à aider, ne trouve pas d’emploi. Suivie par le PlIE (Plan local d’insertion), en chantier d’insertion professionnelle jusqu’au 15 novembre, elle fait partie des publics discriminés. « Comme les séniors, les personnes en situation de handicap, les jeunes… », appuie Pauline Fernandez, responsable de projets à Face Sud Provence (bonus) et pilote de l’opération. 

Mourad, lui, est dépité. Il enchaîne les candidatures depuis juin. Le scénario est toujours le même. Un recruteur l’appelle pour un poste « puis, il me zappe », lâche-t-il d’une voix rauque. Cette situation lui mine le moral, « j’espère, je partage la nouvelle avec ma femme et rien ». Pourtant, ce spécialiste du polyester – coque de piscine, de bateau… – est prêt à prendre n’importe quel boulot. Il a quatre enfants, « je ne peux pas me permettre de refuser ». Cet adepte de la pêche au leurre chez lui, à Cassis, suppute que les entreprises le considèrent déjà comme un sénior alors qu’il n’a que 48 ans.

 

 

Trop difficile ? 

Fce Cécilia
Cécilia, pas rassurée du tout, mais très fière d’avoir dépassé sa peur. @Marcelle

Cécilia, elle, est un peu plus difficile dans ses choix. « Maintenant qu’on doit travailler jusqu’à 64 ans, je veux trouver un coup de cœur », détaille-t-elle d’une voix de fumeuse. Cette quadra est en recherche depuis un an. Elle a dû arrêter son job de plonge suite à une quadruple fracture à la cheville. Elle est confiante, « je suis polyvalente car j’ai tout fait : agent d’entretien, vendeuse, plaquiste… ». Le seul hic : elle vit à Gémenos, à 20 kilomètres de Marseille et n’est pas véhiculée – « ma voiture est morte, je n’ai pas de budget pour en racheter une ». Et les horaires de bus ne sont pas adaptés. 

Barrer le voilier ne fait pas partie de ses compétences, « il ne vaut mieux pas, je vais vous pousser   dans les rochers », sourit-elle mi-figue mi-raisin. Mais le skipper insiste gentiment. À sa plus grande surprise, elle parvient à diriger le bateau. 

 

En manque de candidats 

Face job dating
Job dating l’après-midi avec 80 chercheurs d’emploi et 20 entreprises ©yohanbrandt

Peut-être que Marina aura un poste à proposer à Cécilia. Cette conseillère emploi chez Manpower Aubagne-La Ciotat— société d’intérim qui couvre « tous les secteurs d’activités » – est venue à la régate car « c’est bien simple, on ne trouve plus personne », lâche-t-elle tout en tenant la barre à son tour. « Nous sommes dans un contexte de plein emploi, il y a donc moins de candidats sur le marché et plus exigeants ». 

Après avoir enroulé le Château d’If, les vingt voiliers, majestueux avec leur grand-voile blanche, reviennent au Vieux-Port. Par manque de vent, cette troisième édition n’a pas donné de vainqueur. Elle a néanmoins offert aux participants une bulle de bonheur. « Jamais je n’aurais pu m’offrir ce tour en bateau », confie Fanny qui s’enquiert auprès du skipper pour des stages à prix abordables. Elle leur a permis également de dépasser leurs limites et d’oser. Oser, c’est ce que feront l’après-midi Mourad, Fanny, Dania et Cécilia lors du job dating au Palais du Pharo. 

 

♦ Fort du bilan positif et en prévision des Jeux Olympiques, la Métropole Aix-Marseille réfléchit à une quatrième régate au printemps 2024.

 

Étoffer son réseau

80 demandeurs d'emploi
Régate des possibles #3 : 80 demandeurs d’emploi, 40 collaborateurs d’entreprise, 20 facilitateurs, 20 skippers, 20 bateaux ©yohanbrandt

Nos candidats sont repartis de cette journée, non pas avec un contrat, mais « de beaux contacts : Suez, Accor, Coca-Cola, la Métropole… », égrène Fanny au téléphone deux jours plus tard. Cécilia a eu une touche avec Lidl et Leroy Merlin, mais envisage une formation d’auxiliaire de vie. Quant à Mourad, rien de concluant le jour même. « Par contre, une boîte d’intérim m’a appelé le lendemain pour me proposer de travailler sur le chantier naval de La Ciotat ». Dania, elle, est « déçue » du non-retour des entreprises, mais « super contente » de la journée – « ça m’a motivé pour continuer mes recherches ». Marina, enfin, a pu enrichir son fichier candidat, « avec des profils très diversifiés, tous métiers, toutes qualifications ». 

Le job de Face, désormais, est « de suivre les entreprises et les demandeurs pour renforcer le lien », insiste la responsable de l’opération. Les deux éditions précédentes ont entraîné « 60% de retour à l’emploi », annonce-t-elle. Tout en précisant que ce chiffre ne résulte pas forcément de la régate, mais des effets secondaires impulsés. Confiance en soi et ouverture des possibles. ♦ 

 

Bonus 

  • La Régate des possibles s’inscrit dans le cadre du plan de lutte métropolitain contre les discriminations et de l’appel à projets Impact JOP 2024 de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires soutenue par l’État et la Métropole Aix-Marseille-Provence et mise en œuvre par FACE Sud Provence.

 

  • Fondation Agir Contre l’Exclusion. La Fondation Reconnue d’Utilité Publique FACE (Fondation Agir Contre l’Exclusion) a été créée en 1993 à l’initiative de Martine Aubry et de quinze grandes entreprises françaises. Elle favorise l’engagement social et sociétal des entreprises pour lutter contre toute forme d’exclusion, de discrimination et de pauvreté. Organisée en réseau (plus de 100 implantations territoriales), la Fondation fédère près de 4 700 entreprises et se compose de 42 clubs. Celui de Face Sud Provence compte 211 entreprises engagées et 385 collaborateurs mobilisés dans ses actions. 

Marseille compte « 90 000 demandeurs d’emploi, dont certains très éloignés de l’insertion professionnelle. Le sport est un formidable catalyseur », constate Jean-Marc Blanc, directeur de Pôle Emploi Bouches-du-Rhône. « Les compétences dans le sport rejoignent celles que recherchent les entreprises », ajoute Marie-Dominique Champloy, co-fondatrice et directrice de Marseille capitale de la mer. 

De nombreuses actions originales de recrutement et d’insertion par le sport existent déjà sur notre territoire : Régates des possibles, Quadrathlon des femmes, De la Ville à la mer, Du Stade à l’Emploi, Le Grand Bleu et Sport dans la Ville. Qui peut signer ce manifeste ? Tous les acteurs du sport, de l’emploi, de l’insertion, les entreprises et institutionnels. Déjà 100 signataires.

 

 

  • Bio express de Malika Idri : 

Fondatrice et dirigeante de Mediance 13 (satellite de Face qui s’occupe de médiation sociale) pendant douze ans.  

Responsable régionale AG2R La Mondiale pendant douze ans.

Membre fondateur 60 000 rebonds Paca (soutien des entrepreneurs post faillite) pendant huit ans.

Actuelle présidente de la Fondation FACE Sud, membre du CJD Marseille (Centres jeunes dirigeants) et coach professionnelle certifiée auprès des entreprises.  

Malika Idri laisse la présidence de Face Sud Provence en février 2024 à Sofian Benhabib, PDG de SYNLAB Provence.