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Comment préparer notre alimentation de demain ?

Par Zoé Charef, le 19 février 2024

Journaliste

@Pixabay

Quels sont les enjeux agricoles et alimentaires actuels ? Comment y répondre ? Vers quel type d’agriculture tendre pour nourrir la population française ? Nicolas Bricas, socio-économiste de l’alimentation au Cirad et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du monde, nous rappelle les caractéristiques du modèle industriel et évoque des solutions à envisager pour demain. 

« On est passé d’un système dans lequel le soleil apportait l’essentiel de l’énergie et des nutriments à un système de ressources non renouvelables », rappelle en préambule Nicolas Bricas. Socio-économiste de l’alimentation au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), il développe : « au début du 20e siècle, on découvre le charbon, le potassium, l’azote, le pétrole, l’uranium – des ressources non renouvelables – qu’on utilise massivement. On bascule alors dans ce nouveau système qui permet d’augmenter la production alimentaire plus vite que la population. » Ce que l’expert décrit est la situation de surproduction alimentaire qui s’établit à partir des années 1980 à l’échelle planétaire.

 

Après-guerre, la création d’un contrat social d’alimentation et de production 

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Nicolas Bricas, socio-économiste de l’alimentation au Cirad et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du monde. ©DR

Il précise d’emblée que la population mondiale n’est « pas du tout face à un risque de pénurie alimentaire » (lire Bonus). Mais directement après la Seconde Guerre mondiale, on cherche déjà à trouver les bons ajustements pour l’agriculture et l’alimentation françaises. En ce sens, un contrat social d’alimentation et de production est alors mis en place. Nicolas Bricas le définit comme une solution pour « une alimentation la moins chère possible, sans empoisonnement à court terme. » On augmente la productivité de la terre et du travail grâce aux engrais chimiques et aux avancées technologiques.

Une série d’institutions voit également le jour pour permettre la mise en œuvre de ce contrat : les fournisseurs privés, les assurances et les banques publiques, la recherche (avec l’INRAE notamment) et les interprofessionnels (avec les syndicats agricoles). « Tout un système alimentaire ! Mais, dès les années 1970, on se rend compte que ce modèle va coincer à terme. On épuise des ressources non renouvelables, on sature les milieux naturels et on pollue, poursuit le socio-économiste. D’autant plus qu’on ne parvient pas à rémunérer correctement les producteurs, que la valeur ajoutée s’accumule en aval et qu’on fait face à de nouveaux problèmes de santé publique (surpoids, maladies dégénératives et cardiovasculaires…) imputables à la qualité des produits. Ils nous empoisonnent à moyen et long terme. »

« Faire advenir un autre contrat social »

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Champ de blé en Côte d’Or, Bourgogne, France. ©CC

Des problématiques environnementales, sanitaires, sociales et de gouvernance s’ajoutent à la démonstration de Nicolas Bricas. Elles justifient le besoin de changer de modèle agroalimentaire (soit la production agricole, sa transformation, sa commercialisation, sa consommation et la gestion de ses déchets). Pour cela, il s’agirait, toujours selon le spécialiste, de transformer et remplacer tous les acteurs concernés « pour faire advenir un autre contrat social. Cela est compliqué parce que certains acteurs ont construit leur richesse sur l’ancien modèle et entendent bien continuer comme ça. »

Plutôt qu’une « nouvelle fuite en avant optimiste, avec la troisième révolution agricole » (les nouvelles technologies numériques et génétiques, NDLR), Nicolas Bricas penche pour une démocratie alimentaire. Ballotté entre l’effondrement de la biodiversité et l’arrivée de ces nouvelles évolutions technologiques, le système agroalimentaire est à la croisée des chemins. Notre rapport à l’alimentation et à nous-mêmes change, celle-ci étant un moyen de se relier aux autres et à la biosphère. Cela se concrétise dans les combats contre la maltraitance animale notamment, mais également dans la façon dont on fait de l’agriculture. « Notre façon de construire notre alimentation est notre façon de se construire au monde. Et aujourd’hui, c’est aux citoyens de décider, de reprendre la parole – pas aux entreprises ou experts d’avant. »

À Montpellier, une Caisse commune de l’alimentation

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Les fruits et légumes français. ©CC

Un conseil citoyen de l’alimentation voit donc le jour. Un espace dans lequel les citoyens peuvent réfléchir, se former, rencontrer divers experts du milieu et élaborer des propositions sur le système des générations futures.

Prenons l’exemple de la première assemblée citoyenne de l’alimentation, mis en place à Montpellier en juillet 2021. Une soixantaine d’habitants se réunissent alors et « se demandent comment donner à tout le monde accès à une alimentation de qualité. Eux-mêmes définissent cette qualité », présente l’expert. Cela aboutit au projet de construction de la Caisse commune de l’alimentation : 380 Montpelliérains tirés au sort cotisent tous les mois entre 1 et 150 euros, en fonction de leur classe sociale « et de ce qu’ils veulent donner. » En contrepartie, ils touchent chaque mois 100 euros à dépenser dans des lieux de vente préalablement sélectionnés dans la ville – des marchés paysans et magasins indépendants locaux. « Cela donne à tout le monde accès à des aliments de qualité et les amène à réfléchir à la question. »

Cette expérimentation s’inspire du projet Sécurité sociale de l’alimentation actuellement en cours de réflexion en France. L’idée est de rajouter une branche « alimentation » à la Sécurité sociale de la santé, sur la base du modèle initial mis en place par les travailleurs. « L’objectif, à terme, serait que tous les Français cotisent à une caisse en fonction de leur niveau de vie et reçoivent 150 euros par mois dédiés à cette alimentation », continue Nicolas Bricas.

Quelle solution pour manger demain ?

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Un troupeau de brebis dans les Pyrénées Béarnaises. ©CC

De nombreuses initiatives locales existent et expérimentent ces nouvelles façons de produire. « Comme avec l’agriculture biologique il y a quelques décennies, commente le socio-économiste. Aujourd’hui, on parle d’agroécologie, avec l’équité des agriculteurs dans les filières, une gouvernance davantage équilibrée et de nouvelles façons de transformer les productions. Ces modèles alternatifs méritent d’être mis en débat pour répondre aux enjeux de non destruction de l’agriculture et de l’alimentation. »

Alors, aurions-nous trouvé la solution pour notre alimentation de demain ? Nicolas Bricas tempère : « Ce sont des modèles inspirants et des repères, mais ce n’est pas forcément exactement vers cela qu’il faut aller. C’est justement parce qu’on n’a pas la réponse exacte qu’il faut que les citoyens soient investis. Le pilotage de notre système alimentaire est accaparé par une poignée d’acteurs, avec un contre-pouvoir pas assez fort, conclut Nicolas Bricas. Il faut modifier ce rapport de force en créant ces comités citoyens de l’alimentation. » 

 

Bonus

  • Biomasse. Actuellement, 40% de la production végétale et animale mondiale est utilisée pour nourrir les animaux. De cette donnée, Nicolas Bricas déduit que la réduction de la « surconsommation de produits animaux libèrerait des productions gigantesques pour les humains. » S’il souligne que la pénurie alimentaire n’est pas à craindre, il alerte sur l’utilisation de la biomasse mondiale (soit la production végétale et animale).
    « Jusqu’au 19e siècle, la biomasse avait quatre finalités : la nourriture (la viande, les œufs, les légumes), l’énergie (le bois de chauffe, la force animale), la production de matériaux (le bois d’œuvre pour construire des bâtiments) et la production de fertilisants (les légumineuses qui captent l’azote de l’air et fertilisent le sol). Mais l’industrialisation de l’agriculture en a considérablement réduit trois finalités : l’énergie, les productions de matériaux et fertilisants. La biomasse ne sert plus que pour l’alimentation. Si l’on décide de réduire l’usage de ressources non renouvelables, cela signifie que l’on devra reconstruire des bâtiments avec du bois. Et réutiliser les légumineuses pour fertiliser. Alors, effectivement, arriveront les tensions sur les ressources naturelles. » Il termine en mentionnant qu’il serait donc compliqué pour la biomasse de satisfaire les besoins de 10 milliards d’habitants. 

 

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