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L’agro-écologie, la réponse aux enjeux alimentaires ?

Par Marie Le Marois, le 28 août 2023

Journaliste

Avec 1,5 hectares, la Fermes des Roselières fournit un panier hebdomadaire pour plus de 200 familles @Marcelle

Contrairement à une idée largement répandue, la réponse à la faim dans le monde n’est pas l’agriculture conventionnelle, mais l’agro-écologie, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Ce modèle agricole peut nourrir la planète tout en respectant l’environnement et les hommes. La Ferme des Roselières, à Aubagne (Bouches-du-Rhône), en est la parfaite illustration. Avec seulement 1,5 hectare en culture, le maraîcher produit 54 légumes différents par an, fournit plus de 200 familles par semaine et en vit convenablement.

 

Il profite de la fraîcheur du matin pour ramasser ses légumes. Franck Sillam, physique sec et verbe tonique, couve du regard les produits de La Ferme des Roselières qu’il vendra le soir même au marché paysan de La Plaine, au cœur de Marseille. Dans le panier ? Pommes de terre précoces Linzer Delikatess – « de la bombe atomique, plus tendre que la ratte ». Tomates anciennes – Marmande, Crimée, Andine cornue – « meilleure que la Cœur de bœuf ». Haricots plats, cébettes, courgettes rondes, aubergines, poivrons. Et même prunes mirabelles. En tout, « huit produits, de l’entrée au dessert », résume le paysan maraîcher, non sans fierté. Il parvient en effet à produire toute l’année 54 légumes différents labellisés AB qui conjuguent qualité et quantité. 

 

Régénérer les sols

Cet ancien épidémiologiste (bonus) fait partie de cette génération d’agriculteurs engagés en faveur de l’alimentation durable. « Si les 400 000 agriculteurs en France pratiquaient la même approche, on pourrait nourrir toute la population », calcule ce passionné qui fournit chaque semaine 200 familles.

L’agro-écologie, à la différence à l’agriculture conventionnelle en vigueur en France, serait une réponse aux enjeux alimentaires – elle peut multiplier par deux la production dans certaines régions du monde, selon la Fondation pour la nature et l’homme. Elle est également considérée comme une solution aux enjeux climatiques.

L’agro-écologie ? Une façon de concevoir des systèmes agricoles qui s’appuient sur les ressources de la nature, tout en maintenant ses capacités de renouvellement. Franck Sillam utilise différentes pratiques – agriculture biologique, agroforesterie, permaculture et maraîchage sur sol vivant (bonus). Mais aussi une approche scientifique car il refuse tous produits phytosanitaires, même les traitements utilisables en agriculture biologique (UAB).

« Une alimentation durable est une alimentation qui a un faible impact sur l’environnement, nourrit en quantité et en qualité suffisantes, et contribue à une vie saine pour les générations actuelles et futures », FAO.

 

Traitement à la main

plants de légumes
Franck Sillam inspecte ses plants de légumes feuille par feuille pour enlever les nuisibles. @Marcelle

Franck Sillam peut s’enorgueillir de sa production florissante. Bichonner à la main ses cultures a toutefois un prix : il passe environ 70 heures par semaine sur ses dix parcelles en culture (900 m2 chacune environ), ses deux projets d’agroforesterie (un hectare) et ses serres (1600 m2). Son temps est notamment consacré à décrocher des feuilles les nuisibles – escargots, limaces et insectes. 

Ainsi, sur les aubergines, il écrase ce matin-là pucerons et doryphores. « Un doryphore pond 200 œufs, sachant que la saison correspond à quatre générations, imaginez le nombre », soupire-t-il, tout en soulignant que ce n’est pas grave s’il en oublie. Car il ne veut pas non plus créer « un génocide » qui fragiliserait l’écosystème. « Si tu tues tous les pucerons, il n’y a plus de coccinelles. Il faut maintenir un équilibre », insiste le quadra en ajoutant que « toute espèce a un apport au niveau de l’environnement ». Les escargots, par exemple. Souvent considérés comme une nuisance pour les jardiniers, ils transforment les matières organiques qui jonchent le sol en minéraux assimilables par la plante. Enfin, la nature ayant horreur du vide, « si vous éradiquez un nuisible, un autre prendra sa place ».

 

Des alliés naturels

pince-oreille
Voici un pince-oreille, allié de Franck Sillam car il mange les pucerons. @Marcelle

Pour manger les nuisibles, ce pragmatique peut compter sur les auxiliaires de culture. Ces alliés naturels sont des organismes vivants ‘’qui, de par leur mode de vie, leur développement et/ou leur alimentation régulent les populations de ravageurs de culture’’, selon le dictionnaire d’agro-écologie. Citons les insectes – pince-oreilles et coccinelles, prédateurs des pucerons. Les oiseaux – rapaces et mésanges. Enfin, les mammifères. Les hérissons sont friands de limaces et d’escargots, les chauves-souris d’insectes ravageurs. Ces alliés viennent aisément à la Ferme des Roselières car elle regorge d’abris naturels et n’utilise pas de pesticides, néfastes pour tout vivant, y compris l’homme. Comme le souligne la récente affaire des melons charentais. 

 

Rotation des cultures

L’autre réponse aux ravageurs est la rotation des cultures, c’est-à-dire la succession diversifiée de cultures dans le temps, sur une même parcelle. Par exemple, avant les aubergines, Franck Sillam avait planté des poireaux. Après les salades, il plantera « peut-être des épinards et, en fin d’année, des choux ». La rotation culturale permet de limiter les risques tant au niveau des maladies que des ravageurs. Elle empêche par exemple que la dernière génération des doryphores hiberne l’hiver et réapparaisse l’été suivant, car il ne s’épanouit pas sur toutes les cultures.

Cette rotation permet également de ne pas épuiser le sol – en monoculture, la plante puise toujours les mêmes nutriments. Elle permet en outre à la terre de se régénérer et d’être plus fertile. Les recherches montrent une augmentation de 10% à 25% du rendement des cultures en rotations par rapport à la monoculture.

 

« Devenir agriculteur, c’est créer un bouleversement d’un écosystème déjà établi – prairie, forêt, friche. Notre action : essayer de retrouver et de maintenir un équilibre au déséquilibre que nous avons induit », Franck Sillam. 

 

Des engrais verts

Rotation des cultures
Cette parcelle est en ce moment consacrée à la pousse d’engrais verts. @Marcelle

Cette rotation comprend également la plantation de fabacées (haricots, pois, fèves…) et légumineuses. L’idée n’est de les récolter, mais de produire des engrais verts. Les uns fixent dans le sol l’azote de l’atmosphère, élément nutritif indispensable à la croissance des cultures. Les autres, une fois broyés à même le sol, favorisent la reconstitution du stock en nutriments nécessaires aux plantes, notamment grâce à l’action des vers de terre. 

Ce couvert végétal permet enfin de garder un taux d’humidité important, d’améliorer la structure et la vie du sol. La mise en place d’engrais verts d’une parcelle ne s’effectue pas tous les ans, mais une année sur trois environ. « Car sinon, là encore, on créerait un déséquilibre : l’arrivée par exemple des taupins, appelés ici ‘’fil de fer’’’ qui créent des trous dans les pommes de terre ».

 

 

Maintenir la vie dans Ie sol

Franck SillamSi nourrir la terre est essentiel, maintenir la vie dans le sol l’est tout autant. Il regorge en effet d’organismes essentiels – dont vers de terre et champignons.

Pour les préserver, exit les pesticides bien sûr, mais aussi le labourage (qui retourne la terre) et le tracteur (qui la tasse). Franck Sillam utilise cet engin uniquement pour le gros travail du sol.

Pour désherber et griffer, cet intervenant en cours de science et de maraîchage (pour le brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole) préfère utiliser sarcloir et houe maraîchère.

 

« En Agriculture biologique, on ne nourrit pas la plante, on nourrit le sol qui va nourrir la plante », Franck Sillam.  

 

Des arbres pour l’ombrage et l’humidité

agroforesterie
Franck Sillam a planté de nombreux arbres fruitiers à la bordure de certaines parcelles pour profiter des nombreux bienfaits des arbres. @Marcelle

Dans une partie de son champ, Franck Sillam a planté dès la deuxième année des rangées d’arbres fruitiers espacés de huit mètres (pacaniers, figuiers, pêchers, grenadiers, kakis, abricotiers, cerisiers…) L’objet de ces haies n’est pas de commercialiser les fruits – « si on en a, c’est la cerise sur le gâteau ». Mais de contribuer au développement racinaire des cultures, de les protéger du vent, de limiter l’évaporation de l’eau, de servir de nichoir aux auxiliaires. Et de créer un coin d’ombrage, nécessaire pour certaines cultures, comme la fève ou le poivron. Enfin, feuilles et fruits, en tombant, offrent de la matière organique et « renouvellent donc le sol ». Cette pratique d’associer les cultures avec des arbres est le principe même de l’agroforesterie. Elle restreint certes les plantations – « sur une bande de huit mètres, seuls trois sont exploitables à cause des racines » -, mais favorise la production.

 

Recouvrir le sol cultivé

Tomates
La Ferme des Roselières cultive 17 variétés de tomates @DR

Pour préserver l’humidité et la vie dans le sol, ainsi que limiter l’apparition des mauvaises herbes, Franck Sillam le recouvre… de bâches en plastique. Matière étonnante sur une exploitation agro-écologique, « mais je n’ai pas encore trouvé d’alternative », balaye celui qui expérimente en permanence. Le bois fragmenté ? Impossible car il prélève de l’azote dans le sol « et donc entraîne un déséquilibre ». Quant à la paille, impossible également à cause du Mistral, vent qui s’engouffre dans cette vallée.

Concernant l’arrosage, sujet du moment avec la sécheresse, le maraîcher l’utilise avec parcimonie grâce à un système de micro-aspersion et de goutte-à-goutte. 

 

Serre bioclimatique

Serres bioclimatiques
Françk Sillam a mis au point des serres bioclimatiques qui permettent de chauffer les plants naturellement. @Marcelle

Pour produire ses propres plants et obtenir des légumes sur des périodes plus étendues, ce Géo Trouvetout a créé une serre bioclimatique, accompagné par le Geres- ONG qui défend la Solidarité Climatique. Elle possède les avantages de la serre chauffée, sans ses répercussions écologiques. En effet, selon l’Ademe, l’agence de l’environnement, une tomate produite en France sous serre chauffée émet huit fois plus de gaz à effet de serre que celle produite en saison. Rappelons que les tomates plein champ ne sont mûres qu’en juillet. 

Sa serre est un simple tunnel en plastique avec des bidons noirs remplis d’eau. Ils collectent la chaleur la journée et la redistribuent la nuit par inertie. « Un truc de dingue » qui permet de gagner 14° entre l’intérieur et l’extérieur : « donc s’il fait moins 7° à l’extérieur, il fait 7° à l’intérieur ».

 

  • (Re)lire notre article sur le Geres ici

 

Une agriculture socialement plus responsable

Ferme des Roselières
Franck Sillam, à gauche, montre à ses salariés comment cueillir les cébettes. @Marcelle

L’agro-écologie est un modèle agricole souvent cité comme la voie pour une agriculture écologiquement plus responsable. Elle l’est aussi socialement. Franck Sillam emploie entre deux et cinq temps pleins selon les saisons, et vit convenablement, sans toucher une seule subvention – il tient à vivre de sa seule production.

Il vend aux magasins bio de la région, mais pas seulement, car « la commercialisation n’est jamais stable ». Il privilégie la vente directe à la ferme avec sa compagne, Audrey, et sur le marché de la Plaine. Voir la mine réjouie des clients devant son étal multicolore est la plus belle de ses récompenses à son labeur.♦ 

 

Bonus

  • Bio de Franck Sillam : Avant d’être agriculteur, Franck Sillam débute sa carrière comme infirmier. Et se dirige rapidement dans la santé publique en coordonnant pendant dix ans plusieurs missions humanitaires comme référent médical, puis épidémiologiste. Porté par ses valeurs de respect de l’humain et de la nature, il décide à l’aube de ses 40 ans de créer un projet de ferme thérapeutique pour traiter certaines pathologies. Mais la Chambre d’agriculture le renvoie à son incompétence en matière agricole. Il retourne alors à l’école pour passer son diplôme d’agriculture. Devenu passionné, il se reconvertit dans le maraîchage biologique.

Franck Sillam postule alors à Aubagne où il est retenu parmi de nombreux candidats pour sa pugnacité et la solidité de son dossier. Avec le soutien de Terre de Liens, de la SAFER et de la Métropole d’Aix-Marseille, il démarre son exploitation à la Ferme des Roselières en 2017 sur deux hectares. Son exploitation viable, il acquiert un foncier agricole sur Aubagne, toujours en lien avec la SAFER, pour agrandir et pérenniser son exploitation.

 

 

  • Agroforesterie, permaculture, maraîchage sur sol vivant, différence avec le Dictionnaire de l’Agroécologie 

L’agriculture biologique (AB) exclue l’utilisation de biocides de synthèse et des organismes génétiquement modifiés (OGM) ou des produits obtenus à partir d’OGM. Elle cherche également à limiter son impact environnemental en réduisant sa consommation d’intrants et d’énergie fossile. Mais aussi en valorisant les processus naturels tels que le recyclage des matières organiques.

La permaculture – ou culture permanente – est un système de culture s’inspirant des écosystèmes naturels. Il valorise une agriculture pérenne, n’épuisant pas les sols et non polluante, en limitant la production de déchets. Les cultures sont diversifiées et adaptées aux conditions locales (température, hygrométrie…). C’est également une démarche éthique et une philosophie qui s’appuient sur trois piliers : « Prendre soin de la Terre, prendre soin des humains et partager équitablement les ressources ».

L’agroforesterie englobe les systèmes de production intégrant aussi bien les arbres dans les pratiques et les espaces agricoles, que les productions agricoles dans les pratiques forestières et les espaces arborés.

Le Maraîchage sur Sol Vivant (MSV) entend remettre « le sol au cœur du système de culture en garantissant le gîte et le couvert à la macro et micro-faune du sol ». Il se base sur deux grands principes : couverture permanente des sols et réduction du travail du sol.