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Consigne du verre #1 : elle regagne du terrain

Par Agathe Perrier, le 24 avril 2023

Journaliste

[série] La filière de la consigne reprend doucement de la vigueur, à l’image de ce qui se passe en Provence. Plusieurs associations ancrées sur différents territoires y dopent  aujourd’hui le réseau. D’un côté avec des producteurs qui ont adopté les formats de bouteilles adéquats, de l’autre avec des commerces assurant leur collecte. Comment développer encore mieux ce maillage ?

 

Voilà bientôt cinq ans que le réemploi des bouteilles en verre signe son grand retour en Provence. Tout est parti du Var, où l’association Écoscience Provence a lancé le dispositif La consigne de Provence. Les premières collectes ont démarré en décembre 2018. Suivies des premiers lavages. Depuis, les autres départements de la région sont eux aussi couverts : par Comm’Une bouteille pour les deux alpins et L’incassable dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse.

Redéployer un tel système peut paraître simple sur le papier, mais c’est loin d’être le cas dans la réalité. « Il n’y avait plus ni structure de lavage ni infrastructure de collecte en France. Il a fallu tout reconstruire », souligne Camille Chanson, co-fondatrice et directrice de L’incassable. À commencer par un fonds de bouteilles destiné au réemploi.

 

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Réemployer les bouteilles en verre plutôt que les recycler présente des avantages écologiques mais aussi économiques © DR

Convaincre les producteurs de boissons


Toutes les bouteilles en verre ne peuvent en effet être consignées. Seulement celles qui sont  solides et dont les étiquettes répondent à une charte précise – afin qu’elles se détachent facilement au lavage notamment. Pour généraliser ces contenants « consigne friendly » – reconnaissables dans les rayons à leur logo « Rapportez-moi pour réemploi » – les opérateurs du réemploi démarchent les producteurs de vin, de bière ou de jus de fruits. Ils les accompagnent ensuite vers le changement de leur process. L’association marseillaise compte ainsi 16 partenaires locaux – bientôt 20 – quand la Varoise en affiche 25. « Une de nos priorités pour 2023 est de développer fortement ce réseau, car tout par de là pour faire entrer dans le circuit des bouteilles à laver », souligne Camille Chanson.

Pour les convaincre, les opérateurs disposaient déjà des arguments écologiques (bonus). Depuis la guerre en Ukraine, l’explosion des coûts de l’énergie et la pénurie de verre, ils en ont de nouveaux, économiques. « Le contexte a entraîné une grosse prise de conscience des producteurs sur le fait que, grâce au réemploi, ils peuvent assurer une partie de leur approvisionnement en bouteilles. Sans compter sur une volonté de plus en plus forte des consommateurs de disposer d’un système de consigne », souligne la directrice.

 

 

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La consigne de Provence a installé une borne automatique dans un supermarché. Les clients reçoivent un bon d’achat en échange de chaque bouteille déposée © DR

Inciter les consommateurs à participer

Autre enjeu de taille, le réseau de collecte. Les opérateurs ont là encore scellé des partenariats, cette fois avec des magasins et des commerces. Ils leur fournissent le matériel – palox (caisse-palettes) et casiers – pour recueillir et stocker les bouteilles sales rendues par les clients. Dans les Biocoop de son réseau, La Consigne de Provence enregistre un taux de retour de 50%. « C’est un geste nouveau que les consommateurs doivent se réapproprier. Une bouteille ramenée sur deux, c’est déjà bien ! », considère Corinne Lafortune, coordinatrice des projets économie circulaire chez Ecoscience Provence.

Surtout que les chalands le font sans contrepartie. Une rétribution – sous forme d’un bon d’achat ou de points de fidélité – pourrait inciter davantage au retour, selon l’association varoise. Elle l’expérimente d’ailleurs via un dispositif de collecte innovant : une borne automatique installée dans un supermarché. Les clients y apportent les bouteilles et reçoivent en échange un bon d’achat de 10 centimes par unité déposée. La machine a été conçue de sorte que les contenants ne s’abîment pas et, grâce à un système de scan, que seules les bouteilles aptes à la consigne sont acceptées.

L’incitation financière n’est pas non plus à l’ordre du jour du côté de L’incassable. Elle est par contre envisagée dans le futur. « Pour l’instant, les clientèles de nos magasins partenaires sont déjà très réceptives à l’aspect écologique lié à la consigne. Mais ce sera incontournable lorsque l’on va commencer à se développer dans les grandes et moyennes surfaces », reconnaît Camille Chanson.

 

Un retour de la consigne pour les vins de Provence ? 1
Les bouteilles sont actuellement lavées dans la Drôme. Écoscience Provence porte l’ambition d’ouvrir un centre de lavage dans la région Paca d’ici 2025 © DR

Une standardisation cruciale qui se fait attendre

Les opérateurs se chargent ensuite de faire le tour de leurs partenaires pour récupérer les bouteilles. Place alors à une étape un peu chronophage : le tri. Par format, par type – vin, bière, jus –, par teinte. Un travail réalisé entièrement à la main. « Ce pourrait être automatisé via des machines, mais ça a un coût », glisse Corinne Lafortune.

Afin de faciliter cette étape, les opérateurs militent pour une standardisation des bouteilles par type, à l’image du système allemand. Outre-Rhin par exemple, celles d’eau minérale sont toutes similaires, seule l’étiquette change. L’État a justement chargé Citeo de plancher sur le sujet. Cet éco-organisme a récemment présenté des prototypes, y compris pour des bocaux, et prévoit leur mise à disposition à la fin de l’année, comme l’a rapporté le magazine LSA. Trop tard, trop lent pour les spécialistes de l’économie circulaire qui ont récemment publié une lettre ouverte pour inciter le gouvernement à accélérer. « Prévue par la loi AGEC, une gamme standard d’emballages réemployables (bouteilles, bocaux, etc.) aurait dû voir le jour il y a un an déjà ! Un an après, la situation semble bloquée », dénoncent-ils notamment.

 

 

Relocaliser le lavage

Enfin reste le lavage des bouteilles. Les deux opérateurs provençaux les envoient dans la Drôme, faute de disposer d’un centre dédié aux alentours. Par vague de 20 000 bouteilles pour L’incassable et 30 000 pour La consigne de Provence, afin de rentabiliser les trajets et amortir les coûts aussi bien de nettoyage que de transport.

L’association varoise porte l’ambition d’ouvrir un centre dans la région Paca d’ici 2025. « Le projet se précise avec un industriel intéressé. Mais même en lavant les bouteilles dans la Drôme, voire encore plus loin, le réemploi est plus vertueux que le recyclage », assure Corinne Lafortune. Ce sujet n’est pas une priorité du côté de L’incassable puisque les cinq centres de lavage existants actuellement en France ne tournent pas au maximum de leurs capacités.

Une fois lavées, les opérateurs récupèrent les bouteilles et les revendent à leurs producteurs partenaires. Elles repartent alors pour une nouvelle boucle… qu’elles pourront effectuer entre 20 et 50 fois avant de finir au recyclage.

 

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L’équipe de L’incassable compte quatre personnes à temps plein ainsi que l’aide précieuse de stagiaires et de bénévoles © DR

Vraie fausse concurrence

Quand L’incassable s’est lancé, La consigne de Provence s’était déjà déployée sur la partie est des Bouches-du-Rhône. Les deux opérateurs se sont depuis réparti le territoire. « On a établi des périmètres d’intervention afin de ne pas être en concurrence et de ne pas se cannibaliser. On travaille ensemble et on est régulièrement en contact », indique Camille Chanson. Ce que confirme Corinne Lafortune. « C’est une gymnastique entre nous, mais on travaille en bonne intelligence. Pareil dans les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence avec Comm’une bouteille. Il y a de la place pour tout le monde ! ».

Les deux associations font par ailleurs partie du Réseau Consigne, qui fédère les structures du réemploi des emballages en France, dont dix opérateurs. Outre en Provence, c’est bien dans tout le pays que la filière prend de l’ampleur. Pour l’heure, L’incassable a lavé 40 000 bouteilles depuis ses débuts et 80 000 pour La consigne de Provence. Or, d’après cette dernière, 40 millions de bouteilles sont produites et consommées chaque année sur le territoire. La route sera encore longue jusqu’à la démocratisation totale du réemploi. ♦

 

Bonus

  • Consigne et réemploi, un but commun, mais un fonctionnement légèrement différent – On entend plus souvent parler de consigne car le principe est bien connu et compris de tous. Les opérateurs pratiquent cependant principalement le réemploi. La différence ? Lorsqu’un consommateur achète un produit consigné, il paye un surplus qui lui sera rendu quand il ramènera le contenant. Avec le réemploi, pas de surcoût.
  • Le réemploi met KO le recyclage – D’après Écoscience Provence, la consigne pour le réemploi du verre permet une économie d’eau de 51% par rapport au recyclage, une économie d’énergie de 76% et une réduction de 79% des émissions de gaz à effet de serre.
  • La consigne de Provence s’attaque au circuit des cafés-hôtels-restaurants – Depuis janvier, l’association s’est créé un réseau de nouveaux partenaires sur ce segment. 38 établissements en font déjà partie. Cette branche dispose d’un système de consigne, un des seuls à avoir perduré lorsque la consigne a décliné au niveau national à partir des années 1980. Mais toutes les bouteilles, notamment de vin, ne sont pas concernées. L’association varoise leur permet donc d’étendre le réemploi de leurs contenants. Et ça marche bien puisque le taux de retour est de 95%.

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