Fermer

Contre la précarité des malades, des cagnottes solidaires

Par Marie Le Marois, le 10 mars 2022

Journaliste

La Cagnotte des Proches est dédiée aux familles et aux patients. Ici Joseph et son papa Ludo.

Une maladie ou un handicap et tout peut basculer. Devant les frais imprévus, des personnes se retrouvent en détresse financière. Pour les aider, trois Provençaux ont lancé La Cagnotte des Proches, la première cagnotte en ligne 100% médico-solidaire. Depuis sa création en 2017, elle a collecté plus de trois millions d’euros de dons pour 2600 familles dans toute la France.

 

Handicap
Nadia El Mouaouine et Xavier Maisonneuve qui tient le clavier géant de la jeune femme.

Pull gris clair et pantalon rouge, Nadia El Mouaouine irradie. Elle a l’élocution laborieuse mais le sourire facile. À ses côtés se tient Xavier Maisonneuve qui traduit ses propos quand elle bute trop sur les mots. Il est responsable de l’appartement Simon de Cyrène dans lequel vit cette Marseillaise, en colocation avec des personnes handicapées et valides. Née IMC (Infirme Moteur Cérébral), en raison d’un manque d’oxygène à la naissance, elle est clouée dans un fauteuil électrique.

Cet engin, personnalisé avec le QR Code de son pass sanitaire et un repose-gourde, est son seul moyen de se déplacer. Mais aujourd’hui, il est en piteux état. Rafistolé, râpé de tous côtés, l’appareil s’immobilise de manière inopinée. « C’est pénible et surtout dangereux, il peut s’arrêter en plein milieu d’un passage clouté », confie la jeune femme de 27 ans devant son bureau où trônent ordinateur et clavier géant pour qu’elle puisse écrire avec le pouce.

 

La Cagnotte des Proches aide les familles à financer des besoins non couverts dans des cas de handicap, maladie ou décès : l’opération non remboursée de Maëva, un traitement pour Lino, les obsèques de Sofya. Les projets émanent de toute la France, certains de Suisse et Belgique.

 

Des cagnottes 100% solidaires

Handicap
Nadia, entourée de l’équipe de la Cagnotte des Proches

Pour remplacer son fauteuil et acheter également un siège de douche plus adapté, elle doit débourser 11 205 euros, montant évalué après déduction des aides (Sécurité Sociale, mutuelle et MDPH). Sans famille et sans réseau, cette orpheline placée en famille d’accueil à 17 mois ne peut compter sur personne pour la secourir. Encore moins son compte en banque. À la fin du mois, il lui reste 200 euros. Alors, quand le distributeur des fauteuils électriques – Harmonie Medical Services – a eu vent de ses difficultés financières, il a alerté La Cagnotte des Proches qui a ouvert la cagnotte ‘’La Nouvelle Vie de Nadia’’.

À chaque demande, cette start-up 100% solidaire, fondée par Anne-Sophie et Christophe Roturier (voir bonus), contacte les futurs bénéficiaires pour mieux cibler leurs besoins et élaborer un texte de présentation. Ainsi, avec Nadia, ils ont réfléchi au contenu, pensé chaque mot et réalisé une vidéo. On la voit notamment pratiquer la voile, passion qu’elle assouvit depuis huit ans à la section handi-valide de la Société Nautique de La Ciotat.

 

Sécurisées et souples

Maladie orpheline
Une cagnotte pour un traitement contre le déficit en fumarase dont souffre Lino.

La Cagnotte des Proches se distingue également par sa capacité de contrôle. L’équipe procède à des vérifications supplémentaires – devis, certificats médicaux, ordonnance, etc. – pour évaluer le montant et éviter les projets frauduleux retrouvés sur certaines plateformes. « Des personnes qui s’inventent un cancer ou un accident pour obtenir de l’argent », met en garde Christophe Roturier, la quarantaine. Le plus simple pour lui est lorsque la demande émane directement d’un partenaire. Tels un hôpital ou un distributeur de matériel médical. La cagnotte est alors directement versée aux prestataires, sans passer par le bénéficiaire.

Sa singularité tient également à sa souplesse. Lorsque le bénéficiaire n’a pas atteint le montant fixé, l’équipe l’en informe pour qu’il garde l’argent. Il peut aussi débloquer une partie avant sa clôture. C’est ce qu’explique Christophe ce jour-là à Nadia qui a avancé les frais de sa chaise de douche, si importante pour elle. « Ça me permet d’être plus confortablement installée et d’avoir une certaine autonomie pour me laver », explique la jeune femme qui ne peut pas faire grande chose toute seule, « sinon, c’est la catastrophe ».

 

 

Un accompagnement humain

assurée
Une cagnotte pour financer l’opération de Claire, une expatriée atteinte d’un cancer et qui n’est plus assurée en France.

Lorsque la situation est complexe, l’équipe de La Cagnotte n’hésite pas à intervenir et endosser l’habit d’assistante sociale. Dans le handicap, les démarches administratives pour obtenir des prises en charge financières sont longues et laborieuses. « C’est un parcours du combattant. Il faut remplir des dossiers de 25 pages et attendre parfois plus de 18 mois pour le déblocage des fonds, notamment parce que la MDPH paye uniquement si la sécu rembourse », s’insurge Anne-Sophie Roturier, infirmière de formation.

La co-fondatrice souligne que lorsqu’un enfant en pleine croissance doit attendre ce délai, c’est trop tard, le fauteuil n’est plus adapté. Il arrive alors que des parents, épuisés par cette complexité, se tournent vers la cagnotte. « En trois semaines, cela peut être réglé ». Dans le cas de Nadia, ils ont contacté sa mutuelle pour lui signifier qu’un de ses clients avait besoin d’aide. Et lui demander de débloquer une aide financière exceptionnelle. Mais là encore, « la mutuelle ne se positionne pas, tant que la sécu et la MDPH n’ont pas rendu leur verdict ».

Ou financer les ‘’frais cachés’’

Leucémie
Joseph et son papa Ludovic. Le petit garçon est décédé d’une leucémie en mars 2021. Son papa doit faire face à d’autres épreuves.

Tant qu’on n’est pas confronté à la maladie, difficile d’imaginer tous les frais inhérents. Ils sont nombreux, notamment lorsque l’enfant est hospitalisé loin de chez lui. Les allers-retours pour lui rendre visite, un baby-sitter pour garder les autres enfants, un hébergement. « Il y a bien la Maison des Parents mais elle n’est pas toujours disponible et jamais gratuite », précise Anne-Sophie Roturier qui pense à des Niçois dont l’enfant est hospitalisé à La Timone à Marseille en oncopédiatrie.

Elle explique que ces ‘’frais cachés’’, découverts avec la maladie, s’accumulent et peuvent faire basculer les familles dans la précarité. Surtout lorsque celles-ci perdent leur travail. Parce qu’elles se consacrent à leur enfant ou qu’elles sont elles-mêmes malades. C’est le cas de Ludovic qui a perdu son fils d’une leucémie et son travail pour avoir accompagné son petit bout au quotidien. Après avoir ouvert une cagnotte en faveur de la recherche des cancers pédiatriques, il en ouvre une autre pour l’aider à financer son projet de reconversion professionnelle.

 

 

80% de donateurs émanent du réseau

tumeur
Azzouz a bénéficié d’une cagnotte pour combattre sa tumeur au cerveau.

Se retrouver sans emploi, c’est ce qui est arrivé à une graphiste indépendante, en raison d’un traitement lourd pour son cancer. Cette aixoise, maman d’un enfant, n’avait jamais souscrit à un système de prévoyance et s’est retrouvée dans l’incapacité de payer ses loyers. « Au départ, elle ne voulait par faire de cagnotte, elle avait honte de demander, peur d’être déçue par le nombre de dons. Après moult hésitations, elle s’est enfin décidée. Elle avait besoin de 3000 euros, elle en a collecté davantage. Cet élan de solidarité l’a reboostée pour passer des entretiens et prendre soin d’elle», se réjouit Anne-Sophie Roturier.

Une autre belle histoire, celle d’Azzouz, venu de Tunisie pour une opération à l’hôpital de la Timone, à Marseille. Il souffrait d’une tumeur cérébrale, inopérable dans son pays. La somme nécessaire directement demandée par l’administration hospitalière pour l’intervention chirugicale  – 50 480 euros – a été atteinte. La famille, la diaspora tunisienne, la communauté musulmane en France ont mis la main au portefeuille. Aujourd’hui, il est sauvé. Comme pour Azzouz, « 80% de donateurs émanent du réseau direct ou indirect », précise la co-fondatrice.

 

La plus grosse collecte fut celle d’Anne Roumanoff, plus de 300 000 euros pour ‘’Solidarité avec les Soignants’’.

 

Et si chacun versait 1 euro ?

fauteuil roulant
Et si on versait tous 1 euro pour Nadia ? Sa cagnotte serait alors vite bouclée, ce qui est loin d’être le cas.

Nadia a hâte de recevoir son nouveau fauteuil avec repose-tête et cale-pieds électrique. Il lui permettra d’attraper des objets en hauteur, tout en restant assise. Le hic est que sa cagnotte est loin d’atteindre les 11 350 euros espérés. Lancée en mai, elle stagne à 2192 euros alors que, en moyenne, les Cagnottes des Proches sont bouclées en trois mois.

Anne-Sophie Roturier ne désespère pas. Elle projette une stratégie pour augmenter la viralité de la cagnotte et par conséquent les dons. Pourquoi ne pas contacter un navigateur qui entendrait le message de Nadia et le relaierait ? Ou des chanteurs comme M Pokora ou Soprano que Nadia adore ? « Si un influenceur est dans la boucle, c’est gagné », confie la cofondatrice avant de conclure que, si chacun donne 1 euro, la situation de Nadia sera réglée. ♦

 

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité*

 

Bonus

[pour les abonnés] Origine de La Cagnotte des Proches – Cagnotte de Leslie Salut – Partenaires et financements – L’équipe

  • Origine de La Cagnotte des Proches. C’est à leur retour des USA – où ils ont vécu trois ans – que le couple Roturier a eu l’idée de monter cette cagnotte. Ils cherchaient alors un projet qui réponde à leurs aspirations personnelles et aux besoins des malades. Anne-Sophie, infirmière, ne veut pas « s’éloigner du soin et des patients ». Christophe, qui travaillait dans les logiciels médicaux, a acquis une solide expérience dans la santé.

Tout en ayant en tête les plateformes médicales, si prépondérantes aux USA, ils interrogent médecins et familles et comprennent que celles-ci, lorsqu’elles se trouvent aux pieds du mur, n’ont d’autres solutions que de faire appel à la solidarité. « La Sécurité Sociale et les mutuelles ne peuvent pas tout prendre en charge, il faut inventer de nouveaux dispositifs d’entraide », conclut le cofondateur. Rejoints par une troisième associée, ces Aixois lancent ainsi en 2017 la première cagnotte dédiée au patient et à son entourage.

 

  • La cagnotte de Leslie Salut est celle qui a ‘’lancé’’ la start-up, bien malgré elle. Les faits remontent fin 2017. Leslie Salut est travailleuse indépendante – elle est équithérapeute – et souffre d’un cancer. Son traitement, évalué à 40 000 euros, est déremboursé. Largement médiatisée, sa cagnotte a du succès et fait même bouger l’assurance maladie qui remet finalement la prise en charge. La cagnotte aide tout de même cette maman solo à financer des soins de support et à préparer l’après… Surtout, chaque don lui donne espoir et force pour continuer à vivre.

Elle succombera à sa maladie, laissant un fils de 14 ans derrière elle. Ses dernières volontés ont été respectées : sur les sommes récoltées, une partie a été léguée à son fils qu’il touchera a sa majorité. Et une autre a été remise à L’association Ressource d’Aix-en-Provence pour soutenir d’autres malades.

 

 

  • Les partenaires. La Cagnotte des Proches noue des partenariats innovants et solidaires avec des acteurs hospitaliers (Hôpitaux Universitaires de Marseille, Necker Enfants Malades Paris). Elle a des expérimentations en cours avec des acteurs mutualistes (Uneo, Groupe Pasteur Mutualité, Groupe Vyv). Ces derniers voient dans la plateforme un moyen de soutenir les familles et d’amplifier leur accompagnement social.

 

  • Financement. La start-up est une entreprise solidaire. Elle se finance avec les  »pourboires » éventuels des donateurs. Et mise sur le financement des partenariats privés pour développer d’autres lignes de revenus (mutuelle, groupe de prévoyance…) En décembre, elle a bénéficié d’une levée de fonds provenant d’InvESS’t PACA. Ce fonds à impact régional est dédié à l’économie sociale et solidaire et a été créé par A Plus Finance et la Chambre régionale de l’ESS en PACA.

 

  • L’équipe s’agrandit pour répondre à la croissance de l’activité. Outre les trois fondateurs, la start-up emploie une chargée de relations familles, une graphiste et un étudiant en alternance. Elle s’appuie également sur une équipe de cinq ressources externes pour le développement de sa plateforme. Ainsi que la maintenance du site et les actions marketing.