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« Tchiquit’ tchiquita » à l’hôpital psychiatrique

Par Nathania Cahen, le 2 avril 2024

Journaliste

Au Centre Hospitalier Valvert, un établissement psychiatrique de Marseille, des ateliers en lien avec les arts et la culture sont proposés aux patients, ex-patients, personnel soignant et qui veut. Une façon de banaliser le lieu comme celles ou ceux qui le fréquentent. Et de fabriquer du lien, humain ou artistique.

Des claquements de main, en rythme, au rythme des « tchiquit’ tchiquit’ tchiquita ». C’est l’échauffement. En rond, une poignée d’hommes et une femme coiffée d’un bonnet de laine se mettent au diapason de la voix et de la guitare du musicien et chanteur Gil Aniorte Paz. « C’est bien, ça rentre, sourit-il entre deux accords. Allez, dadoum dada, on chante aussi les basses ».

"tchiquit’ tchiquita" à l’hôpital psychiatrique 1Nous sommes dans le vestibule de la salle de spectacle de l’hôpital psychiatrique Valvert. Ici, chaque mercredi après-midi de 13h30 à 15h30 se tiennent les répétitions de l’atelier musique. Formelles sans l’être, avec un groupe à géométrie variable qui dépend des hospitalisations, des traitements, de l’humeur du jour… Sur une petite table s’égayent le thermos de café et les gobelets qui ont accueilli les participants du jour. Hervé, Etienne, Salah, Michel, Armelle, rejoints plus tard par Kelly, la benjamine, 20 ans. Certains d’entre eux sont hospitalisés quand d’autres, partis de l’hôpital, reviennent pour cet atelier accessible à tous. « Tourné vers l’intérieur et l’extérieur, ouvert aux patients, mais aussi à qui veut », précise Lise Couzinier, chargée des affaires culturelles et de la communication de Valvert depuis treize ans.

« Une ouverture à même de déstigmatiser, de banaliser la maladie psychiatrique », abonde Laurence Millat, directrice du Centre Hospitalier Valvert. Ces rencontres artistiques sont un moment de partage privilégié. Souvent, rien ne permet de distinguer le patient, le professionnel hospitalier et l’acteur du milieu culturel. Cela donne de la confiance aux malades et beaucoup de sens et d’humanité à la pratique professionnelle. »

« J’ai vu une affiche au centre médico-social »

« J’aime jouer de la guitare et composer. Mais si c’est plutôt dans un autre style, plus rock », confie Hervé, un ex-patient de Valvert habitant Aubagne. Salah, qui accompagne le groupe à l’harmonica, explique à son tour :  « J’ai vu une affiche sur cet atelier au CMP de Saint-Marcel (Centre médico-psychologique -NDLR) et j’ai eu envie de venir ». Michel lui est là pour la première fois, « je viens voir », résume cet homme discret. « Moi aussi, je suis venue découvrir, embraye Armelle, bonnet en laine sur la tête. Je suis au bâtiment Lavandes. J’adore écouter la musique et rencontrer d’autres personnes ». Et puis Alex, absent cette fois, mais qui joue si bien du piano, appris en autodidacte.

Gil Aniorte Paz invite Armelle à prendre place à côté de lui, à épouser le rythme de ses claquements de main. Quelques phrases sont égrenées, celle de la Chanson de Pythéas, coécrite par des patients et du personnel de Valvert. « C’était un véritable marin / Fort attiré par le lointain… »

♦ Cet atelier musique s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets « Culture, santé, dépendance et handicap » (lire bonus). Soit pour 2024 une enveloppe de 23 000 euros qui permet de financer aussi d’autres ateliers : danse (avec le danseur Gilles Porte du ballet Julien Lestel), théâtre (avec la metteuse en scène Julie Villeneuve et le Théâtre de la Cité) et radio (avec le collectif Radio Nunc) ♦

Sociothérapie

"tchiquit’ tchiquita" à l’hôpital psychiatrique 2Nous laissons la petite troupe s’échauffer pour gagner, plus haut dans l’allée centrale un autre lieu ressource de l’hôpital, la « sociothérapie ». Un service transverse qui propose diverses activités : art-thérapie, sport, relaxation. Un ensemble avenant, doté d’un bar tenu par des infirmières et une patiente. À l’avant comme à l’arrière du bâtiment, tables et chaises au soleil, dans la verdure, où patients, familles, amis, personnel… peuvent prendre un café ou une boisson fraîche. Acheter bonbons et biscuits. Lise Couzinier y interpelle gentiment une femme blonde attablée, le nez chaussé de lunettes de soleil.

« Je vous attendais à l’atelier musique ! »

« Oui mais au final j’ai changé d’avis » souffle la dame.

« Ce n’est pas toujours facile, cela reste un lieu de souffrance », glisse plus loin Lise Couzinier. Elle explique : « Pourtant, les activités artistiques sont importantes dans le cadre de la psychiatrie, elles supposent à la fois un apprentissage, une ouverture et un cadre dont les patients ont besoin. En musique, théâtre ou danse, il y a aussi des règles ! C’est ludique et structurant à la fois ».

La culture en psychiatrie, loin de l’utopie

Nous retrouvons le groupe musique qui s’offre une parenthèse au soleil et les pieds dans l’herbe. Souriante, la jeune Kelly chante, chaloupe, claque des doigts, répond à la guitare. « C’est incroyable, on l’a vue tellement mal à d’autres moments », observe Lise Couzinier.

Démarré en octobre, cet atelier s’est terminé fin mars, avec une petite représentation à laquelle a participé Radio Babel Marseille, le groupe de Gil Aniorte Paz. Pour ce dernier, une deuxième saison à Valvert s’est alors achevée. Après une première session en 2022-23 dans le cadre des activités du Festival Jazz des 5 Continents. « C’est un domaine neuf pour moi, intéressant à plusieurs titres : pouvoir en même temps travailler avec des patients, faire de la création et valoriser un lieu comme Valvert. Et cela montre que ceux qui se sont battus dans les années 1970 pour rapprocher la culture de la psychiatrie n’étaient pas des utopistes ! », raconte l’artiste.

Pourtant, ces rendez-vous ne sont pas toujours simples : « Ils peuvent être cinq ou dix, pas toujours concentrés. Mais les propositions sont assez adaptées, avec un travail sur les onomatopées, les arrangements, les polyphonies urbaines ».

Pas un rendez-vous médical, un rendez-vous social

L’atelier dure deux heures, « juste ce qu’il faut » de l’avis de tous. Thibault Lemonde, psychologue à Valvert, y participe régulièrement, quand il est dispo. Il ne s’agit pas d’art-thérapie (pratiquée par ailleurs dans cet établissement), pointe-t-il : « Davantage que la dimension soignante, c’est la fonction sociale qui compte ». Ainsi, une des qualités de ce groupe est son ouverture à tous, notamment ceux qui viennent de l’extérieur, avec ou sans pathologie.

« J’apprécie que chacun s’y exprime, observe-t-il encore. Que chacun puisse se révéler autrement, quelles que soient ses qualités musicales. Et c’est une activité qui fait du bien à celles et ceux qui, bien souvent, ont dû renoncer à beaucoup de choses. Ils sont là en tant que personne, pas en tant que patient ». Il n’occulte pas les limites de l’exercice pour autant : « Certains se lèvent, ne tiennent pas en place, ont du mal à se concentrer. Cela dépend de l’état du jour, de la dynamique de l’atelier ».

Gil Aniorte Paz reviendrait volontiers pour une 3e saison, avec l’envie « de monter quelque chose de plus grand, pourquoi pas avec la Sacem, en travaillant l’écriture avec d’autres artistes qui viendraient échanger avec les patients… Ce boulot avec des patients, ça me plaît. » ♦

*L’AP-HM, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, parraine la rubrique santé et vous offre la lecture de cet article *

"Tchiquit’ tchiquita" à l’hôpital psychiatrique 3

Bonus

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  • L’hôpital Valvert en chiffres. 3e établissement psychiatrique de Marseille après l’APHM et Edouard Toulouse. Il dessert surtout l’Est de Marseille, des 10e, 11e et 12e arrondissement jusqu’à Aubagne, La Ciotat, Saint-Cyr…

⋅150 lits et 155 places d’hôpitaux de jour, il dispose aussi de 5 CMP pour les adultes, un pour les personnes âgées et 5 CMP pour les enfants et adolescents sur un territoire total d’environ 350 000 habitants

⋅Pour une file active totale de 10 000 patients environ 1000 seront hospitalisés chaque année sur le site de Valvert

⋅De l’équipe de soutien périnatal au service de gérontopsychiatrie, il couvre les problématiques de santé mentale à tous les âges de la vie. Cela passe par le dépistage de l’autisme, le dispositif adolescent, la prise en charge des jeunes, l’addictologie, et la réhabilitation psychosociale.

⋅620 salariés

⋅Une salle de spectacle vintage de 300 places

⋅14 hectares

  • (re)lire : Psychiatrie, comment sortir de la crise ?
  • Les appels à projets « Culture, santé, dépendance et handicap. Depuis 1999, cette initiative vise à encourager et à accompagner le développement de partenariats singuliers entre les professionnels de la culture, de la santé, les patients, les usagers et les œuvres, et la production de nouveaux dialogues et points de vue riches d’enseignements partagés dans ces domaines. Ainsi, elle offre l’opportunité aux établissements qui le souhaitent d’inscrire une démarche culturelle dans leur projet global, intégrée aux démarches de soins.

Ce programme couvre l’ensemble des secteurs artistiques et culturels (spectacle vivant, arts visuels et arts numériques, cinéma-audiovisuel, livre et lecture, patrimoines, musées, archives).

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