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Grâce aux Faiseurs de Terre, les sols bétonnés redeviennent fertiles

Par Agathe Perrier, le 5 juillet 2023

Journaliste

Les Faiseurs de Terre améliorent les terres excavées en y intégrant des matières organiques, comme du compost ou des billes d’argile par exemple © Photo d'illustration, Pixabay

En région parisienne, l’entreprise Les Faiseurs de Terre donne une seconde vie aux terres issues des chantiers. Elle les rend de nouveau fertiles, à même de faire grandir des arbres, de végétaliser toits et espaces de voirie. Une bonne façon de réemployer un déchet plutôt que d’aller chercher des terres nobles dans les campagnes.

 

Le réchauffement climatique a mis en évidence le besoin criant de végétaliser les villes. Mais remplacer le bitume a des conséquences directes sur les zones rurales. Car la majorité des terres utilisées provient de nos campagnes. C’est pourquoi Les Faiseurs de Terre se sont donné pour mission de « faire la ville avec la ville ». Autrement dit : « Recréer des sols fertiles à partir de sols urbains devenus inertes, car bétonnisés et construits. Mais on peut les réactiver », explique Robin Cres, chef de projet chez Neo-Eco, l’une des trois structures à l’origine de cette entreprise de la région parisienne.

 

Du béton et du compost

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Robin Cres, chef de projet chez Neo-Eco ©DR

Les terres inertes d’Île-de-France sont la matière première des Faiseurs de Terre. Et notamment celles excavées dans le cadre du Grand Paris Express, vaste chantier d’extension du métro de la capitale (bonus). « Il y a une abondance de terres issues de ces travaux. On en récupère avec l’idée de les améliorer en y intégrant des matières organiques, par exemple du compost ou des billes d’argile », expose Robin Cres.

Le choix des mélanges dépend des caractéristiques techniques attendues du futur sol. Pour les alignements d’arbres, par exemple, il faut un substrat « aéré avec un béton plus gros, en plus grande quantité, et un compost plus riche en matière organique », dixit l’entreprise. S’agissant des toitures végétalisées, le substrat doit être léger et drainant. Quant à celui des plantations d’arbustes ou de prairies, il doit notamment être davantage sableux et encore plus drainant. « On travaille avec des chercheurs et des laboratoires pour que nos sols répondent à un cahier des charges, à des normes environnementales et techniques. Cela permet d’apporter la preuve de leur fertilité et de montrer que notre idée n’est pas seulement bonne sur le papier », ajoute le chef de projet.

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La composition du substrat dépend des caractéristiques techniques attendues du futur sol © Pixabay – photo d’illustration

 

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Il faut en général six mois à un an pour que les terres inertes redeviennent fertiles © Mary-Lou Mauricio

Une efficacité déjà prouvée

À l’initiative des Faiseurs de Terre, trois structures aux spécialités bien distinctes et finalement complémentaires. Le bureau d’études Neo-Eco, spécialisé économie circulaire dans le BTP, les infrastructures et l’industrie, l’entreprise Topager, œuvrant dans la végétalisation urbaine, et l’association Halage, structure d’insertion dans l’aménagement paysagé. Tout est parti de cette dernière lorsqu’elle a remporté un appel à manifestation d’intérêt pour réhabiliter une ancienne friche industrielle de Seine-Saint-Denis en un « espace exemplaire de biodiversité ». Plutôt que de faire venir de la terre d’ailleurs, elle décide de réutiliser l’existante.

Différentes expérimentations sont alors lancées. Les terres excavées, qui ont longtemps été utilisées comme des lieux de stockage de remblais puis sites industriels pour la voirie et le BTP, sont mélangées à du compost issu de déchets verts et organiques. Dans des compositions et proportions différentes pour voir dans quelles conditions la vie pouvait réellement reprendre. Il en est ressorti qu’il fallait en général six mois à un an pour que les terres inertes redeviennent fertiles. Sauf quand elles sont polluées, avec des résultats moins probants aux tests.

 

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Des expérimentations ont été menées dans des pots en mélangeant, dans différentes proportions, terres excavées et matières organiques © DR

Des vertus environnementales, économiques et sociales

L’entreprise dispose depuis le début de l’année 2023 de sa propre plateforme de production. Dédiée uniquement, pour le moment, à des substrats pour toitures végétalisées, vendus à des aménageurs et des promoteurs d’Île-de-France. Les Faiseurs de Terre se sont installés sur un terrain de 3 000 m² en Seine-Saint-Denis. Déjà à l’étroit, leur objectif est de trouver au plus vite un espace encore plus grand – de deux à trois hectares – pour démultiplier les quantités. Et démarrer aussi la production de techno-sols, des substrats fertiles destinés cette fois aux sols.

En plus d’éviter de dépouiller les campagnes de leur bonne terre, l’entreprise estime que se fournir en circuit court permet de diviser la facture totale par quatre. Les bénéfices sont également environnementaux, le transport étant drastiquement réduit, les émissions de gaz à effet de serre aussi. À cela s’ajoute la création d’emplois « locaux, non délocalisables, accessibles à des personnes peu qualifiées ». En région parisienne, via la participation de Halage, les Faiseurs de Terre ont d’ailleurs fait le choix de l’insertion pour former leur équipe de salariés, dans l’optique de servir de tremplin professionnel à des personnes éloignées du monde du travail.

 

 

Le parc des Aygalades, futur démonstrateur à Marseille

Les Faiseurs de Terre ont également pour ambition de dupliquer leur modèle dans le reste de la France, en lien avec des structures locales. Neo-Eco est justement en train de le faire à Marseille, où le bureau d’étude dispose d’une agence. L’équipe travaille avec Euroméditerranée dans le cadre de la création du parc des Aygalades (bonus). L’établissement public d’aménagement va y lancer un projet de recherche, baptisé FrichEco, qui vise à « impulser une démarche d’économie circulaire afin de valoriser au maximum les matières usagées produites par les travaux », a-t-on expliqué à Marcelle. « L’ambition est de proposer une approche écologique et sociale du renouvellement urbain par la mise en place d’un « petit cycle des terres ». Ce cycle porte sur les matériaux terreux (terres excavées, sédiments dragués…) qui, une fois extraits du milieu, sont réemployés localement, notamment pour réaliser les aménagements paysagers urbains ».

Le démarrage de ce projet est prévu pour septembre et devrait s’étendre sur cinq ans. Néo-Éco en sera « chef de file » et apportera « son expertise dans la gestion de projets complexes ». En attendant de traiter les terres, les matériaux issus des démolitions – pavés de la chaussée et moellons de charpentes bois des bâtiments – font déjà l’objet d’une revalorisation en lien avec l’entreprise marseillaise Raedificare. De bon augure à l’heure du réchauffement climatique, qui rend urgent de chercher de nouvelles façons d’aménager les villes. ♦

 

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique « Société » et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – Le parc des Aygalades – La terre du chantier du Grand Paris Express –

  • Le parc des Aygalades, futur poumon vert au nord de Marseille – D’une superficie de 20 hectares, il prendra place sur l’actuel site de la gare de fret du Canet, cédé par la SNCF début 2022. À la manœuvre, l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée. L’organisme devrait sélectionner le paysagiste courant 2023, comme l’indique TPBM. Le début des travaux est prévu pour 2027 pour une durée de quatre ans. Le coût est pour le moment estimé à 128 millions d’euros.
  • Avec le Grand Paris Express, des millions de tonnes de terres excavées – Ce chantier va en produire 40 millions de tonnes. Il s’agit d’un projet de métro automatique long de 200 kilomètres autour de Paris. Il aboutira à la création de quatre nouvelles lignes et à l’extension de deux existantes destinées à desservir les territoires de proche et de moyenne couronnes. L’opération a été validée en 2010 et les premiers travaux de génie civil lancés en 2016. La mise en service s’étalonnera à partir de 2024 jusqu’à au moins 2030.