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Florence Duborper, au nom des enfants de détenus

Par Audrey Savournin, le 20 mars 2024

Journaliste

Psychologue de formation, Florence Duborper est à la tête du Relais enfants-parents des Baumettes, à Marseille, depuis 1992. © DR
[lecture libre] Chaque année, en France, au moins 95 000 enfants sont confrontés à l’incarcération de leur(s) parent(s). Des pères dans 96% des cas. Bien souvent une épreuve, que Florence Duborper s’efforce d’adoucir de son mieux depuis 1992. Psychologue de formation, elle est directrice du Relais enfants-parents des Baumettes à Marseille. Cette association accompagne les enfants qui rendent visite à leur père ou leur mère en prison, et les protège quand nécessaire d’une relation toxique.

Sur un grand tableau magnétique, au mur, quelques pense-bêtes. Un article sur le juge Durand, évincé de la Civiise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants). Des photos avec des collègues de travail et amies. Des cartes postales avec des citations. Boris Cyrulnik, Nelson Mandela, Antoine de Saint-Exupéry… Dont cette phrase issue du Petit prince : « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. »

30 ans dans l’intérêt des enfants

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Le Relais enfants-parents a pour mission de maintenir les relations entre les enfants et leurs parents incarcérés. © DR

Des mots qui résonnent particulièrement dans ce bureau où tout est mis en œuvre dans leur intérêt. Et où les citations sont une sorte de madeleine de Proust. « Ma grand-mère en découpait dans le journal La Voix du Nord et me les envoyait », sourit Florence Duborper. Elle est directrice du Relais enfants-parents (REP) des Baumettes, à Marseille, depuis plus de 30 ans. Toujours avec autant d’opiniâtreté, de rigueur et de conviction.

« Le relais », comme elle l’appelle, c’est une association créée en 1991 qui a pour mission de maintenir les relations entre les enfants et leurs parents incarcérés. Notamment quand les visites sont impossibles ou compliquées du fait d’un divorce ou d’une séparation des deux parents, d’un accueil par l’Aide sociale à l’enfance, ou encore quand le juge d’instruction refuse le permis de visite aux adultes de son entourage. Car un mineur ne peut aller au parloir qu’avec un adulte. Et les visites ne doivent être préservées que si c’est dans son intérêt (voir bonus).

La force des rencontres

« Le relais », c’est aussi un collectif, Florence Duborper y tient. Elle qui a grandi dans une fratrie modeste de quatre enfants. Qui parle beaucoup plus facilement des autres que d’elle-même. Qui se plonge avec bonheur dans les albums photos de l’association. Et qui puise son énergie dans l’humain, les échanges et les amies. À ses côtés donc, un autre salarié et quatre bénévoles. Tous extrêmement importants à ses yeux. Comme les membres du conseil d’administration. « Je suis très mystique, glisse-t-elle. Je crois beaucoup aux rencontres, au destin. »

Malheureux comme heureux. En témoigne son « recrutement » improbable à la tête de l’association en 1992… À la caisse d’Ikea Vitrolles, où elle servait les glaces et les hot-dogs. « Je suis tombée sur une connaissance, à qui je disais que je venais d’obtenir mon diplôme de psychologie et que je ne savais pas trop ce que j’allais faire, raconte-t-elle amusée. Derrière, dans la file d’attente, il y avait Marie-France Blanco (Ndlr : présidente du Relais enfants-parents d’Ile-de-France). Elle venait de déclarer l’association à Marseille et m’a donné sa carte en me disant « j’ai quelque chose pour vous » ».

« À ma place »

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Sensible au sort des plus jeunes, Florence Duborper ignorait en revanche tout de la protection de l’enfance. © DR

À leur premier rendez-vous, elle lui a transmis tous les documents concernant la structure avant de s’en aller. Une drôle d’entrée en matière, mais avec le recul, « un beau cadeau ». « J’ignorais ce qu’était la protection de l’enfance, un prévenu… J’avais un chiffre d’affaires fantôme, pas de salaire, pas de local… Je ne savais pas du tout où ça allait m’amener, mais l’aventure m’a plu. Je me sentais à ma place » se souvient-elle. Un sentiment qu’elle n’avait pas ressenti en réalisant un stage dans les écoles afin de passer le concours pour se former et devenir institutrice. « J’avais trente élèves et je voyais les quatre qui n’étaient pas bien. C’est d’eux dont je voulais m’occuper. » Retour aux études de psychologie qu’elle avait commencées un peu plus tôt.

Installée dans un bureau récent, mis à disposition par l’administration pénitentiaire à l’accueil des familles des Baumettes, elle n’a pas oublié les locaux des débuts. Ni la « cave » traverse de Rabat, ni la première salle du centre pénitentiaire. « Il n’y avait pas de carrelage, j’ai fait l’avance des frais alors que j’étais encore bénévole et que je vivais toujours chez mes parents ! Ils étaient fous ! » rit-elle. À 56 ans maintenant, elle mesure le chemin parcouru et l’ancrage du REP, mais aussi sa fragilité. « Petit à petit on a eu des subventions, j’ai été payée, on a pu embaucher, retrace-t-elle. L’administration pénitentiaire nous a toujours soutenus… Mais j’ai vu trop d’autres structures couler… Il faut sans arrêt se battre, remplir des dossiers, respecter des délais pour pérenniser.»  C’est beaucoup de paperasse et de pression. Ça l’éloigne de l’accompagnement des enfants qu’elle affectionne tant, mais elle sait que c’est fondamental. Et que là encore, elle est à sa place : là où elle est la plus utile.

Humaniser les visites en prison

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Des jouets, des livres, de la couleur… Cette salle de visite contraste avec les box exigus et anxiogènes du parloir. © DR

Tant pis si elle passe moins souvent de l’autre côté des barreaux. Dans cet espace aménagé par le relais, avec des jouets, une table à laquelle s’installer pour prendre le goûter. Un espace bien plus propice au maintien d’une relation parent détenu-enfant(s) que les parloirs tout proches. Exigus et sans intimité. Une humanisation de l’accompagnement que Florence Duborper défend depuis le début. Dans les actes et pas seulement dans les mots. Car pour avancer, il faut « un mouvement du bas qui s’élève » et « du pratique, avant l’éthique ». « C’est dans ma nature d’être dans le concret, le présent, la solution », confie Florence Duborper. Une qualité essentielle pour se préserver et élever sa fille sereinement, seule.

Préserver les enfants co-victimes de violences

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« Un enfant exposé aux violences conjugales est victime de violences familiales. » © DR

Mais aussi pour faire bouger les lignes. Comme sur la question des enfants victimes ou co-victimes (voir bonus) de violences. « Si le père ne reconnaît pas les faits et n’est pas suivi, on refuse d’accompagner ses enfants pour lui rendre visite », martèle-t-elle avec fermeté. N’en déplaise aux défenseurs du maintien du lien biologique à tout prix. « Un enfant exposé aux violences conjugales est victime de violences familiales. Les syndromes qu’on retrouve peuvent être post-traumatiques, poursuit la psychologue. Alors on utilise la temporalité de l’incarcération pour que l’enfant retrouve un peu de calme. Pour lui expliquer que ce qu’il a vécu n’est pas normal. Pour nous, c’est prioritaire. » Même si ce n’est pas inscrit dans le marbre. Pour l’instant.

Car « en essayant continuellement on finit par réussir ». Une autre citation accrochée au tableau. ♦

♦ La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article ♦
Bonus

[pour les abonnés] – Le relais enfants-parents des Baumettes – L’intérêt de l’enfant – La notion de « co-victime » – Prison, les chiffres-clés –

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