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Nathalie Gatellier, La Fabrique du Nous

Par Raphaëlle Duchemin, le 26 janvier 2024

Journaliste

Le tandem de la Fabrique du Nous, Tarik Ghezhali et Nathalie Gatellier @Jean-Yves Delattre avec l'aimable autorisation de Gomet'
[Héroïne Du Quotidien] Elle s’appelle Nathalie Gatellier. Elle est l’un des visages de La Fabrique du Nous imaginée avec Tarik Ghezali. Leur projet, né à Marseille, part de ce qu’ils appellent une obsession commune : « recréer du lien entre des gens différents ». Utopique ? Pas si sûr.
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Nous : pronom personnel de la première personne du pluriel. Il peut être, selon le dictionnaire, de majesté ou de modestie… Et c’est assurément la seconde définition qui s‘applique à Nathalie et à Tarik dans l’entreprise qu’ils ont imaginée. La Fabrique du Nous : une association comme un ovni, qui rêve en grand d’une autre société, plus ouverte.

La rencontre, une arme fatale

« On est convaincus, Tarik et moi, que la rencontre est une arme fatale pour créer du lien », introduit Nathalie. Et d’expliquer : « En travaillant ensemble, on s’est aperçus que, plus qu’orienter un jeune vers le bon dispositif, ce qui est déterminant c’est la rencontre avec la bonne personne ». Et Nathalie ouvre la boîte à exemples : Il y a plein de gamins qui ont eu un avenir tout autre parce qu’ils ont rencontré un entrepreneur qui a eu confiance en eux .Quelqu’un qui les a envoyés au bout du monde, au Japon et qui a transformé leur vie. Ça ouvre des opportunités, ça génère de la confiance. Et notre obsession, c’est comment on peut démultiplier ces rencontres transformatrices qui font du bien d‘un côté comme de l’autre. »

Car il y a urgence à faire bouger les lignes selon Nathalie qui estime que « dans la société actuelle, on ne se rencontre plus et on a peur de l’autre. Surtout de celui qui est différent de nous ». Et d’étayer son propos en citant une étude du Credoc qui montre que la défiance vis-à-vis de l’étranger a augmenté de 15 points en dix ans.  

Le projet Eau-rizon

Apprendre à nager chez des particuliers grâce à Eau-Rizon 3
Les jeunes essayent de faire des bulles dans l’eau.@Marcelle

Pour retisser du lien, Nathalie et Tarik ont commencé par regarder autour d’eux et se sont en quelque sorte jetés à l’eau. « Un projet qu’on a fabriqué avec nos petites mains il y a trois ans, rappelle en riant Nathalie. En partant du constat que trois jeunes sur quatre dans les quartiers nord ne savent pas nager. C’est un peu la honte quand vous êtes à Marseille avec 50 kilomètres de côtes ! »

Alors le duo réfléchit à comment inverser la tendance. Et là, le déclic s’opère : « On se dit il n’y a pas beaucoup de piscines municipales. En revanche, beaucoup de particuliers ont des piscines. On s’est dit : et s’ils ouvraient les piscines à ces gamins pour leur apprendre à nager ? Et faire leur connaissance ? C’était un peu loufoque, mais aujourd’hui y a une centaine de jeunes qui apprennent à nager chez des particuliers dans des piscines. Au-delà il se passe des choses. Le propriétaire dit asseyez-vous, prenez un goûter, venez dîner ce soir, vous n’avez jamais vu une cave à vin venez je vous montre… Ou encore, vous voulez visiter chez moi pas de soucis. Et aussi : toi tu cherches un stage je peux peut-être t’aider. Il y a du coup un lien, et c’est ça qui nous plaît ».

Mettre en lien les publics les plus isolés

Alors un projet en fait germer un autre. Toujours avec en toile de fond cette idée fixe : le Nous, avec un N majuscule. Et pour Nathalie pas question de se cantonner à un public cible. Partout où cela est possible, il faut nouer, mettre en relation, faire se rencontrer. Surtout ceux qui dans la vraie vie ne se croisent jamais.

« On est, pointe-t-elle, dans une société où l’isolement s’accroît : 20% de Français disent avoir ce sentiment. Alors oui, la piscine est un exemple, explique-t-elle, mais il y a une quinzaine de projets dans les cartons ».

Et pour lutter contre cette solitude, une expérience a été lancée : des conversations téléphoniques entre les détenus incarcérés à Nantes (le seul centre pénitentiaire de France doté d’un centre d’appels) avec les personnes âgées de la région Sud. « Dans les deux cas l’isolement est très présent », commente Nathalie, appuyée par l’entreprise Domino Family (et son dirigeant Sébastien Prudhomme) dans cette initiative. Le dispositif est récent, mais ça marche : déjà une centaine d’échanges. D’un côté, 60% de ceux qui sont derrière les barreaux n’ont aucun contact avec le monde extérieur. De l’autre, des seniors de plus en plus nombreux à ne recevoir de visite ni de leurs petits-enfants ni de leurs voisins.

« En bref, résume Nathalie, ce Nous c’est lutter contre le repli sur soi. Apprendre à vivre ensemble, même si le mot est galvaudé. Avec le Nous on a essayé de trouver quelque chose de plus poétique pour refaire nation dans la joie la bonne humeur et avec les bons prétextes ».

Des économies pour la société grâce au Nous

Si le lien social est bon pour ceux qui le tissent, il est aussi, selon Nathalie Gatellier, une manière de faire faire des économies à la société. « C’est prouvé assure-t-elle, démonstration à l’appui : quand les personnes âgées peuvent compter sur leurs voisins, elles appellent moins les pompiers, vont moins à l’hôpital. Pareil pour l’intergénérationnel, ça fait reculer de cinq ans l’âge d’entrée en maison de retraite. Donc c’est 20 000 euros par an d’économies pour la collectivité ! »

Petit à petit, la Fabrique du Nous a réalisé qu’elle était aussi un trait d’union entre les acteurs du milieu associatif : « Souvent, ils ont un seul angle et avoir cette approche transversale crée un effet d’entraînement. Au tout début, on a rassemblé tous ces artisans et, finalement, ils ne se connaissaient pas, n’étaient pas reliés. Il y a beaucoup de synergies à faire », s’enthousiasme Nathalie.

Faire de Marseille la Capitale du Nous 1
Le Grand Bain parie sur le jumelage d’écoles aux réalités sociales bien différentes @Marcelle

Partager son samedi

Et l’ex-Parisienne descendue vivre il y a dix ans à Marseille déborde de projets : un tout nouveau lui tient particulièrement à cœur ; son œil s’allume : c’est Samedi bien, mis sur pied avec les équipes de Sista4good et Benenova. « On propose un samedi matin par mois de s’engager deux heures pour la ville ou pour la planète. » Coup d’envoi imminent, samedi 3 février.

Et quand on lui fait remarquer que les initiatives foisonnent à Marseille, une explication germe immédiatement dans son esprit : « Ici, il y a plein d’entrepreneurs, plein de gens qui se bougent. On a l’impression que tout est possible. Et puis il y a une pauvreté visible au centre de la ville, qui donne envie de se bouger ».

Et bouger Nathalie sait faire, un peu trop même parfois au goût de ses filles qu’elle entraîne dans ses aventures : « Elles me disent, maman y en a marre de tes plans pour ramasser les déchets à Félix Pyat ».

Mais parfois, l’entrepreneuse sociale sait aussi les emballer et les surprendre. Comme le jour où elle décide d’héberger Soriba, « un jeune Guinéen de 17 ans arrivé chez nous avec son baluchon. Il est resté deux ans. Et cette rencontre, elle vous met face à vous. Il s’est par exemple intéressé à la religion catholique, cherchait dans la bibliothèque de mes enfants l’histoire de la Bible, lui qui est musulman ». Et celle qui est notre invitée pour son action dans la Fabrique du Nous de confier simplement : « Pour moi, le vrai héros c’est lui ». ♦