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Massif des Maures : comment concilier réserve naturelle et activité humaine ?

Par Frédérique Hermine, le 9 novembre 2021

Journaliste

Après l'incendie du 10 août 2021, la concertation reste difficile dans la Réserve des Maures @Frédérique Hermine

Alors que la Préfecture du Var vient de rappeler qu’il est toujours interdit d’arpenter la Réserve Naturelle de la plaine des Maures ravagée par un incendie en août dernier, la polémique sur la gestion des lieux n’est pas encore éteinte. Sans remettre en question l’existence de la Réserve, élus, habitants, agriculteurs, forestiers, bergers… s’interrogent sur le manque total de concertation alors qu’ils font partie de cet espace protégé.

 

Le 10 août dernier, la Plaine des Maures était en feu, un incendie qui serait dû (l’enquête n’est pas close) à un mégot jeté sur l’aire d’autoroute des Sigues sur la A57, près de Gonfaron. La sécheresse et un violent mistral aidant, le feu s’est vite propagé dans la plaine et sur les collines environnantes, jusqu’en lisière du golfe de Saint-Tropez. Plus de 7000 hectares ont été ravagés par les flammes, deux personnes ont trouvé la mort et les deux tiers de cette réserve nationale (bonus) ont été affectés par l’incendie.

La Préfecture a rappelé cette semaine qu’un arrêté réglementant l’accès à ce site ainsi qu’à certaines activités a été pris le 10 septembre dernier. Pour permettre la restauration de la faune et de la flore, seuls les propriétaires et ayant-droits peuvent y circuler. Une fois l’émotion passée, la colère est arrivée, notamment contre la gestion de la réserve, jugée par beaucoup de « radicalisme écolo ».

 

Des vignes pare-feux

La Réserve naturelle des Maures en question et concertation 2
Comment équilibrer activité humaine et environnement ? @F. Hermine

« Je n’avais jamais vu un feu galoper comme ça, un vrai volcan », raconte Éric Pastorino, président de l’interprofession des vins de Provence et de la cave de Gonfaron. Le débroussaillement n’aurait pas empêché l’incendie, mais il aurait limité son étendue ». « La réserve naturelle nous a traînés en justice pour avoir fait de l’écobuage autour des parcelles, mais c’est quand même ce qui nous a sauvés, souligne Maxime Mathon, directeur marketing du groupe MDCV qui comprend notamment le château des Bertrands, au cœur de la zone. On ne peut pas mettre en danger les hommes pour protéger les tortues. Opposer sans cesse l’activité humaine et la protection de l’environnement. On ne peut pas non plus nier que les vignes servent de pare-feu et c’est primordial dans le Var, régulièrement touché par les incendies. Quand on est certifié bio et HVE3, il est incompréhensible d’être accusé de ne pas être attentif à la biodiversité. La réserve est une chance mais il faut laisser les vignerons y participer activement ».

Même incompréhension non loin de là, de la part de Guillaume Chevron-Villette. Son domaine a la certification Terra Vitis, sans pesticides, insecticides ni engrais chimiques. « C’est une gestion dogmatique. La vigne qui était là bien avant la réserve représente quand même plus de 500 hectares et une quinzaine de vignerons sur le total de 2000 hectares. Il n’est pas normal de ne pas avoir voix au chapitre. Le principe est de ne plus rien faire et de ne toucher à rien. Nous avons besoin d’une réflexion concertée avec tous les acteurs de terrain, forestiers, agriculteurs, oléiculteurs, bergers qui connaissent le terrain par cœur depuis des décennies ».

 

  • Première réserve naturelle du Var et 163e réserve naturelle nationale de France

 

Un durcissement des règles

La Réserve naturelle des Maures en question et concertation 1
Les tortues d’Hermann @F. Hermine

Le problème semble spécifique à la Réserve des Maures. Car s’il existe 167 réserves naturelles dans l‘Hexagone, elle est l’une des seules à abriter une activité économique importante. Créée en juin 2009 par décret, elle s’étend sur plus de 5200 hectares du massif des Maures, englobe cinq communes (Les Mayons, Vidauban, Le Luc, La Garde-Freinet, Le Cannet-des-Maures) et recense plus de 500 espèces de plantes dont 39 protégées.

Elle héberge aussi la célèbre tortue d’Hermann, seule tortue terrestre française. « La réserve a peut-être été créée trop vite, pour écarter la menace d’une construction de piste d’entraînement de Michelin. Mais ici, les propriétaires ont toujours peu construit, il n’y a jamais eu de gros programmes immobiliers ou de lotissements. Et quand c’était déjà une zone Natura 2000 dans les années 90, on discutait avec les scientifiques ».

Un vrai travail de réflexion avait été mené dans le cadre du Pidaf (Plan Intercommunal de Débroussaillement et d’Aménagement Forestier) dont les règles prévalent sur celles d’une réserve naturelle. Yannick Simon, le maire de Cabasse, rappelle qu’à la création, « l’agriculture, la sylviculture et les promenades étaient autorisées et on était consulté. Mais avec le durcissement des règles, plus sévères que ce que demande le droit européen, et avec le changement de direction, on est passé de la discussion à juste de la répression à coups d’amende. Le problème est relationnel et on ne peut pas sortir l’humain de la zone ». Dans la plaine, les agriculteurs et viticulteurs sont d’ailleurs quasiment tous en HVE (Haute Valeur Environnementale) ou en bio.

 

 

Les moutons accusés de menacer les orchidées

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« Là où sont passées les brebis, il n’y a pas eu de feu » @F. Hermine

Le débroussaillement protège des feux de forêt, les vignes servent de pare-feux. Le pastoralisme contribue également à l’entretien ; il est d’ailleurs soutenu et encouragé par la communauté de communes Cœur du Var en tant que moyen de lutte contre les incendies. « Là où sont passées les brebis, il n’y a pas eu de feu, affirme en colère Magali Maurel, éleveuse en activité dans la Plaine. Et si le hameau de Rascas aux Mayons n’a pas brûlé, c’est grâce à mon troupeau brebis qui est passé par là. Le pastoralisme s’est toujours pratiqué ici, encadré depuis 2009 par des demandes d’autorisation à des dates précises. Mais aujourd’hui, on me dit que les crottes de mes moutons dénaturent le sol et empêchent les orchidées de pousser. Non seulement c’est absurde mais c’est criminel ».

Certes, le débroussaillement n’est pas totalement interdit mais il doit se faire obligatoirement au fil. Une gageure pour de grandes surfaces et une pratique impossible avec des buissons et des arbustes. « Il y a toujours eu très peu de tortues blessées par les débroussaillements, mais on compte par dizaines celles qui sont mortes dans les incendies, souligne Éric Pastorino. Il faut arrêter le dogmatisme et réfléchir ensemble à des solutions ».

 

 

Des propositions pour le prochain plan de gestion

Massif des Maures : pas facile de concilier réserve naturelle et activité humaineSur ce point, tous les acteurs locaux semblent d’accord et décidés à devenir forces de propositions. À la Chambre d’Agriculture du Var, on soutient également un retour à la concertation pour ne pas opposer les enjeux environnementaux et agricoles. « La meilleure solution est d’intégrer les acteurs locaux dans les discussions. Ils sont aussi des acteurs de la protection, à qui il faut communiquer des pratiques de plus en plus vertueuses », estime Fanny Alibert de la Chambre d’Agriculture. La commission Agrimaures, censée traiter des particularités agricoles de la Réserve ne s’est réunie qu’une fois en cinq ans. Face à une telle levée de boucliers, le Département, responsable de la gestion de la Réserve, a souhaité se désengager. Reste donc au Préfet à trouver qui pourrait prendre la relève : la Région, un syndicat ou un établissement mixte.

En attendant, élus et filières n’entendent pas avancer au rythme des tortues. « Nous préparons une liste de propositions avec tous les acteurs locaux dans le respect de la faune et la flore », précise Yannick Simon. Suite à la visite du ministre de l’Agriculture Julien Denormandie sollicité par Éric Pastorino, il vient de lui être envoyé une liste de propositions cosignée par l’ODG Côtes-de-Provence et la Chambre d’Agriculture. Parmi elles, la démultiplication des coupe-feux par les vignes, les oliviers, le sylvopastoralisme, la révision des conditions de débroussaillement, l’aménagement de retenues collinaires, l’accès au canal de Provence par des bornes d’irrigation accessibles aux pompiers. Mais aussi l’établissement d’une liste de travaux agricoles exempts d’autorisation, notamment l’entretien des voies de circulation et d’exploitation, des installations existantes, la remise en culture des terres en jachère, l’entretien des fossés en bordure de parcelles agricoles…

« Notre mécontentement a été entendu ; maintenant, il faut être constructif, insiste Éric Pastorino. L’idéal serait de sortir les terres agricoles de la Réserve ou au moins d’avoir une gestion concertée ». Ne serait-ce que pour repartir sur de bonnes bases pour le prochain plan de gestion 2020-2025. Dossier à suivre… ♦

 

Bonus

  • La Réserve naturelle nationale de la plaine des Maures

La création de la Réserve nationale naturelle de la plaine des Maures est fortement liée à la présence de la tortue d’Hermann. Emblématique du Var, sa protection est souhaitée dès 1923, lors du tout premier Congrès international de la protection de la nature à Paris. Mais ce n’est qu’au début des années 1990, dans le Var, qu’une véritable mobilisation en faveur de sa défense apparaît. La réserve naît avec le projet de la société Michelin de construire un centre d’essai sur un terrain d’environ 900 hectares au Cannet-des-Maures.

Après la mise en place en 1995 d’un projet d’intérêt général, l’État décide de préserver et d’assurer la gestion de l’ensemble des richesses de ce secteur par la création d’une réserve naturelle. Le décret n°2009-754 du 23 juin 2009, publié au Journal officiel, crée enfin la Réserve des Maures. Il est signé conjointement par les ministres de l’Écologie et de la Défense. Il s’agit alors de la première réserve naturelle du Var et de la 163e réserve naturelle nationale de France