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Venise, école de la vie pour jeunes musiciens de La Ciotat

Par Neijma Lechevallier, le 30 juin 2023

Journaliste

Fin mai, quarante élèves du conservatoire de La Ciotat et de la Cité de la Musique de Marseille ont vogué ensemble quelques jours au cœur de Venise. Dans le cadre d’un projet pédagogique musical et sportif né en 2015 et soutenu par la Mairie de La Ciotat, les apprentis musiciens se sont produits dans différents lieux. Un voyage pour former la jeunesse et, au passage, sensibiliser aux questions environnementales.  

 

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Les jeunes élèves du conservatoire de La Ciotat et ceux de la Cité de la Musique, avec leurs professeurs, dont Georges Bozouklian (accroupi), au monastère de l’île Saint-Lazare.

Sous les vitraux, dans la fraîcheur du monastère, les notes résonnent, semblant tourbillonner en volutes légères jusqu’à la voûte. Puis quatre jeunes comédiennes, inscrites en art dramatique au conservatoire, jouent des extraits de pièces en italien. La voix de Katia, accompagnée par Pauline au piano, perle ensuite au cœur du temple. Violons et violoncelles se donnent la réplique, puis un duo de flutistes clôt l’événement.

Les applaudissements fusent alors. Dans le public, face aux jeunes du conservatoire de La Ciotat et de la Cité de la Musique de Marseille, d’autres élèves, leurs professeurs, des moines et des touristes, heureux de l’aubaine. Nous sommes sur l’île Saint-Lazare (San Lazzaro degli Armeni), à quelques coups de rame de Venise.

Le trésor caché des moines arméniens

Un moine guide le groupe dans le dédale du monastère, révélant des espaces rarement montrés au public. Les visiteurs découvrent alors une bibliothèque d’Alexandrie miniature avec ouvrages anciens, objets d’art, papyrus et même momie ! Voilà le trésor de ces moines, qui vivent selon le rite orthodoxe arménien.

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Dans les vitrines, des bibles enluminées de différentes époques.

Dans le réfectoire, des assiettes espacées, et le perchoir duquel le lecteur récite des passages de la Bible à la communauté qui prend ses repas en silence. Cachée au cœur du monastère, une petite pièce ronde aux vitrines garnies de bibles enluminées.

Et un espace central à l’acoustique modifiée, où l’on entend sa propre voix en écho comme dans un tube et qui emplit tout l’espace de manière amplifiée. Une métaphore du cosmos ?

 

Participer à la mythique Vogalonga

Les chefs d’orchestre de ce voyage pédagogique et culturel sont au nombre de trois. Il y a Georges Bozouklian, professeur de piano à la Cité de la Musique – très investie auprès des jeunes -, Lisa Ferrali, professeure de violon au conservatoire de La Ciotat. Et enfin Marc Palo, professeur de sport, présent depuis le premier voyage initié en 2015. Lors des précédentes éditions, ses élèves participaient aux courses de gondoles organisées sur le grand canal. Mais la crise sanitaire a eu raison d’un partenariat essentiel. De quoi pourtant fabriquer des souvenirs magiques pour tous ces jeunes, au cœur de cette ville qui accueille des touristes du monde entier. Biennales d’art contemporain, de cinéma et de musique, le gratin mondial s’y presse, sur les pas des artistes qui en sont tombés amoureux avant eux.

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Marc Palo, avec Béatrice Santoro, Jodi et Gian Cedolin lors de l’édition 2018 de la Vogalonga.

Cette ville exerce une même fascination sur ses visiteurs, célèbres ou anonymes. Gérard, 86 ans, astrophysicien à la retraite et musicien, partage ses connaissances. Et le vieil homme d’ajouter : « C’est toujours la même joie d’être au milieu de toute cette beauté et de la partager ».

 

La musique et le sport, une école de la vie

Georges veille ainsi sur ce petit monde avec bonhommie. Et ne cesse de répéter combien il est heureux d’avoir enfin pu faire ce voyage après en avoir tant parlé. Ses élèves se souviennent que pas un de ses cours ne se déroulait sans être égrené de considérations physiques, philosophiques, artistiques. Le professeur y établissait en effet des liens entre musique, littérature et architecture. Ou encore entre astrophysique et ondes musicales. Maître d’œuvre de nombreux spectacles organisés au cœur de la bastide de La Magalone, l’une des antennes de la Cité de la Musique face au Corbusier, il aime faire dialoguer d’autres arts avec la musique.

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Les jeunes musiciens de La Ciotat avec leurs instruments, sur les marches du théâtre de La Fenice.

« Je suis heureux de partager une nouvelle fois cela avec mes élèves après deux années d’interruption, s’exclame le professeur. Chaque édition est différente, à l’image de cette ville fascinante qui a la faculté de provoquer l’étonnement à chaque fois que l’on y retourne. » Ce qui est aussi lié au fait que le groupe accède à des lieux habituellement inaccessibles aux touristes, grâce aux liens notamment tissés avec la communauté du monastère de l’île Saint-Lazare. « C’est une aventure qui ressemble à une navigation, un peu comme la vie… Je remercie Marc et sa folie, parce que sans folie on ne fait rien. »

 

Sensibiliser à l’environnement

Marc est originaire d’Italie par ses grands-parents qui ont fui le fascisme mussolinien. « Venise est née avec la rame, historiquement toute la vie de la cité s’organise autour de l’eau, rappelle-t-il. Aujourd’hui encore le Grand Canal reste l’artère principale. Les premières courses à la rame ont été organisées pour protester contre les dégradations provoquées par les bateaux à moteur (lire bonus). Lors des précédentes éditions de ce voyage pédagogique, j’avais une vingtaine de gamins avec moi, qui participaient à La Volalonga. C’était fantastique ! Je suis resté en lien avec Lalo et Antonio Rosasalva, directeurs du comité organisateur de la Vogalonga de Venise. Et j’ai participé à titre personnel à de nombreuses courses. »

 

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Le jeu de cartes avec plateau créé par Marc Palo pour sensibiliser aux menaces pesant sur Venise et sa lagune.

Depuis quelques années, des mesures ont été prises pour protéger la ville du trafic maritime trop intensif (lire bonus). « C’est essentiel pour moi de se mobiliser pour protéger Venise. » C’est pourquoi l’enseignant italophone a créé un jeu de cartes au graphisme soigné. Objectif : apprendre ludiquement quelles menaces pèsent sur la ville et quelles actions mener pour l’en préserver. Sa création a conquis plusieurs librairies et musées vénitiens, qui devraient la proposer prochainement en italien, anglais et français.

La transmission au service d’un monde commun 

 

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Les jeunes élèves et leurs professeurs, avec Lisa au centre, à Venise sur la célèbre place Saint Marc, avec la Basilique et le Palais des Doges, et le Caffè Florian.

« Je suis heureuse que Georges et Marc m’aient embarquée dans cette aventure, déclare Lisa. C’est un passage de flambeau que je vais m’attacher à honorer. Cette expérience est géniale, ces jeunes travaillent dur. C’est important de leur montrer ce qu’est la musique, de la vivre avec d’autres. Vous imaginez ce que ça représente pour un ado de jouer à Venise ? Tout ce qui peut, à l’époque actuelle, aider les jeunes à grandir, à mettre du sens dans ce qu’ils font doit être soutenu. C’est ce que permettent notamment la musique et le sport. Les élèves reviennent très motivés ! Et riches d’une expérience qui j’espère les nourrira longtemps et contribuera à forger les adultes qu’ils deviendront. »

En juin, Georges Bozouklian a posé les jalons d’un partenariat officiel pour les prochaines éditions entre la Cité de la Musique, le Conservatoire de La Ciotat et l’école de musique de Martelago, une commune de Venise. Qui sait, demain, les jeunes musiciens français feront peut-être orchestre commun avec ceux du prestigieux Conservatoire de musique de Venise ? « La musique est un monde commun, une langue universelle », dit en guise de conclusion le musicien, qui a la musique et la transmission chevillées au cœur. ♦

 

Bonus

La Vogalonga, course historique sur le Grand Canal. C’est l’un des événements vénitiens les plus importants. Cette régate non compétitive ouverte à tous types de bateaux à rames se déroule entre fin mai et début juin. Le départ se fait dans le bassin de la place Saint-Marc. L’arrivée a lieu 30 km plus loin sur le Grand canal.

Cette course mythique attire chaque année des milliers de passionnés du monde entier qui convergent à bord de centaines de bateaux : caorline, gondoles, mascarete, canoës, kayaks, dragons boats. Tous les types d’embarcations ou presque sont permis ! Ce marathon sans vainqueurs offre tous les ans un spectacle époustouflant. Émotions garanties !

 

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Édition 2018 de la Vogalonga, avec Marc Palo à bord parmi les rameurs.
  • Le succès au rendez-vous dès le début. Tout commence en 1974 lorsqu’un groupe d’amis vénitiens décide de créer une manifestation contre la dégradation de la lagune générée par le trafic des bateaux à moteur. Ce sont en effet Lauro Bergame, alors rédacteur en chef de « Il Gazzettino », Toni et Giuseppe Rosa Salva, amateurs d’aviron, qui imaginent cet événement. Quel meilleur symbole que la rame à Venise ?

La première édition, sans financement public, repose à l’époque sur l’enthousiasme des fondateurs. On choisit le jour de l’Ascension, jour de célébration du mariage de la Sérénissime avec l’eau. Le 8 mai 1975, 1500 personnes s’alignent au départ sur 500 bateaux. Les participants lèvent une rame, crient « Viva San Marco ! », et s’élancent au coup de canon.

 

 

  • Des retombées positives pour la ville. Grâce à cet événement, les métiers artisanaux liés à la construction de la gondole et autres barques typiques, qui semblaient voués à disparaître, sont sauvés grâce au retour de la pratique de la « voga alla veneta ». Plus de 40 ans après, La Vogalonga est devenue un rendez-vous incontournable et rassemble rameurs et spectateurs venus de tous les horizons.

 

  • Une ville protégée des nuisances et dégradations liées aux paquebots. Depuis le 1er août 2021, les paquebots de plus de 180 mètres de long et 35 mètres de haut ont été bannis de la Cité des Doges. « On peut dire que c’est un jour historique, déclarait le ministre de la Vulture, Dario Franceschini. Cette décision était attendue par l’Unesco. Tous les gens qui ont visité Venise au moins une fois étaient choqués de voir ces bateaux passer par le plus fragile et le plus bel endroit du monde. »

Désormais, les géants des mers s’amarrent au port Marghera, qui a été aménagé en conséquence. Une bonne nouvelle pour tous ceux qui dénonçaient la pollution et le danger que représentent ces monstres des mers pour les fondations des bâtiments historiques. Cependant, les navires de croisière plus petits (200 passagers) ont conservé l’autorisation d’accoster. Des idéaux en actes, et des idéalistes lucides qui sèment d’ores et déjà pour les générations futures.