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Les bouteilles aussi se font plus écoresponsables

Par Frédérique Hermine, le 24 mai 2023

Journaliste

Les bouteilles à base de fibre de lin conçues par la start-up Green gen ©F.Hermine

À l’heure où la pénurie de verre pénalise de plus en plus les producteurs de vins et spiritueux, la petite entreprise toulousaine Green Gen Technologies s’est attachée à trouver une alternative à base de fibres de lin. Sa bouteille biosourcée affiche un bilan carbone qui ferait rêver plus d’un climatologue de la COP 21.

 

La fibre de lin à l’origine ne sert pas à fabriquer des bouteilles, mais ce n’est pas pour autant un usage récent. Cette fibre légère et respirante était déjà utilisée il y a quelques millénaires par les Égyptiens pour ses capacités de thermorégulation dans les vêtements et les habitations. Plus récemment, elle a été exploitée pour ces mêmes qualités, mais également pour sa résistance aux chocs par les industries aérospatiales et automobiles (Tesla, Volvo), pour la fabrication de skis, de casques, de skates et de coques de bateaux.

Le lin semble paré de toutes les vertus : non seulement la matière est biodégradable (la France est même le premier producteur mondial de fibre de lin), mais sa culture ne demande ni arrosage ni engrais. De plus, sa transformation ne nécessite aucun procédé chimique et de surcroît, la plante fixe le carbone par photosynthèse.

 

La menace de pénurie de silice

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La bouteille imaginée par James de Roany pèse actuellement 84 g et devrait même descendre à 44 g ©DR

Forte de cet enseignement, la start-up toulousaine Green Gen Technologies a travaillé sur l’utilisation d’une technique composite pour le marier à la résine naturelle de pin, matériau particulièrement robuste. Par une technique de filage et tressage, elle a développé une bouteille en fibre de lin écoresponsable et biosourcée. Co-fondée par James de Roany et Séverine Laurent, elle a été brevetée en 2017.

« La bouteille en verre, facilement recyclable, semblait l’emballage idéal jusqu’à récemment. Après une précédente carrière dans l’univers des vins et spiritueux, je ne m’étais pas, pendant longtemps, posé la question de l’impact écologique de la fabrication des bouteilles et de leur transport, reconnaît volontiers James de Roany. Mais la planète va tomber d’ici quelques décennies en rupture de silice aquatique, la matière première indispensable pour la fabrication du verre et du béton. Et le bilan carbone de la filière est catastrophique. J’ai donc mieux compris pourquoi les verriers faisaient autant d’efforts pour alléger les bouteilles et favoriser le recyclage ».

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Des bouteilles en lin à customiser ©Green Gen

Il poursuit :  « Cela n’empêche pas un fort impact sur l’environnement pour récupérer la matière première. Et pour fabriquer des bouteilles dans des fours à 1450° qu’on ne peut quasiment jamais éteindre. Sans compter qu’il faut les envoyer pour embouteillage chez les producteurs de vins et spiritueux. Puis chez les consommateurs partout sur la planète ». Sachant qu’une bouteille de vin pèse en moyenne 450 g, jusqu’à 900 g en général pour le champagne, souvent plus de 1 kg pour les spiritueux, il s’agissait bien de plancher sur un matériau léger et écoresponsable.

 

L’arrivée des business angels

Après avoir vu une émission sur les vertus de la fibre de lin, la jeune entreprise s’est rapprochée du spécialiste des technologies en fibres naturelles, le Suisse Bcomp. Elle est de surcroît entourée, dans l’agglomération toulousaine, d’« airbussiens » qui l’utilisent déjà dans l’industrie aérospatiale. « Après quelques années de R&D dans notre petit labo, nous avons pu sortir et breveter une bouteille en fibres de lin. Elle pèse actuellement 84 g et devrait même descendre à 44 g d’ici 12 à 18 mois », annonce fièrement James de Roany.

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Champ de lin©F.Hermine

Il développe le projet de fil en aiguille et aime rappeler ainsi le principe de sérendipité. « Les princes de Bali étaient partis à dos d’âne découvrir leur île. Au fur et à mesure de leur périple, ils sont allés de découverte en découverte au hasard des rencontres. Pasteur a découvert la pénicilline en oubliant un morceau de sandwich dans son laboratoire. Nous avons d’abord travaillé modestement sur le composite en tâtonnant un peu. Un petit communiqué a attiré l’attention de l’émission Silence ça pousse puis de France 3 et ensuite, tout est allé très vite. Une foule de business angels m’ont appelé pour avoir des renseignements sur le procédé et proposé de participer au financement ».

 

 

Du labo au stade industriel

Cet intérêt soudain a engendré plusieurs levées de fonds. Elles ont permis d’embaucher deux ingénieurs en textile et chimie des matériaux. Puis de lancer un premier prototype. Le passage à un stade plus industriel a aidé à faire descendre le prix de la bouteille. Une gageure grâce à une nouvelle collaboration, et non des moindres, celle de Moët-Hennessy dans le cadre de sa Maison des start ups. Elle se veut un véritable incubateur d’entreprises innovantes et accompagne pas moins de 75 jeunes PME dont Green Gen Technologies. « Nous n’avons pas signé de contrat d’exclusivité avec eux ; nous bénéficions néanmoins de contacts privilégiés avec les autres maisons du groupe », précise James de Roany.

La start-up construit un premier atelier à Portets-sur-Garonne pour monter en puissance mais rencontre quelques difficultés à produire sa bouteille à plus grande échelle. Aujourd’hui, elle vient d’installer une nouvelle usine à Bergerac, en Dordogne, avec l’aide de l’agglomération et de la région Nouvelle Aquitaine qui accueille déjà Canoë, la plateforme de R&D sur les composites. Après être passée à une fabrication d’environ 50 000 bouteilles par an (dont 10 000 dédiées aux spiritueux), il s’agit avec cette nouvelle unité 2.0 d’atteindre rapidement 500 000 bouteilles. De quoi ramener le coût de 7 à 3 euros (contre 0,50 cts en moyenne pour une bouteille de vin en verre). À partir de fin 2024, la production pourrait grimper à 30 millions de bouteilles coûtant environ 1euro par flacon.

 

Des usines locales

Green Gen va également investir dans différents moules pour créer d’autres formes de bouteilles. Mais aussi dans le process, pour descendre encore le poids du flacon et donc du bilan carbone. Celui-ci est déjà faible puisque la création du composite s’effectue à température ambiante. Par ailleurs, l’étiquette en polymère naturel, de la caséine hydrosoluble et donc biodégradable, a été imaginée par une autre start-up de la région de Saint-Étienne, Lactips.

Autre axe de réflexion, une bouteille pour les vins effervescents qui garantira l’étanchéité gazeuse. Pour rester en cohérence avec un produit écoresponsable, l’entreprise envisage à terme de créer des usines de fabrication sur les différents marchés étrangers. Si le développement international le nécessite afin de réduire le bilan carbone transport. « Il serait aberrant d’envoyer nos bouteilles à lautre bout du monde ; ça naurait aucun sens au regard de la démarche initiale d’éco-conception », insiste James de Roany. Seul regret à l’heure actuelle, la bouteille ne peut être étanchéifiée à l’intérieur que par un film de plastique pour garantir l’alimentarité. L’ingénieur agro rappelle néanmoins qu’il est « aisément dissociable du composite dans leau et donc recyclable, même s’il ne l’est pas encore aujourd’hui. Mais nous travaillons à une seconde vie avec une réutilisation en carafe ».

 

 

Une gourde made in sud-ouest

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La gourde Green Gen © DR

Green Gen Technologies a également créé en parallèle une gourde fabriquée en composite de copeaux de fibres de bois et de résine. À l’heure où 95% des gourdes en aluminium dont le marché est en plein boom proviennent de Chine, le produit mérite d’être remarqué. Il est recyclable, écologique et très pratique. Il s’ouvre en effet par le fond pour faciliter son nettoyage… Et peut être accompagné d’un gobelet en lin. ♦

 

Bonus
  • Les premières applications. C’est la petite maison de cognac A. De Fussigny qui a été la première à participer au financement et à utiliser les nouvelles bouteilles en fibres de lin de Green Gen Technologies. Son jeune pdg Thomas Gonon, convaincu de l’intérêt environnemental, a participé à la première levée de fonds pour acheter les moules. Il a ainsi lancé l’an dernier un cognac bio en finish de fûts neufs toastés dans les premières bouteilles en fibres de lin noir (50 euros). D’abord disponibles en prévente via la plateforme kisskissbankbank, elles ont été proposées au domaine et chez les cavistes à l’automne dernier.

« Cette innovation est une façon de valoriser le cognac bio et de s’inscrire dans la modernité, précise Thomas Gonon. Nous sommes fiers d’être les premiers à utiliser cette bouteille, l’une des solutions les plus basses en émissions de gaz à effet de serre ». James de Roany se félicite aussi que ce partenaire n’ait pas demandé l’exclusivité. Ait estimé que si c’était bon pour la planète, il fallait la diffuser le plus largement possible.