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Les élèves ont classe chez les commerçants avec ‘’Quartier école’’

Par Marie Le Marois, le 8 janvier 2024

Journaliste

Ce dispositif éprouvé à Marseille s'inspire de projets développés au Brésil et à Naples contre l’échec scolaire : des cours hors les murs pour des classes de primaire, chez différents commerçants du quartier. 
Artisans, commerçants, policiers, cantonniers et citoyens deviennent enseignants temporaires des enfants de leur quartier grâce au ‘’Quartier école’’. Ce dispositif inédit, initié depuis novembre 2023 par la Fabrique du Nous et soutenu par le groupe Bayard, est expérimenté dans trois classes pilotes de Marseille.

L’école élémentaire Bernard Cadenat, qui s’étire le long de la place éponyme, ne passe pas inaperçue. Sa façade rouge affiche deux entrées surmontées d’un ‘’École de filles’’ à gauche et ‘’École de garçons’’ à droite. Elle fait face à l’une des huit fontaines Wallace de Marseille, sculptures en fonte emblématiques du XIXe siècle. Une autre particularité est d’être située au cœur de la Belle de Mai, un des quartiers les plus pauvres de France.

Enfin, elle est la première en France à accueillir ‘’Quartier école’’, le dernier dispositif de la Fabrique du Nous, un labo marseillais de projets et d’idées. À pied d’œuvre pour une société plus fraternelle, ses fondateurs  Nathalie Gatellier et Tarik Ghezali se sont inspirés de projets développés au Brésil et à Naples contre l’échec scolaire (bonus). Pendant un an, les élèves de CP, CM1 et CM2 ont classe hors les murs, chez différents commerçants du quartier. 

Apprendre l’anatomie avec le squelette

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Isaac, Oscar et la pédicure-podologue @Marcelle

Ce matin-là, ils passent l’après-midi dans le cabinet de podologie, voisin de leur école. Aucun ne connaissait les lieux, encore moins le métier. Tous font face au squelette Oscar, fier et droit sur sa tige. La pédicure-podologue commence par leur parler des articulations. Elle demande à la dizaine d’enfants présents de montrer tour à tour nuque, genoux, pieds, cheville ou hanches – « z’hanches », lance tonitruant un petit garçon.

La professeure des écoles ne manque jamais de lier les informations à ses cours et d’inciter les CP, plus taiseux, à participer. « Loulou, quand on fait du sport le matin, qu’est-ce qu’on échauffe ? » demande Mathilde Adam à un petit garçon qui ne quitte pas la main du squelette. Cette enseignante de CP, partie prenante du projet depuis le départ, mixe ses élèves avec ceux de l’enseignant de CM1-CM2 pour obtenir deux groupes. « L’interaction entre petits et grands est toujours intéressante. Les premiers prennent confiance en eux et découvrent les seconds. Dans la cour de récré, les âges ne se mélangent pas ». 

  • (Re)lire une autre initiative de La Fabrique du Nous : Le Grand Bain

Et le métier

Les élèves de CP apprécient tenir la main d’Oscar @Marcelle

La pédicure-podologue poursuit la séance avec les muscles, propose aux enfants d’enlever une chaussure pour toucher le talon, « vous verrez que c’est tout dur ». Puis le dessous, « c’est le ventre du pied », réplique une petite fille. Un joli mot pour indiquer « la plante du pied », reprend Mathilde Adam. Et d’ajouter que le creux, « c’est la voûte plantaire ». Isaac, élève de CM2 très participatif, indique les côtes. Kemis ne savait pas « qu’il y en avait autant ». Puis les élèves touchent leurs rotules pour découvrir qu’elles bougent. Enfin, effectuent l’empreinte encrée de leur pied ou de leur main sur le podographe, un joli souvenir qu’ils peuvent rapporter chez eux.

Avant de quitter le cabinet, le petit groupe passe chez les deux autres pédicures-podologues pour approfondir l’anatomie du pied. Carole et Megg, qui n’ont pas le droit de dire leur nom « sinon ce serait du commerce », font découvrir les différences entre « pied plat, pied creux », à l’aide d’instruments. Des volontaires jouent les cobayes, posent leur pied nu sur le podoscope, d’autres marchent sous le regard des autres. Les enfants constatent que Djassem a les « pieds vers l’intérieur ». Les podologues expliquent que ce défaut peut à terme « étirer le muscle et faire mal ». Et que leur métier consiste justement à « venir [le] corriger » grâce à des semelles sur-mesure.  

Du concret dans l’apprentissage

Mathilde Adam, professeure des CP (à droite), reprend les explications de la pédicure-podologue sur le pied @Marcelle

Les enfants sont dithyrambiques sur la séance. Kubra ne savait pas que la partie sous le pied « s’appelait voûte », Adam que « les pieds ont beaucoup d’os et qu’il y a aussi des os aux genoux ». Et Mohamed, que le coude, « c’était une articulation ». Cette possibilité d’apprendre chez les professionnels apporte « une autre perspective d’apprentissage pour les élèves », insiste Christelle Ribes, cheffe de projet bénévole de ‘’Quartier école’’. 

Les CP approfondissent et enrichissent leur vocabulaire, tandis que les plus grands concrétisent les notions délivrées en classe – ici l’anatomie. Dans d’autres lieux investis, les maths et l’histoire sont pratiquées. Ainsi, au Gyptis, cinéma Art & Essai du quartier, les élèves ont parlé de la Seconde Guerre mondiale – le bâtiment a été en partie détruit en 1944. Et de la géométrie autour du grand écran – calcul de la largeur, la hauteur et la longueur. 

Valoriser ses compétences 

Petit souvenir encré à ramener à la maison @Marcelle

Cette nouvelle approche offre aux élèves un moyen différent de participer en cours. Un timide, qui n’ose pas lever la main ou aller au tableau, peut dans ce cadre informel se révéler. La cheffe de projet pense à cette Roumaine, arrivée en France il y a quatre ans, « plutôt en échec scolaire ».

Lorsque sa classe a fait cours avec le jardinier du Couvent Levat, une résidence d’artistes, la petite fille savait déjà comment entretenir la terre – il s’agissait en l’occurrence de la désherber. « Elle était dans son élément, on voyait que ça lui plaisait. Elle n’était plus la même enfant », se souvient Christelle Ribes. Ces qualités ont valorisé ses compétences, pour elle, mais aussi vis-à-vis de son enseignant et de ses camarades. Dans ce lieu baigné de nature, les élèves ont également expérimenté leur cours de biologie, à travers le cycle des plantes.

Remettre de la vie dans le quartier

Pied plat ou pied creux ? @Marcelle

‘’Quartier école’’ offre la possibilité aux enfants de connaître les commerces environnants et les lieux culturels, mais aussi de se repérer dans la ville. Pour les commerçants, c’est « une bulle d’air dans leur journée », note Christelle Ribes. Carole, la pédicure-podologue, qui en est à son troisième groupe, n’a aucune peine à offrir du temps aux enfants. Car cet échange « [lui] apporte aussi ». Ce qu’elle aime, « c’est la spontanéité » et l’idée de transmettre une petite graine qui demain peut-être germera.

La jeune femme lumineuse est également ravie pour son quartier qui, selon elle, manque de dynamisme, « avant, c’était vivant ». Cette enfant de la Belle de Mai se souvient de l’époque où se tenait un grand marché sur la place, « mes grands-parents avaient un stand, c’était une autre ambiance ». Une ambiance de village qu’elle aimerait retrouver. ‘’Quartier école’’ est, elle l’espère, un moyen de tisser les liens.

Tous les professionnels sont source d’apprentissage

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@Marcelle

La cheffe du projet sollicite tous azimuts d’autres lieux. Les élèves se rendront avec leur enseignant chez l’audioprothésiste et à la Maison du Bel’Âge, avec des binômes enfant/senior. Les anciens raconteront « comment était leur enfance pour se laver, téléphoner, se déplacer… ». Il y aura également les Archives Municipales de la ville, où ils apprendront à lire un plan et à s’orienter dans l’espace. La visite se prolongera par la découverte de documents anciens et un atelier d’initiation à la calligraphie et l’enluminure.

Elle envisage d’emmener les classes à l’épicerie associative Drogheria qui fonctionne en partie à l’ancienne. Les élèves apprendront les masses – grammes et kilos – avec la balance de pesée. Et les calculs avec la caisse enregistreuse. Ils se rendront ensuite à côté, à la Cantine de Midi, pour un atelier culinaire pour apprendre la saisonnalité des produits. Christelle Ribes envisage également d’emmener l’école à une banque et à la Friche Belle de Mai – lieu de travail artistique et culturel – « pour se repérer et découvrir les différents corps de métier ». 

Multiplier les écoles

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L’école Cadenas @Marcelle

Tous les professionnels du quartier sont de potentielles sources d’apprentissage (bonus). Ainsi, les agents de propreté urbaine – plus communément appelés éboueurs – pourraient très bien initier le groupe au cycle des déchets. Ils ont d’ailleurs expliqué que cette initiative donnera « du sens à leur métier », rapporte la bénévole qui projette de multiplier les écoles en septembre prochain.

Sur le pas de la porte du cabinet de podologie, avant de retourner dans leur classe, les enfants confient leurs souhaits : découvrir la police, la pharmacie, les pompiers et même la maîtresse. En attendant, en juin prochain, ils exposeront tout ce qu’ils ont découvert durant l’année, avec tous leurs interlocuteurs. Sur la grande place devant l’école.♦

 

Bonus

  • La Fabrique du Nous s’est inspirée de projets développés au Brésil. Mais aussi depuis 2018 à Naples avec la “Scuola Diffusa”. Nathalie Gatellier explique que cette école 100% ‘’dehors’’ est implantée dans le quartier espagnol situé en plein centre. L’ approche est ‘’non pas une transmission de savoir-faire, mais un modèle didactique où les différentes rencontres et observations se connectent avec les disciplines’’. Et une forte ambition sur le décrochage scolaire des jeunes collégiens (passer de 30% à 0).
  • Exemples de rencontres entre les élèves et les ressources de leur quartier. Apprendre l’histoire de France en écoutant les témoignages d’anciens au club senior voisin. L’histoire de l’écriture en écoutant l’imprimeur. Apprendre les maths en faisant des gâteaux chez le boulanger et les saisons chez le primeur. Chez le vendeur de parapluies, faire de la géométrie avec les rayons. Et chez le chocolatier parler de la découverte du cacao en Amérique puis de Christophe Colomb. 
  • (Re)lire À l’école oui, mais en vélo-bus !

  • Les écoles en plein air par Galaad Schnerb, stagiaire. En France, on recense plus d’une trentaine d’écoles en plein air, réparties sur le territoire. Parmi elles, les  »forest school ». Ces structures scolaires alternatives au cursus classique se déroulent intégralement en pleine nature. En forêt, dans un jardin, un bois ou encore une cour. Les enfants sont encouragés à grimper dans les arbres, jouer dans l’eau, construire des cabanes. Ou bien encore creuser la terre ou suivre des traces d’animaux.

Les bienfaits ? Selon Ziad F. Dabaja, diplômé de l’Université de Windsor (Canada), ils sont multiples. Les enfants sont en meilleure santé, plus détendus, plus agiles, plus endurants, plus sociaux et coopératifs, moins enclins aux conflits, plus respectueux et conscients de l’environnement. Ils ont confiance en eux, de meilleures compétences scolaires. Et sont plus autonomes.