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Mohand Sidi Saïd, « rôle modèle » pour les jeunes de la diversité

Par Nathania Cahen, le 3 janvier 2023

Journaliste

La vie de Mohand Sidi Saïd est un livre, qui tient à la fois du conte de fées, du manuel de carrière et du précis de philosophie. Rien en effet ne prédestinait un petit Kabyle, né pauvre et au travail dès 7 ans, à devenir un jour vice-président du célèbre laboratoire Pfizer et du puissant syndicat pharmaceutique américain PhRMA. Échanges à bâtons rompus.

 

Affable et souriant, Mohand Sidi Saïd, 84 ans, me reçoit dans sa vaste bastide de la campagne aixoise. Jardin blanchi par le gel et, à l’image du champ d’oliviers, nature en hibernation. Le rendez-vous a été décalé de deux jours pour suspicion de Covid. Je suis donc invitée à m’enduire généreusement les mains de gel hydroalcoolique.

 

Chef de famille à 9 ans

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« Depuis ma retraite, je fais douze métiers, je suis plus occupé qu’hier » ©Marcelle

Il a 7 ans quand il commence à travailler, transporter et débiter du bois pour en faire du charbon. Et dans les montagnes du Djurdjura, l’hiver est rude. Il en a 9 quand, son père étant mort en France, il devient chef de famille. Un an plus tard, il rentre à l’école grâce à un cousin instituteur. Mohand se découvre alors « une soif d’apprendre illimitée ».

Il saute des classes, devient le lettré du village, l’écrivain public. Puis ce sera les PTT d’Alger. Et ce moment, déterminant, d’octobre 1965, où avec grippe et bronchite il va consulter un médecin. Il en ressort sans ordonnance, mais avec une lettre de recommandation pour le directeur des laboratoires Pfizer en Algérie. Frémissements d’une carrière qui va le conduire sur tous les continents. Jusqu’en Provence, région qu’il va chérir. L’histoire de cette vie riche en rebondissements et questionnements est racontée par Mohand Sidi Saïd dans un livre de mémoires paru en 2020, « Du Djurdjura à Manhattan ».

« Après des temps de ténèbres, je suis parvenu en haut de la hiérarchie sociale, commente Mohand Sidi Saïd. Mais on n’atterrit pas les mains vides. On a des bagages en soute, les injustices, les blessures d’enfance, les humiliations réelles ou imaginées, la malveillance de certains ». Il évoque alors la tentation de la revanche : « La victime peut être pire que le bourreau, j’ai donc choisi la sagesse. Même si je n’ai rien oublié. Car des ténèbres peut naître une sagesse du corps et de l’esprit qui s’apparente au commencement du bonheur ».

 

Pas à pas, sans ascenseur social

Pas à pas, le jeune Algérien va ainsi bâtir sa carrière, passer des diplômes, multiplier les lectures. Sans ascenseur social. « Mais arrivé au sommet, il y a une chose que je n’ai pas oubliée, c’est d’où je viens. Mes ancêtres, mes parents, mon pays natal. Je reste ce que je suis ».

Où Mohand a-t-il puisé l’énergie, la force, l’opiniâtreté ? D’abord grâce au sens des responsabilités. Dans cette fratrie de quatre enfants, il est l’aîné des garçons. Leur mère connaît de graves soucis de santé donc, à la disparition du père, « il m’a fallu assumer en tant que chef de famille. Même si j’avais seulement 9 ans et une grand-mère merveilleuse, il fallait nourrir les siens. On n’a pas le temps de regarder derrière soi ». Puis sa motivation sera intellectuelle, toujours un livre en main « mais sans snobisme ». Une source de connaissance, de vie et de sagesse. « Je voulais toujours pousser plus loin, savoir davantage ». Écolier désargenté, il avait gagné un dictionnaire en échange des devoirs d’un comparse.

Avec les années, le savoir va prendre d’autres formes. Savoir-faire, faire savoir, savoir être, savoir-vivre… Apprendre dans les livres, dans les universités, en observant les autres.

 

 

Pelé, Tutu et Sullivan

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Une des photos qui ornent sa cheminée. Avec Pelé en 2001.

Je lui parle de rôle-modèle. Il lève un sourcil : « J’ai rencontré des rois, des chefs d’état, des ministres en quantité… Peu m’ont appris quelque chose de nouveau ». Au moins trois exceptions, pourtant. Le champion brésilien, le « roi Pelé », sollicité pour vanter les mérites du Viagra (en son temps produit phare des labos Pfizer). Réticent, il se contentera finalement de communiquer sur la dysfonction érectile (qui touche plus de 20% des hommes – Ndlr).

Ensuite, le cardinal sud-africain Desmond Tutu qui présida en 1995 la Commission vérité et réconciliation : « un homme intelligent qui a œuvré pour protéger les multiples ethnies de son pays et éviter l’engrenage de la violence. Côtoyer et écouter ce constructeur de paix a été un grand bonheur ». Et puis encore le Révérend Sullivan, avec qui Mohand Sidi Saïd s’est aventuré dans les banlieues pauvres de New York. « Il m’a appris quelque chose de précieux, tendre la main le premier, même si elle est vide ». Il embraye : « Je n’ai pas la prétention de me comparer à ces grands hommes, mais est-il besoin d’être Mandela ou Pelé pour faire le bien ? Nous sommes malheureusement dans une société malade, où la générosité se fait rare ».

 

La religion montre la voie

Son autre modèle, son idole, son icône, c’est sa grand-mère. « Un don du ciel, un guide, d’une douceur telle qu’elle avait le don de calmer presque toutes les douleurs et de dissimuler les siennes. Une femme très pieuse », confie-t-il.

Justement, et la religion quelle place tient-elle dans la vie de ce self-made man ? « Je suis musulman, croyant mais pas pratiquant. Je considère que la religion nous montre la voie. Et de par mon histoire, suis sensible aux veuves et aux orphelins : ils sont évoqués dans des hadiths (tradition liée aux actes du prophète -Ndlr) tout comme dans la Torah ».

C’est ainsi que dès sa retraite en 2005, « une fois redevenu un homme normal », Mohand Sidi Saïd a réservé son premier déplacement au village SOS Village d’enfants d’Alger, qu’il aide aujourd’hui encore. De même qu’à Mumbai, en Inde, il a fait livrer vivres, vêtements et jouets au couvent Missionaries of Charity. Là, les petites sœurs de Mère Teresa recueillent les enfants de la rue.

 

 

La santé en France, trop frileuse

C’est un sujet des plus sensibles : la santé en France. « Un gros souci, confirme l’expert. Un paradoxe aussi de demander à un grand corps malade de soigner nos maux ». Il poursuit : « Nous avons des soignants de bonne volonté qui se dévouent toujours plus. Ils méritent les augmentations qu’ils revendiquent. Au lieu de quoi, les politiques tergiversent, négocient plutôt que reconnaître la chose la plus importante : ils le méritent ! »

Pour Mohand Sidi Saïd, le gouvernement n’est pas plus à incriminer que les précédents, car la situation se délite depuis plus de 40 ans. « Le pays n’a aucune vision en la matière. On a une santé boiteuse parce qu’on a oublié de s’adapter », juge-t-il. Un des remèdes tient en un mot : prévention. « La meilleure façon de guérir d’une maladie est de ne pas l’avoir. En soignant l’hygiène de vie, l’alimentation… » Et de se réjouir que la France soit désormais pourvue d’un ministère de la Santé ET de la Prévention.

La France manque également d’ambition, note-t-il. « Trump, ce n’est pas ma tasse de thé. Je ne supporte pas ses excès de langage. Mais lorsqu’il s’est agi de fabriquer en urgence un vaccin contre le Covid, il n’a pas hésité à donner 950 millions de dollars à un petit labo, pas un big pharma. Et à accorder l’immunité juridique à Pfizer. Résultat, un vaccin a vu le jour en un an au lieu de dix… » La leçon ? Il faut réussir le mariage de la technologie, de l’IA, de l’innovation. Cela suppose de lever de nombreux freins…

 

Aider les jeunes des banlieues

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Mohand Sidi Saïd a signé un livre de mémoires paru en 2020, « Du Djurdjura à Manhattan » ©Marcelle

Maintenant qu’il est à la retraite ? « Je fais douze métiers, je suis plus occupé qu’hier », s’amuse-t-il. Comme des interventions en recherche et développement dans le domaine de la santé. « Je dis que ce 21e siècle est celui de l’innovation. C’est aussi celui de la jeunesse française ; à condition qu’on lui ouvre les portes du savoir, surtout aux laissés pour compte envers qui nous avons un devoir de générosité ». Il s’était un temps investi dans le fonds social BAC (Business angels des cités) qu’avait porté Claude Bébéar. Le principe en était d’avancer de l’argent à de jeunes porteurs de projets des banlieues.

Les jeunes, il aime leur parler, les encourager « à se battre, à persévérer, car il n’y a jamais de combats inutiles. L’étendue des opportunités n’a d’égal que l’appétit à s’en sortir, à compter dans la société ».

Il y a six ans, il a rejoint Aix-en-Provence mécénat qu’il préside désormais. Ce fonds de dotation intervient dans les domaines de la culture, de l’environnement, du patrimoine et de la solidarité. Depuis le financement d’une oliveraie urbaine sur l’esplanade Mozart au soutien aux étudiants démunis durant la pandémie. Et, récemment, la réalisation de trois chambres médicales pour le centre d’hébergement et de réinsertion de la Croix-Rouge aixoise, pour les gens de la rue.

 

De la nature et du temps qui passe

S’engager encore et toujours est sa façon de prouver qu’il croit en l’avenir. « Si je pensais que tout ce que j’entreprends est coups d’épée dans l’eau, je me serais retiré dans mon petit village berbère. Mais, je crois en la force de notre jeunesse, son imagination ».
La nature lui est aussi devenue une source d’inspiration. « Les gens commencent à comprendre qu’elle est tout sauf inertie. Elle vit, et il faut en prendre soin, la respecter. Car si vous lui donnez peu, elle vous rend beaucoup. À cette condition nous ferons encore un bout de chemin dans la sérénité ».
L’écologie ? N’est pas écolo qui veut convient monsieur Sidi Saïd. Il reconnaît volontiers qu’en la matière, il est loin d’être parfait. Que par le passé, il a fait bien des choses qui n’étaient pas en harmonie avec la nature. « Chacun à sa manière et en son temps ».

Il garde à l’esprit ces mots du Christ qui figurent dans évangile de Saint Matthieu, « Vous ne savez ni le jour ni l’heure ». « Mais je sais une chose, ce jour-là on n’emporte pas grand-chose, on repart comme on est venu ». ♦