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Comment la musique transforme et soigne le cerveau

Par Marie Le Marois, le 14 mars 2023

Journaliste

Grâce à la neuroimagerie et au développement des neurosciences, il est démontré que la musique agit sur le cerveau. Des vertus intéressantes ont notamment été établies pour les maladies neurodégénératives, tel Alzheimer. Un apport précieux pour les patients et leur entourage. Explications avec Hervé Platel, enseignant-chercheur en neuropsychologie et directeur de l’unité Inserm NIMH à Caen.

 

On le sait, on le vit tous : la musique influe sur notre humeur. Bien sûr, un même morceau ne provoquera pas les mêmes émotions chez tout le monde. Mais, en général, dès lors qu’il est structuré, il ne laisse pas indifférent. Si le rythme est lent, les battements du cœur ralentissent, ainsi que la respiration. « C’est la synchronisation cardio-vasculaire », décrypte le professeur Hervé Platel de son bureau à Caen. Autrement dit : la tension artérielle se synchronise avec la vitesse de la musique. Et le taux de cortisol – l’hormone du stress – diminue. C’est le cas chez l’homme, mais aussi l’animal. Les éleveurs de bovins qui diffusent de la musique dans leur ferme auraient des vaches laitières plus zen et productives.

À l’inverse, si la musique peut relaxer, elle stimule aussi. Dans la course à pied, par exemple, écouter un morceau permet de caler sa foulée, prolonger l’effort. Et, en plus, de libérer la dopamine (D.O.S.E bonus), le neurotransmetteur du plaisir : c’est le « double effet Kiss Cool », pour reprendre l’expression du chercheur en neuropsychologie. Son effet est tel qu’écouter de la musique est interdit pendant le marathon, « sinon ce serait du dopage ».

 

Hervé Platel est intervenu à l’Opéra de Limoges dans le cadre de La Semaine du Cerveau. Programme ici des conférences et manifestations en présentiel et distanciel dans toute la France jusqu’au 19 mars.

Désinhibiteur pour Parkinson et troubles du langage

Hervé Platel
Hervé Platel est un des premiers chercheurs à travailler sur musique et cerveau depuis les années 1990. Il a continué en orientant son sujet d’étude sur l’impact de la musique sur le cerveau, en particulier la mémoire. @Hervé Platel

Hervé Platel, internationalement reconnu pour ses travaux sur la neuropsychologie de la perception musicale, a révélé les réseaux cérébraux impliqués dans la perception et la mémorisation de la musique. Il a ainsi démontré que l’écoute musicale mobilise de nombreuses régions du cerveau, provoquant une véritable « symphonie neuronale ». Elle sollicite les régions auditives et immédiatement les régions motrices, naturellement connectées ensemble dans le cerveau. Autrement dit, la musique se ressent… dans le cerveau. Ce qui explique pourquoi « une musique pulsée nous donne envie de bouger ou à un bébé de se dandiner alors même qu’il ne sait pas marcher », explique le psychologue de formation

La musicothérapie présente un grand intérêt dans le traitement de la maladie de Parkinson. Faire écouter un morceau rythmé aux patients les aide à développer une marche plus fluide et désinhibe leur coordination motrice. Elle est également utilisée par des orthophonistes pour les personnes souffrant d’une aphasie (perte totale ou partielle de la capacité de parler) car elle libère la production du langage. D’ailleurs, les personnes bègues, souligne le chercheur, ont souvent une parole fluide dès qu’elles chantent. 

 

Atténuation de la douleur

Music Care
Un patient de la Clinique Saint Paul – Martinique écoute une séance musicale de Music Care avant de passer au bloc. @Clinique Saint Paul

Si elle provoque du plaisir, la musique atténue aussi la perception de la douleur en la détournant de notre conscience, et en libérant dopamine et endorphine. Son effet est tel qu’elle est utilisée pour les douleurs chroniques et les soins douloureux, dans les services d’urgence, de chirurgie, de réanimation. Pour les soins palliatifs, chez les dentistes, dans les maternités… Un programme a même été mis au point par une société française : Music Care, application pionnière dans la prise en charge de la douleur par la musique – en complément d’un traitement médicamenteux (bonus). 

Sur le site, on peut lire différents témoignages de praticiens hospitaliers. Le docteur Guerrier, anesthésiste à l’hôpital Cochin (APHP) à Paris, raconte par exemple, que, grâce à ce programme, ils réussirent à transformer une anesthésie générale en locale. Le docteur Brun à Nouméa, algologue (spécialiste de la douleur), explique utiliser quotidiennement l’application pour diminuer douleur et anxiété, « permettant de réduire les risques liés à la surmédication ». Dispensée d’abord dans les établissements de soins, elle est aujourd’hui disponible pour les patients sur recommandation de leur médecin.

 

 

Résistance de la mémoire musicale

Cerveau
Les sons de la parole et ceux de la musique sont traités par des réseaux spécifiques.

Chercheur dans une unité Inserm étudiant la mémoire humaine et ses troubles, Hervé Platel s’est intéressé à la mémoire comme objet d’étude, particulièrement chez les personnes atteintes d’Alzheimer. Il a observé que, malgré la destruction des régions appelées hippocampes, les patients maintenaient une bonne mémoire de la musique. En effet, les études de neuroimagerie montrent que la mémoire verbale est impactée, mais pas musicale. Démontrant ainsi que les sons de la parole et ceux de la musique, bien que parvenant tous les deux à la région auditive, vont être ensuite traités par des réseaux spécifiques. En outre, la mémoire musicale sollicite plus largement le cerveau que la mémoire du langage, ce qui permet d’expliquer la bonne résistance de cette dernière lors du vieillissement du cerveau. 

La musique permet ainsi au cerveau de se restructurer plus vite après des traumas, troubles ou lésions. Suite à un AVC, par exemple. Utilisée en début de maladies neurodégénératives, comme Alzheimer, elle favorise la neuroplasticité neuronale et retarde donc son impact sur la détérioration de la mémoire. 

 

 

Diminution des troubles du comportement

Il suffit à Noëlle, aide-soignante à l’EHPAD Notre-Dame de la Paix, à Toulon, d’entamer les premiers mots d’une chanson espagnole pour que les yeux de Monsieur G s’illuminent. Il se redresse et prend la suite des paroles. Une demi-seconde avant, il était tout recroquevillé, le regard hagard. Comme un pantin qui jaillit de sa boîte, la musique lui redonne vie de façon spectaculaire. Mais stimule aussi sa mémoire ancienne, « plus efficacement que des exercices utilisant des mots », ajoute le professeur qui cite cette émouvante vidéo où on voit une ancienne danseuse étoile atteinte de la maladie d’Alzheimer renaître à l’écoute du Lac des cygnes de Tchaïkovski.

Passer aux malades des musiques connues est un formidable antidote à l’apathie, un des troubles du comportement caractéristiques de l’Alzheimer. « Elle est aussi un levier précieux contre l’enfermement et la rupture ». Elle est un moyen pour entrer en communication avec eux, avec leurs émotions, leurs souvenirs, leur jeunesse. La musique est la clé qui déverrouille leur prison. Elle est une stimulation cognitive, psychologique et sociale.

 

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Stimulation de la mémoire défaillante

À un stade avancé de la maladie, les patients déments n’ont plus de mémoire chronologique. Ils sont perdus dans le temps; tout ce qui est vécu à l’instant T est oublié immédiatement. Mais pas avec la musique. Ils sont en capacité de reconnaître de nouveaux morceaux « tout style ». Si on leur passe tous les jours le même, expose Hervé Platel, ils vont dire que « ça ne leur dit rien, qu’ils ne l’ont jamais entendu ». Au bout du quatrième ou cinquième jour, ils vont le reconnaître de façon incertaine, avancer que « ça leur dit quelque chose, mais qu’ils n’en sont pas certains ». 

À partir du sixième jour, il y a une bascule : ‘’celui-là, je le connais !’’, disent-ils. « Ce qui prouve qu’ils l’ont bien gardé en mémoire, mais ne savent pas quand ils l’ont écouté la première fois ». 

Grâce à ces découvertes, des instituts organisent des chorales avec les patients qui apprennent de nouvelles chansons. Ce qui surprend les familles. Elles ne comprennent pas pourquoi leur mère ou père ne les reconnaît pas, mais est capable de chanter dans une chorale.  

 

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Effets positifs sur l’entourage 

musico-thérapie
Les travaux d’Hervé Platel ont permis de développer des méthodes musico-thérapeutiques de prise en charge chez les patients déments. @Pixabay

Alors certes, dit le chercheur, les effets ne durent pas éternellement. Ne permettent pas de reconstruire le cerveau ni d’arrêter la maladie. Mais ils stimulent, luttent contre les troubles du comportement et offrent une qualité de vie « jusqu’à la fin de vie et ce n’est pas rien ». 

La musique offre également un changement de regard sur le patient souvent déficitaire, perçu « comme une coquille vide »; se désole Hervé Platel. « Souvent, on me dit ‘’mais à quoi ça sert, ils auront tout oublié. Or, la musique laisse une trace ». En outre, la répétition de cette action a un effet immédiat sur les soignants et les familles : ils gardent un lien de qualité avec le malade. Et retrouvent un plaisir partagé. ♦ 

 

Bonus 
  • Le circuit de la récompense en musique. En plus de stimuler plusieurs zones cérébrales, la musique sollicite l’imaginaire, réactive la mémoire et les émotions associées. Écouter un de nos morceau préférés décuple le plaisir musical – « le frisson musical est dans 80% des cas un frisson mémoriel. Il éveille circuit de récompense dans le cerveau. Rien de plus frustrant, d’ailleurs, quand le Dj arrête le morceau juste avant votre passage préféré », explique Hervé Platel.

 

  • MUSIC CARE. Quelle différence avec un service de streaming musical ou encore une application de relaxation ou de méditation ? Toutes les séquences musicales ont été spécifiquement conçues pour MUSIC CARE. Et sont issues de la collaboration entre compositeurs, musicothérapeutes et chercheurs en neurosciences. Comme dans les techniques d’hypnose, trois phases en  »U » – détente, relaxation et éveil – composent les séquences de MUSIC CARE.

D’abord, la phase de détente utilise un tempo stimulant et un nombre élevé d’instruments. Cela permet de synchroniser l’activité cérébrale du patient avec la musique. Puis le tempo ralentit pour entrer progressivement dans la phase de relaxation qui se caractérise par un grand calme, c’est-à-dire un rythme très bas et peu d’instruments. Enfin, dans la phase d’éveil, le patient retrouve son état de conscience habituel.

 

  • DOSE
    Les soirées D.O.S.E ont lieu tous les jeudis soirs à Marseille

    Séance D.O.S.E à Marseille. D.O.S.E est l’acronyme de Dopamine + Ocytocine + Sérotonine + Endorphine. « La musique et la danse stimulent les hormones du bien-être, comme une dose saine et naturelle », présente Pierre Bassil et créateur du concept. Ce jeudi soir à Marseille dans une petite salle cachée dans le dédale des rues de Noailles. Cet artiste et DJ nous invite à vivre l’enchantement de ses morceaux qui varient au rythme des battements du cœur (downtempo, house, techno, trance et autres surprises…).

Au micro, le trentenaire guide la danse en racontant une histoire pour aider à lâcher prise et faire voyager. L’espace recouvert de tapis est bienveillant pour évoluer en toute liberté. Quelques recommandations pour profiter des bienfaits : danser sans chaussures; pas d’alcool, ni de drogues avant la séance; pas de discussions sur la piste. On peut danser seul ou être en contact avec d’autres, mais sans forcer. On peut fermer les yeux, sauter, rouler par terre, s’allonger, se suspendre.

L’expérience est étonnante. Évolue en fonction du rythme de la musique, apaise ou, au contraire, exalte. Laisse, une fois révolue, une sensation de légèreté, de plénitude et, en même temps, une énergie incroyable. Sur 17 personnes, quatre n’ont pas réussi à lâcher prise. Julie, elle, vient quasiment tous les jeudis, « prendre [sa] dose ». Les effets D.O.S.E sont tels qu’après deux ans de pratique, Pierre Bassil s’apprête à former d‘autres personnes en France.