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Des athlètes sponsorisés par… leurs fans

Par Agathe Perrier, le 19 septembre 2023

Journaliste

Maëlie Abadie, sportive de haut niveau en tumbling, est inscrite sur la plateforme Obaine pour créer une communauté autour de son projet sportif © DR

Deux Lyonnais ont lancé Obaine, un site internet qui permet aux particuliers de sponsoriser des sportifs de haut niveau. En échange d’un abonnement payant symbolique, les fans ont accès à des contenus exclusifs pour suivre l’évolution de leur carrière. Une véritable aubaine pour ces athlètes qui, majoritairement, ne vivent pas de leur passion bien qu’ils y consacrent une grande partie de leur temps. 

 

Les salaires de certains sportifs français – les footballeurs évoluant en première division principalement – défraient souvent la chronique. Des montants qui sont loin de refléter la réalité des athlètes de haut niveau. « Nous vivons pour le sport mais, pour la plupart, le sport ne nous fait pas vivre », dénonçait déjà en 2015 une quarantaine d’entre eux – dont l’escrimeuse Astrid Guyart, le biathlète Martin Fourcade ou le perchiste Renaud Lavillenie. Si une loi a été adoptée depuis dans le but d’améliorer la situation (lire bonus), reste que « les sportifs ont de grosses difficultés à se financer », souligne Paul Debarnot. Pour y remédier, ce Lyonnais a eu l’idée, avec son ami d’enfance Clément Pradier, de lancer une plateforme de sponsoring.

Sur Obaine, des particuliers peuvent ainsi sponsoriser un athlète moyennant 5,99 euros par mois – ou 59,99 euros pour un an. En contrepartie, ce dernier s’engage à leur partager régulièrement des vidéos exclusives. Les abonnés ont aussi accès à un « espace de partage » pour échanger avec l’ensemble de la communauté. Et chaque mois, après tirage au sort, l’un d’eux peut gagner une récompense particulière comme un appel de leur champion préféré, une invitation à un entraînement, des goodies…

 

 

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Après plusieurs années en tant que sportif de haut niveau en planche à voile, Romain Ghio s’est tourné vers le wingfoil et compte sur les abonnements d’Obaine pour l’aider financièrement dans cette nouvelle aventure © DR

Apporter une aide financière aux athlètes

Tout juste lancée le 9 septembre dernier, la plateforme compte déjà sept sportifs de haut niveau. « Notre objectif est d’en avoir entre 60 et 75 d’ici les Jeux olympiques de 2024 à Paris. Et d’intégrer notamment des athlètes qui disputeront cet événement », explique Paul Debarnot. À plus long terme, l’ambition est d’atteindre les 500 d’ici la fin 2026.

Romain Ghio fait partie de cette poignée de « pionniers ». Sportif de haut niveau en planche à voile – il s’est notamment classé 17e européen et 35e mondial dans sa carrière – il vient de changer de discipline. Il pratique désormais le wingfoil et compte sur les abonnements d’Obaine pour l’aider financièrement. « Tous les frais pour participer à une compétition sont à ma charge. Ils peuvent vite s’avérer élevés lorsqu’elle se passe loin. La prochaine coupe du monde, par exemple, a lieu au Brésil en novembre prochain », indique ce Marseillais de 25 ans.

Certains athlètes ont tout ou partie de leurs déplacements pris en charge. C’est le cas de Maëlie Abadie quand elle est sélectionnée pour une compétition européenne ou mondiale de tumbling, branche de la gymnastique qui consiste à enchaîner huit acrobaties consécutives sur une piste. Elle fait partie du collectif France de cette discipline, l’élite qui représente le pays à l’international. Pour autant, elle ne perçoit de sa fédération qu’une aide financière d’environ 1 600 euros sur l’ensemble de l’année. « C’est loin de couvrir tous les frais engagés », confie cette native du Mans (Sarthe).

 

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Maëlie Abadie passe chaque soir trois heures à l’entraînement après le travail © DR

35h au boulot, 15h à l’entraînement

Conscients des difficultés à vivre de leur sport, Maëlie Abadie et Romain Ghio ont poursuivi leurs études en parallèle de leur carrière sportive. La première vient de finir un parcours en alternance en communication et graphisme. « Je m’entraîne environ trois heures chaque soir après le travail, soit 15 heures au total par semaine. Le plus difficile est de ne pas avoir de vacances. J’utilise tous mes congés pour les compétitions, plus du sans solde. Je n’ai par exemple plus de jours à poser pour le reste de l’année », glisse-t-elle. Ce, alors que les championnats du monde, pour lesquels elle espère être sélectionnée, n’ont pas encore eu lieu.

Le wingsurfeur, en quatrième année d’école d’ingénieur, passe aussi une bonne partie de ses fins de journée en entraînement. D’autant plus qu’il a changé de discipline. « J’ai de l’expérience à rattraper », sourit-il. Il s’astreint à cinq sessions de trois heures par semaine auxquelles s’ajoutent autant de séances de préparation physique.

 

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Paul Debarnot et Clément Pradier, amis d’enfance, ont consacré le début de leur année 2023 à ce projet entrepreneurial qu’est Obaine © DR

Complémentaire aux réseaux sociaux

Les journées des athlètes sont donc déjà bien remplies. Pour éviter de leur accaparer trop de temps, l’équipe d’Obaine a pensé à tout. « On a dès le départ eu conscience que les sportifs de haut niveau ne sont pas des créateurs de contenus ou des influenceurs. C’est pourquoi on s’occupe nous-mêmes de la partie montage des vidéos. Ils n’ont qu’à nous envoyer leurs rushes », explique Paul Debarnot. Une tâche qui sera par la suite automatisée.

En outre, les sujets abordés sur Obaine sont plus creusés que ce que l’on peut retrouver sur Instagram et autre TikTok. « Lorsque je suis passé de la planche à voile au wingfoil, j’ai simplement publié un post pour prévenir mes abonnés et leur faire part du début de cette nouvelle aventure. Sur Obaine, j’ai prévu une vidéo pour expliquer ma réflexion sur ce changement, mes peurs aussi. C’est en fait une plateforme complémentaire aux réseaux sociaux », considère Romain Ghio.

Ce côté « fan expérience » est ce qui a d’ailleurs particulièrement plu à Maëlie Abadie. « J’attends de cette plateforme de pouvoir créer une communauté autour de mon projet sportif et de permettre aux personnes intéressées d’en savoir plus sur ma carrière », précise-t-elle. C’est justement dans cette optique d’établir un vrai lien entre les abonnés et les athlètes que les fondateurs d’Obaine ont opté pour le système d’abonnement, plutôt que celui de don ponctuel.

 

 

Un potentiel à capter

Une trentaine d’abonnements ont été activés dans les 48 heures qui ont suivi le lancement d’Obaine. Un chiffre encourageant aux yeux de Paul Debarnot. Et le potentiel à capter est bien supérieur : l’équipe estime que 2% des followers des athlètes sur leurs réseaux sociaux respectifs devraient rejoindre la plateforme. Elle joue par ailleurs la carte de la transparence en précisant que, sur le montant de l’abonnement, 70% revient au sportif et 30% à l’entreprise. Une commission pour se rémunérer et développer de nouvelles fonctionnalités afin d’assurer le futur de cette aubaine pour les sportifs de haut niveau. ♦

 

Bonus

  • De l’idée au lancement, 250 jours intensifs – Paul Debarnot et Clément Pradier ont commencé à travailler sur leur projet entrepreneurial au début de l’année 2023. Ils s’y sont consacrés à 100% et n’ont compté jusqu’à présent que sur leurs fonds propres. Ils vont candidater à des aides, notamment la Bourse French Tech, et envisagent une levée de fonds pour le milieu ou la fin de l’année 2024.
  • La plateforme américaine Patreon comme source d’inspiration – Celle-ci a été créée en 2013. Elle permet à des artistes (musiciens, écrivains, podcasteurs…) de vendre des produits numériques directement auprès de leurs fans les plus fidèles. Paul Debarnot reconnaît s’en être inspiré pour Obaine. À noter qu’il existe un réseau social français, MYM, qui repose sur le concept de payer pour avoir accès à des publications exclusives de créateurs de contenus. Lancé en 2018, on y trouve aussi bien de la musique, du sport, de la beauté que de la pornographie.
  • Sportif de haut niveau, un statut reconnu dans la loi – Depuis 2015. « Cette loi permet de mieux accompagner les sportifs, mieux les protéger et sécuriser leur situation juridique et sociale afin qu’ils puissent se préparer et exercer leur activité sportive en toute quiétude. Elle est véritablement porteuse de progrès pour les sportifs de haut niveau, comme pour les sportifs professionnels », met en avant le gouvernement.