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Raconter le voyage pour susciter l’envie 

Par Maëva Danton, le 6 juillet 2023

Journaliste

Samuela Burzio à la Gare de Lyon. @Seguret

[train #2] Comment changer efficacement les habitudes pour faire face aux défis environnementaux ? Comment détourner le réflexe avion, synonyme de rapidité, au profit du train, plus lent, mais davantage en phase avec les impératifs climatiques ? Pour Samuela Burzio, fondatrice de Once Upon A Train (OUAT), la réponse se trouve dans le récit. Cette association souhaite remettre le train au cœur de nos imaginaires de voyage. Et peut-être ainsi de nos pratiques.

 

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Samuela reliant Ankara à Kars, Turquie, 2022  @Samuela Burzio

La Bête humaine d’Émile Zola. Le crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie. La Gare Saint-Lazare sous les coups de pinceau de Monet… Le train a longtemps inspiré. Fasciné, même. Peut-être parce qu’il a changé notre rapport au monde et au temps, devenu minuté. Peut-être aussi parce qu’il constitue une métaphore de la vie, longuement filée dans la littérature. Parce qu’il est un lieu d’ouverture à l’autre autant que d’isolement. D’enfermement en même temps que de mouvement.

« Le train est le seul mode de transport où l’on a le choix de tout faire ou de ne rien faire », observe Samuela Burzio, passionnée de train qui a travaillé dans le ferroviaire avant de fonder OUAT. Le temps de penser, de lire, de travailler, de s’oublier, de rêver … « Le temps n’est pas haché comme c’est le cas lorsqu’on prend l’avion ». Et contrairement à ce dernier qui nous transporte en peu de temps d’un point A à un point B, le train permet de « voir le territoire que l’on traverse. De faire les escales que l’on souhaite. Ce qui compte, ce n’est pas tant le but que le chemin pour y parvenir ». Tout un symbole.

 

Raconter le train pour susciter l’envie 
La Gare Saint-Lazare, par Claude Monet

Il était un train…


Sauf que si le train a été aux XIXe et XXe siècles le symbole de la modernité, l’avion lui a volé la vedette. Par sa rapidité, mais aussi par son prix, sans cesse réduit par l’essor de l’aviation low cost et par une fiscalité avantageuse. « En y réfléchissant, je me suis rendu compte que j’étais une enfant de la génération Ryanair et EasyJet. J’ai grandi dans un monde où voyager signifie aller au bout du monde ». Un imaginaire qu’elle veut déconstruire avec son association OUAT, pour Once Upon a train -Il était une fois un train en français-, un nom qui évoque le début d’un conte.

Un conte qui commence en 2019, lorsqu’un ami lui propose de venir à Tokyo au moment des Jeux olympiques de 2020. Le Japon, elle en rêve. « J’ai toujours été une grande voyageuse ». Et si le train a toujours eu sa préférence, il lui arrive aussi de prendre l’avion. Mais elle est aussi très sensible aux enjeux écologiques. Et peine à « concilier pulsions de voyage et conscience écologiste », prise d’un mal de plus en plus partagé : le flygskam, ce terme suédois désignant la honte de prendre l’avion.

C’est alors qu’elle réfléchit à une manière de rejoindre le Japon grâce à un train ô combien mythique : le Transsibérien. 10 000 kilomètres de trajet à préparer. Avec autant d’escales qu’elle le souhaite. Elle élabore son projet de voyage, mais se trouve subitement interrompue par l’épidémie de covid-19.

 

♦ Lire aussi : Temps de Trajet Responsable ou comment repenser travail et déplacement

 

Réhabilitation culturelle du train

« Je me suis alors mise à réfléchir sur le sujet du voyage. A-t-on vraiment besoin de traverser la planète ? Face à la crise climatique, nous n’avons plus d’autre choix que d’agir ». Elle décide alors de mettre ses efforts au service d’une cause : la réhabilitation culturelle du train.

C’est là la mission de OUAT, qui s’appuie sur quatre valeurs qu’égraine la créatrice de l’association. La première, c’est la lenteur, à rebours des injonctions à aller toujours plus vite. Lenteur qu’incarne bien le slogan de l’association : « Prenons le temps, prenons le train ».

La seconde valeur, c’est la durabilité, autrement dit, la volonté de réduire l’impact de nos modes de vie sur notre environnement. La troisième : le fun. « Chez OUAT on dit souvent : sans planète, pas de fête » ; si l’on préserve la terre, c’est avant tout pour pouvoir continuer à y vivre, et ce, de la manière la plus agréable possible.

Enfin, le quatrième pilier moral de l’association consiste en une forme de positivité. « Il est trop tard pour être pessimiste ». Trop tard aussi pour des discours culpabilisants qui ne mobilisent que peu. Voire qui braquent. Pour insuffler le changement, pense Samuela, il faut raconter et, ainsi, susciter l’envie.

 

♦ Et relire : [train #1] : Quand des voyageurs accompagnent des animaux abandonnés vers leur famille d’adoption

 

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Dans le train de nuit Budapest-Zurich @Elena Tamagnone

Un train qui se raconte, qui se partage et qui se fête

Afin d’incarner ces valeurs, OUAT s’attelle en premier lieu à publier de nombreux articles sur la thématique du train. « Il faut remettre le train au cœur des récits de voyage ».

Puis, quand les restrictions de voyages dues au covid-19 sont levées, l’association ajoute un second wagon à son train : le conseil aux voyageurs. « Il est parfois compliqué de réserver un voyage, surtout lorsqu’on sort du territoire national. Voyager en Europe peut ressembler à une aventure de l’extrême. Alors on aide ceux qui veulent aller d’un point A à un point B à choisir l’itinéraire qui leur convient, en fonction de leurs préférences, des escales qu’ils ont envie de faire … »

Le conseil doit aussi aider à lever un frein important au choix du train : son prix. Parfois très élevé lorsqu’on ne connaît pas les différents bons plans et avantages auxquels on peut prétendre en fonction de sa situation.

Ce service de conseil est assuré par les bénévoles de l’association, dont quatre sont très actifs. Il s’adresse aux adhérents de l’association -300 adhésions ont été enregistrées depuis 2019- mais aussi à un public plus large, en contrepartie d’un don libre. « On accompagne quelques dizaines de personnes par an pour des itinéraires longs ». S’y ajoutent des conseils plus informels via WhatsApp, pour les trajets quotidiens des membres de l’association.

Enfin, l’association met en scène divers événements qui permettent de réunir le public et des acteurs de la réhabilitation culturelle du train. « Nous organisons des festivals sur l’imaginaire et les récits du train ». Les premiers ont eu lieu à Paris. Le troisième, en juin dernier, s’est tenu dans l’Allier, à Bellenaves. Dénommé « Rurail & vous », il a notamment accueilli Juliette Labaronne, autrice de Slow Train. Les festivals de OUAT ont aussi permis de mettre en avant François Schuiten, peintre, dessinateur et fondateur du musée Train World à Bruxelles. Preuve que ce mode de transport demeure une inépuisable source d’inspiration.♦

 

Bonus

  • Quels projets de développement pour l’association ? – OUAT réfléchit à l’obtention d’une reconnaissance d’intérêt général, ce qui lui permettrait de prétendre à du mécénat et peut-être d’embaucher un premier salarié. Façon de pérenniser et amplifier ses actions.
  • Pour en savoir plus – L’association, qui est à la recherche de nouveaux adhérents, dispose d’un site internet. Elle est très active sur les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, Twitter ou encore LinkedIn.