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Des Espaces de réflexion éthique pour promouvoir la bientraitance

Par Nathania Cahen, le 10 octobre 2023

Journaliste

La Timone, le grand hôpital de Marseille, recèle des endroits improbables ! Au -1, passées les portes desservant les différents lieux de culte, un îlot incongru surgit au bout d’un couloir. Presque un décor de cinéma : patio à la provençale avec murs ocre, oliviers, fontaine et bancs de pierre. Autour s’égaient une salle de conférence, une bibliothèque-centre de documentation et quelques bureaux. Bienvenue à l’Espace de réflexion éthique de la région PACA ! La directrice adjointe, le Dr Perrine Malzac, nous en explique les missions.

 

Genèse. C’est le Pr Jean-François Mattei, fameux généticien marseillais qui, dans les années 1990, crée l’ancêtre de cet espace avec la mise sur pied, sous forme associative, d’un Centre d’études et de recherches en éthique médicale, le CEREM. Son intention est alors de mettre en place des outils pour les professionnels de santé. Puis, devenu ministre de la Santé en 2002, il va plus loin et milite pour l’ouverture d’un espace éthique assorti d’un diplôme universitaire. Un an plus tard, son vœu est exaucé avec la mise à disposition de ces 200 m2 où nous nous trouvons aujourd’hui.

Le sujet creuse encore son sillon avec, en 2004, la révision de la loi de bioéthique datant de 1994. Suite aux préconisations d’un groupe de travail national autour d’Alain Cordier, elle promeut dès lors la réflexion éthique dans le champ de la santé dans toutes les régions de France.

Les espaces de réflexion éthique régionaux sont créés, ceux déjà existants y sont intégrés, et le Dr Perrine Malzac (bio en bonus), membre de l’équipe médicale du Pr Mattei, fait partie de l’aventure. Un volant de missions est alors décliné. Depuis un observatoire des pratiques à une information accessible et adaptée aux différents publics (professionnels, société civile, usagers…), en passant par l’organisation de débats ou d’événements. Les bases sont posées, à chaque région de trouver son organisation et son rythme de croisière.

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L’Espace de réflexion éthique PACA-Corse, un espace peu connu du CHU La Timone © Marcelle

 

Zoom sur L’Espace de réflexion éthique PACA-Corse

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Dr Perrine Malzac, généticienne, directrice adjointe de l’Espace de réflexion éthique Paca-Corse ©AP-HM – Christophe Asso

C’est l’aîné, il fêtera ses 20 ans fin novembre. Le président actuel en est le professeur de philosophie Pierre Le Coz, épaulé par deux directeurs adjoints, le Pr Gilles Bernardin du CHU de Nice et le Dr Malzac, des Hôpitaux Universitaires de Marseille. Deux chargées de mission ainsi qu’une paire d’universitaires complètent l’équipe, à laquelle viennent s’agréger de nombreuses personnes intéressées par les questions d’éthique. Ce n’est pas du luxe, car la tâche est immense !

Leur espace d’intervention est de fait très vaste, mais leurs compétences distinctes sont complémentaires. Dans le champ universitaire, qui englobe l’enseignement et la recherche, leur rôle est ainsi d’encadrer les étudiants : en leur faisant cours ou en corrigeant leurs mémoires, par exemple.

Dans le champ hospitalier, il peut s’agir de partager et d’échanger sur les expériences, de proposer de la formation professionnelle, d’organiser des rencontres. Très récemment, une session de formation d’une journée s’est tenue au Centre gérontologique départemental, pour aider la direction à poser un cadre éthique à même d’aider les salariés, les résidents et leurs familles.

 

L’éthique, quelle définition ?

Éthique : « Ensemble des conceptions morales de quelqu’un, d’un milieu » définit le Robert. Pour Perrine Malzac, « c’est la volonté de croiser les regards – philosophique, anthropologique, médical, citoyen, sociologique… afin d’envisager toutes les facettes d’une problématique ou d’un cas de conscience».

Cela débouche sur une réflexion, souligne-t-elle : « Comment rendre un hôpital ou un établissement de santé plus hospitalier ? Améliorer une relation de soins ? Mettre en lumière les valeurs qui sous-tendent la pratique du soin, à commencer par la bientraitance ? » Cela concerne tant d’aspects du soin ! Comme la rédaction des directives anticipées et la désignation d’un tiers de confiance : « C’est d’une complexité absolue, confie la médecin. Il faut systématiquement rappeler ce que c’est et à quoi cela sert. En cela, c’est témoigner du respect aux personnes, ménager leur autonomie ».

Ailleurs, la réflexion porte aussi sur les dilemmes qui apparaissent quand ces valeurs se trouvent en tension. Par exemple, quand il s’agit d’annoncer une très mauvaise nouvelle – enfant polyhandicapé, maladie de Charcot ou cancer…- en faisant le moins de mal possible. « En disant la vérité mais sans blesser plus que nécessaire ».

« Nous travaillons sur des cas très concrets, illustre notre interlocutrice. Ce peut être autour de la conduite à tenir vis-à-vis d’une famille… À partir de ces dilemmes qu’on nous rapporte, des cas de conscience vécus par des médecins ou des infirmières, des conflits au sein d’une équipe médicale, nous nous efforçons d’entendre les uns et les autres et de proposer des solutions… » Ces exemples seront également utilisés lors de colloques grandeur nature ou en distanciel, dans des podcasts…

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Coller à l’actualité

Certains thèmes et questions sont abordés main dans la main avec le Comité consultatif national d’éthique. En 2019, à l’occasion des États généraux de la bioéthique. Plus près de nous, pour la Convention citoyenne sur la fin de vie, évidemment – pour laquelle occasion l’Espace de réflexion éthique Paca Corse a monté une vingtaine de débats. Depuis, l’équipe a également planché sur les États généraux des maltraitances.

Autre sujet fort, les Ehpad. La sortie du livre « Les fossoyeurs » en 2022 a semé le trouble sur les traitements réservés à nos anciens dans ces établissements. En région PACA comme ailleurs, des auditions ont ainsi eu lieu dans le cadre d’enquêtes menées par les Agences régionales de santé. À cette occasion, des problèmes récurrents ont été constatés (atteinte de la liberté d’aller et venir, droit à l’image, directives anticipées…) « Une formation spécifique nous a été demandée, pour les experts-visiteurs par exemple, commente Perrine Malzac. Nous sommes ponctuellement sollicités pour de la formation ou de l’information, souvent sur des formats courts. Ce sont des occasions pour les participants de s’approprier les outils de la réflexion éthique : repérage des enjeux, prise de décision ». `

 

Et la société civile ?

Des Espaces de réflexion éthique pour promouvoir la bientraitance
Prochain Cinéthique de Marseille, mardi 77 novembre avec le doc L’Adamant.

Elle est dès que possible impliquée dans les espaces de réflexion. Au travers de débats publics (dans les mairies, les salles des fêtes, les bibliothèques…), et en association avec la direction Culture de l’AP-HM. « En effet, concède Perrine Malzac, il est parfois plus simple de passer par l’art, la fiction, les récits ou les images… ». Très prochainement, la bibliothèque régionale de l’Alcazar accueillera ainsi  « Psychodémie », un débat autour de photos signées Antoine d’Agata (lire bonus). Tandis que tous les deux mois (le premier mardi de novembre pour le prochain), c’est un « cinéthique » qui se tient au cinéma Les Variétés, à Marseille : projection d’un film avec une thématique santé, suivi d’un débat éthique et philosophique accessible à tous.

Mais indéniablement, un des publics le plus en demande reste celui des étudiants, aujourd’hui très sensibilisé à ces questions d’éthique. Et étonné d’en découvrir la dimension transverse, avec une déclinaison dans tous les axes de la société. ♦

*La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – La bio de la Dr Perrine Malzac – Des formations pointues en éthique – « Psychodémie » –

  • Des formations pointues et dédiées. Le DESIU Ethique et pratiques médicales, en formation continue. Ouvert aux médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes (français ou étrangers. Sages-femmes. Titulaires d’une licence en sciences humaines et sociales, ou juridiques, ou des sciences de la vie et de la santé. Infirmier(e)s, puéricultrices, kinésithérapeutes, manipulateurs radio, et leurs encadrants, aumôniers, secrétaires et professions paramédicales.

 

  • « Psychodémie ». Cette rencontre Ethique, Culture et Santé aura lieu autour du travail photographique d’Antoine d’Agata. Une réflexion sur les effets de la pandémie de Covid-19 sur nos corps, nos imaginaires et nos sociétés. En présence notamment du photographe et d’intervenants des champs de la santé, de l’éthique et de la philosophie. Samedi 18 Novembre  2023 à 18h – Salle de conférence de la bibliothèque de l’Alcazar.Être

 

  • Dr Perrine Malzac. Praticienne hospitalière, en génétique dans le Département de Génétique Médicale ; et en éthique à l’Espace de réflexion éthique PACA-Corse au sein des Hôpitaux Universitaires de Marseille. Depuis 2003, elle participe également à l’enseignement universitaire de l’éthique, en particulier au sein du Master 2 « Approches éthiques, déontologiques et anthropologiques en santé » et du Master « Conseil en génétique et médecine prédictive ». Elle est également chercheuse associée à UMR 7268 ADES – Equipe « Corps, Normes, Santé».

Elle est membre du groupe de travail en génétique « Stratégie en diagnostics » à l’Agence de la Biomédecine depuis 2014. Du comité d’éthique et de déontologie de Santé Publique France depuis 2022. Et a été membre du comité d’éthique et de déontologie de l’INCa de 2015 à 2019.

Perrine Malzac a de plus contribué à la rédaction d’une dizaine d’ouvrages collectifs en éthique, dont le plus récent « Récits cliniques, conflits de valeurs. De l’éthique médicale à la décision concrète » aborde la question de l’éthique appliquée aux soins en situation de dilemmes moraux.