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Pourquoi s’inspirer des habitudes alimentaires du Paléolithique

Par Marie Le Marois, le 5 janvier 2023

Journaliste

Grotte Cosquer @Romain H

Des dîners préhistoriques seront prochainement organisés dans la réplique de la Grotte Cosquer, à Marseille. Cette proposition met en lumière les habitudes alimentaires de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs qui étaient saines et équilibrées. L’homme moderne pourrait s’en inspirer, pour sa santé et pour l’environnement.

 

La Grotte Cosquer, située sous la mer dans la calanque de la Triperie à Marseille, a été fréquentée entre 33 000 et 19 000 ans avant notre ère. Nous sommes alors au Paléolithique supérieur, dans la dernière période glaciaire (bonus). Les habitants sont les Homo Sapiens, « appelés familièrement Cro-Magnon ou ‘’hommes anatomiquement modernes’’ », précise au téléphone Brigitte Delluc, docteure en préhistoire et coauteure de ‘’L’alimentation au Paléolithique » (bonus). Ils vivent sur le sol européen depuis « grosso modo 40 000 ans » (environ 300 000 ans en Afrique).

 

♦ Le Paléolithique (littéralement « [âge] de la pierre ancienne ») débute, selon le Larousse, avec l’apparition des premiers hommes (genre Homo), il y a environ 3 millions d’années. Et se termine il y a environ 10 000 ans, avec l’avènement du mésolithique, période de transition avec le néolithique.

 

Chasseurs-cueilleurs semi-nomades

Brigitte et Gilles Delluc
Brigitte et Gilles Delluc, préhistoriens spécialistes des grottes ornées, dans leur bibliothèque © DR

Les Homo sapiens sont chasseurs-cueilleurs – « ils vivent uniquement avec ce que la nature leur offre » et semi-nomades. Ils se déplacent pour chasser tel ou tel gibier, ou pour chercher des matériaux pour leurs outils. À cette époque, nous explique la spécialiste des grottes ornées (notamment celle de Lascaux), les Cro-Magnon connaissent bien les ressources de leur région. « Ils n’hésitent pas à parcourir 50 à 100 kilomètres à certains moments puis reviennent à des endroits plus favorables, comme l’abri Pataud, aux Eyzies en Dordogne, ensoleillé et protégé du vent », raconte celle qui en fut la conservatrice pendant dix ans.

 

Viande, poisson et…

L'Abri du Poisson
L’Abri du Poisson © Ph. Jugie – Centre des monuments nationaux

Les Homo sapiens consomment du gibier – majoritairement du renne (en tout cas en Europe). Mais également du poisson – essentiellement de rivière et du saumon. « Ses vertèbres, fragiles, n’avaient pas été repérées dans les anciennes fouilles. On en tient compte aujourd’hui », souligne Brigitte Delluc. Elle évoque également L’Abri du Poisson aux Eyzies, « capitale de la Préhistoire », qui doit son nom à une sculpture de saumon, longue d’un mètre et datée d’environ 25 000 ans.

Ces hommes n’ont alors aucun mal à conserver leurs vivres. « Pendant l’hiver, ils avaient un congélateur à disposition ! » s’amuse la préhistorienne qui signale l’utilisation du sel comme conservateur bien plus tard, au Néolithique. S’il n’est plus à prouver que leurs aliments étaient cuits (la domestication du feu remonte à 400 000 ans), on en connaît la raison aujourd’hui  : « la cuisson des viandes transforme les fibres dures de collagène en tendre gélatine ». Quant aux récipients et couverts, « on n’a jamais signalé d’objets transformés et interprétés comme tels dans les fouilles ».

 

 

…végétaux

Pourquoi s’inspirer des habitudes alimentaires du Paléolithique 6
Des baies sauvages, sources de glucide @Pixabay

Nos ancêtres mangent également des végétaux. Et en mangent « tout le temps ». Ils sont en fait omnivores, à la fois herbivores et carnivores. Leur menu est équilibré, beaucoup plus qu’on ne le pensait, et pas exclusivement carné. À l’origine de cette idée reçue ? La place de la viande a été jusqu’à présent surestimée par les archéologues car les ossements de gibier sont mieux préservés que n’importe quel résidu de plante, donc plus faciles à trouver. Désormais, les chercheurs s’intéressent de plus en plus aux restes végétaux, notamment grâce à leurs outils toujours plus performants pour les déceler et les analyser.

Une étude menée par des scientifiques israéliens en 2016 a répertorié 55 types différents de fruits, graines, noix, racines et légumes à Gesher Banot Yaakov, dans le nord d’Israël (bonus). Cette découverte montrerait même que les chasseurs-cueilleurs dévorent beaucoup de végétaux et peu de viande.

 

♦ Les dîners préhistoriques proposés par Marseille Provence Gastronomie dans la Grotte Cosquer seront une immersion totale. L’idée ? Vivre une expérience insolite et plonger dans l’histoire : « Comprendre d’où l’on vient est important pour le présent et les jeunes générations », souligne Danielle Milon, Présidente de Provence Tourisme (voir bonus). Infos ici

 

Pas de laitage, pas de céréale, mais du bon gras

Moelle de bœuf
Moelle de bœuf, du bon gras @Pixabay

Aucune carence alimentaire n’a été observée à ce jour, pointe Brigitte Delluc. Pourtant leur alimentation n’affiche ni laitage, ni céréale. Comment parviennent-ils à obtenir les nutriments nécessaires ? « Ils se débrouillent très bien pour trouver du calcium dans la nature, rapporte cette passionnée. Les vaches en puisent bien dans l’herbe qu’elles broutent ! »

Et les glucides, première source d’énergie pour les muscles et le cerveau ? Les baies fournissent du sucre rapide au printemps, ainsi que les fruits du chêne et du châtaignier « mais pas en période froide ». Il n’existe pas de traces de consommation de miel, « ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu. D’ailleurs, une peinture rupestre sur un site espagnol un peu plus tardif montre un collecteur de miel entouré d’abeilles ».

La rareté des sources de glucide est en fait compensée par le mécanisme de néoglucogenèse : une synthèse de glucose est produite à partir des réserves de lipides et de protides. Elles sont contenues notamment dans les poissons bien gras comme le saumon et la moelle du gibier. Les Homo sapiens trouvent tout ce qu’il leur faut pour vivre. D’ailleurs, « si nous sommes là aujourd’hui, c’est bien parce que nos ancêtres ont réussi à survivre ! »

 

« Beaucoup de recherches sont en cours. Et font évoluer notre vision de ces sociétés anciennes au fur et à mesure des découvertes et de l’évolution technique des outils de mesure que les chercheur.se.s ont à leur disposition », pointe Gwenaëlle Goude, chercheuse CNRS au Lampea (Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique)

 

Néolithique, le début de la catastrophe ?

Panneau des pingouins complet - salle nord
Grotte Cosquer. Panneau des pingouins – salle nord @KléberRossillon

Au Néolithique, dernière période de la préhistoire (voir bonus), les Homo Sapiens deviennent « producteurs de leur nourriture, rapporte Brigitte Delluc. Les premières céréales sont signalées au Moyen-Orient il y a 10 000 ans ». L’avènement progressif des pratiques d’agriculture et d’élevage, ainsi que de la sédentarisation, se doublerait de l’apparition de disettes et conflits – « un groupe produit bien, un groupe manque, c’est la bagarre ». La tuberculose survient également à cette époque, « due à la proximité avec les animaux ».

L’agriculture et l’élevage, puis l’industrialisation seraient-ils la cause de certaines maladies de notre civilisation, comme le prétendent les adeptes du régime paléo (ou paléolithique) très en vogue dans le monde ? Ils invitent à suivre les habitudes de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Pour eux, manger comme au Paléolithique au 21e siècle est non seulement possible, mais préférable. Ce type d’alimentation préviendrait l’apparition de maladies chroniques (diabète, obésité…), cancers et affections cardiovasculaires.

 

Le régime paléo, lubie de l‘homme moderne…

Pourquoi s’inspirer des habitudes alimentaires du Paléolithique 4
Le sucre raffiné, ennemi n°1 @Pixabay

aux USA dans les années 1970, le régime paléo comprend la consommation de poisson, légumes, baies, viande maigre, œufs (pourtant inexistants au Paléolithique) et noix. Il exclut produits laitiers, céréales, légumineuses, pomme de terre, aliments transformés, café, alcool, sel et sucre.

Ce dernier aliment est l’ennemi principal pour Priscilla Pellecuer, naturopathe et professeure de yoga, qui organise des séjours paléo dans les Cévennes. « On a accusé le gras d’être responsable de nos maux, mais c’est le sucre. ll a peu d’intérêt nutritionnel et sa consommation en excès favorise l’apparition de nombreuses pathologies. Les cellules cancéreuses en raffolent ». Elle pointe également l’abondance des mets sur nos tables. « Nous vivons pour manger alors que nos ancêtres mangeaient pour survivre. Leurs repas étaient frugaux mais plus nutritifs ».

 

… ou bonne idée ?

Epinard
Connu pour sa teneur en fer, l’épinard est également riche en calcium. 100 g d’épinards en contiennent en moyenne 168 mg @Pixabay

L’exclusion de certains aliments, notamment les transformés – riches en sucres ajoutés, sel et acides gras saturés -, permet indéniablement de prévenir certaines maladies. En revanche, les détracteurs de ce régime pointent l’absence de produits laitiers : responsable de carences en calcium si elle n’est pas compensée par d’autres sources alimentaires, « légumes verts, fruits frais (kiwis, prunes..), graines et oléagineux (amandes, graine de courge, de lin…), herbes et épices, soja et algues », égrène Priscilla Pellecuer.

D’autres, dont cette professionnelle, dénoncent de plus les régimes paléo principalement carnés. Ils pourraient contribuer à un excès d’acidité dans le corps. Et si la viande est rouge, accroître le risque de maladies cardiovasculaires et de cancers. Or, rappelle la jeune femme, les chasseurs-cueilleurs mangeaient davantage de végétaux que de viande. 

Dernière dérive pointée par celle qui préfère le mot diète à celui de régime : l’amalgame entre poids et santé. « L’objectif de régime paléo n’est pas de maigrir mais de retrouver une alimentation plus saine ». Et doit s’accompagner d’activités physiques. N’oublions pas que nos ancêtres étaient semi-nomades.

 

Vision simpliste et erronée…

Gwenaëlle Goud
Gwenaëlle Goude, bioanthropologue, chercheuse CNRS au Lampea (Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique) ©DR

Pour la bioanthropologue Gwenaëlle Goude, le régime paléo tel qu’il est présenté au grand public est une vision simpliste et erronée de l’alimentation de cette période. Il ne faudrait pas parler d’un type mais d’une diversité alimentaire chez nos ancêtres, variable en fonction des environnements, des saisons, des fluctuations climatiques. Et peut-être des individus (jeunes, femmes, etc.). Ensuite, ce type d’alimentation basé uniquement sur la chasse et la cueillette ne permettrait pas de nourrir les 7,8 milliards d’habitants dans le monde.

Enfin, « nous ne sommes pas passés de l’Eden à la catastrophe avec les premières sociétés pastorales ». Il y avait des maladies au Paléolithique, « des caries, des infections bucco-dentaires, des pathologies dégénératives ou infectieuses». Elles sont probablement plus difficiles à déceler. Et la comparaison avec les périodes néolithiques plus tardives est compliquée car les quantités de vestiges archéologiques ne sont pas comparables.

 

…mais inspirante 

Les grottes ornées, premières écritures de l’humanité ?
La grotte Cosquer  ©Paul Molga

S’il est vain de vouloir revenir en arrière, l’alimentation de nos ancêtres, et des populations préhistoriques en particulier, a le mérite, pour Gwenaëlle Goude, de faire prendre conscience du point aigu de la malbouffe. « On ne peut pas faire une transposition directe, mais s’en inspirer : connaître son environnement et les cycles naturels des saisons, acheter des produits sans intrants, sans pesticides, en tout cas ceux qui n’ont pas d’impact pour l’environnement. Manger beaucoup plus de produits diversifiés et moins raffinés ».

Ces habitudes alimentaires rejoignent ce que préconise l’ONU en matière de système alimentaire durable : une alimentation qui a un faible impact sur l’environnement et contribue à une vie saine pour les générations actuelles et futures. La preuve vivante est Brigitte Delluc qui mange des produits de saison et locaux, « de préférence », mais jamais transformés. Un régime qui lui convient bien puisqu’à 86 ans, la Dordognaise est en bonne santé et son cerveau de préhistorienne toujours aussi vif.♦

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

Bonus

[pour les abonnés] Le climat du Paléolithique – Le parcours de Brigitte Deluc, d’IBM à l’Histoire – Les travaux de Gwenaëlle Goude – Le détail des dîners préhistoriques de MPG –

  • Le climat connaît un fort refroidissement à la fin du Paléolithique. « Au moins cinq degrés de moins qu’aujourd’hui », pointe Brigitte Delluc. Cette dernière glaciation a stocké l’eau sous forme de glace. Et provoqué, par conséquent, l’abaissement du niveau des mers jusqu’à 120 mètres. Raison pour laquelle la Grotte Cosquer était accessible.

La remontée des eaux a noyé son accès. ‘’On estime qu’il y a 10 000 ans le niveau de l’eau atteignait le plancher du porche d’entrée de la grotte. Depuis, le niveau marin a progressé de 37 mètres. Et la remontée s’accélère depuis 2011, en lien avec l’évolution du climat. Suivant les projections du GIEC, elle devrait progresser de cinq mètres d’ici les années 2300, entraînant la disparition définitive de l’art paléolithique dans la grotte’’, indique le site.

 

  • Ancienne professeure de mathématiques et de physique-chimie, Brigitte Delluc a notamment travaillé comme ingénieure informatique chez I.B.M – « j’ai connu la préhistoire des ordinateurs ! » Elle s’est intéressée à la préhistoire à la fin des années 1960 avec son mari, Gilles Delluc, périgourdin d’origine et médecin. Le début de leur passion pour cette période de l’histoire ? « Nous avons quitté Paris pour rentrer vivre en Dordogne en 1970. Mon mari avait débuté la spéléologie dès 14 ans. Il était devenu l’un des fondateurs du Spéléo club de Périgueux. Il a fait partie de l’équipe qui a découvert la grotte de Villars en 1958 ». Ensemble, ils ont conçu la muséographie de la réplique de Lascaux II et publié un grand nombre d’ouvrages de référence sur le sujet. L’un n’écrivait pas sans l’autre. Détails ici.
♦ (re)lire : L’alimentation bio nous sauvera-t-elle ?

 

  • Les dessous des dîners préhistoriques. Dans le magnifique décor art pariétal de Cosquer Méditerranée, MPG réalise les 23, 24 février & 3 mars, trois dîners préhistoriques pour 90 convives par date. Un voyage originel et immersif, en partenariat avec  » Culture et Territoire « , gestionnaire du site. Ces dîners hors du temps (mais pas à la portée de toutes les bourses) guideront les aventuriers du goût dans une odyssée culinaire. Elle les mènera au plus près des habitudes alimentaires paléolithiques. Le menu se déclinera en cinq propositions : « chasse et cueillette », « caillé », « goût de la mer », « sang » et « goût du lac ». Le chef et historien Emmanuel Perrodin a imaginé les menus avec le préhistorien Gabriel Behara, responsable médiation de Cosquer Méditerranée. Un lycée professionnel hôtelier est également partenaire pour la production en cuisine et le service.

« Nous poussons une nouvelle porte avec ces dîners préhistoriques. Nous laissons courir notre imagination et travaillons avec des gens qui ont envie de s’investir sur l’identité de notre territoire. Pas seulement comme nous la vivons aujourd’hui, mais dans l’histoire. Ces dîners sont une invitation au voyage et nous allons voir où cette grande aventure nous mènera », insiste Danielle Milon, Présidente de Provence Tourisme. Info sur : www.mpgastronomie.fr

 

  • Trajet de l’Homo Sapiens, de l’Afrique à l’Europe : « l’Homo erectus et l’Homo sapiens ont quitté l’Afrique par le couloir du Levant. C’est-à-dire l’Israël moderne, les Territoires palestiniens, la Jordanie, la Syrie et le Liban. Ils ont rencontré de nouvelles plantes et des animaux indigènes de la Méditerranée », in The Times of Israel.

 

  • Pourquoi est-on passé du Paléolithique au Néolithique. Le climat a changé avec la fin de la glaciation. Les forêts apparaissent, la faune change. Les rennes partent vers le Nord au profit d’autres animaux (cerf, sanglier, chevreuil et petit gibier).

 

    • Gwenaëlle Goude, chercheuse CNRS au LAMPEA depuis 2010. La chercheuse travaille en ce moment avec une équipe pluridisciplinaire sur la place de la femme dans les sociétés agropastorales anciennes à travers l’alimentation et le mode de vie. Contrairement aux idées reçues, l’homme ne serait pas cantonné à la chasse, la femme à la cuisine et aux enfants. « En tout cas, on sait que ce n’est pas forcément le sexe de l’individu qui détermine la tache. Le statut social a peut-être un rôle important dans les organisations sociales. Ensuite, les activités sont dédiées en fonction des contraintes physiques. Enfin, elles peuvent évoluer au cours de la vie d’un individu et du type de groupe ».