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Et si l’énergie de demain venait de nos déchets ?

Par Agathe Perrier, le 19 octobre 2023

Journaliste

Parmi les bactéries qui se trouvent dans nos déchets, certaines produisent naturellement de l'hydrogène © Photo d'illustration, Pixabay
L’hydrogène est présenté comme une « clé » pour décarboner l’économie française. Mais la méthode choisie pour le produire – qui nécessite à la fois de l’électricité et de l’eau – peut susciter des réserves. Une autre solution existe pourtant : des chercheurs d’un labo marseillais ont prouvé qu’il était possible d’en obtenir plus sobrement, à partir de nos déchets. C’est ce qu’ils ont révélé à une poignée de curieux, lors d’une « visite insolite » dans leurs locaux.

[Dans le cadre de l’éducation aux médias, avec le soutien de la Région Sud, une version radio pour les lycéens]

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« L’hydrogène : l’énergie de demain ! ». C’est avec cette assertion que les chercheurs du laboratoire bioénergétique et ingénierie des protéines (BIP) de Marseille ont accueilli le grand public venu découvrir leur métier. Ils ont exceptionnellement ouvert leurs portes à une quinzaine de curieux, dans le cadre des « visites insolites » organisées par leur établissement de tutelle, le CNRS (bonus). « On travaille sur les micro-organismes et plus particulièrement à leurs applications environnementales, comme la biodépollution ou la production d’énergie », explique Marie-Thérèse Giudici-Orticoni, à la tête de ce laboratoire.

Cas concret avec des bactéries : elles se développent dans les déchets et certaines sont naturellement capables de créer de l’hydrogène. Une expérience vaut souvent mieux qu’une explication, comme les participants l’ont constaté. La manipulation a consisté à prélever lesdites bactéries – Clostridium acetobutylicum (Cab) et Desulfovibrio vulgaris Hildenborough (DvH) de leur doux nom – puis à les injecter dans leur milieu de culture, où elles trouvent tous les éléments dont elles ont besoin pour grandir et produire le fameux gaz. De quoi se mettre dans la peau des scientifiques durant quelques minutes.

 

 

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Les participants à cette « visite insolite » ont pu eux-mêmes prendre part à une expérience © CNRS

D’hypothèse en hypothèse

L’idée de partir des déchets pour produire de l’hydrogène a été glissée au BIP par un industriel, en 2008. Les scientifiques ont alors voulu vérifier si c’était bel et bien possible. « On s’est vite aperçu que oui, mais la production était instable. On a cherché à savoir pourquoi », indique la directrice. Les chercheurs ont pour cela analysé les bactéries présentes dans les déchets et isolé celles émettant de l’hydrogène. Ils ont ensuite posé différentes hypothèses qu’ils ont fini par valider ou réfuter. « Ce qui est le plus long en recherche est de s’assurer que ce que l’on voit est vrai et repose sur des bases », souligne Marie-Thérèse Giudici-Orticoni.

Leur travail les a amenés à découvrir que Cab et DvH engendrent davantage d’hydrogène lorsqu’elles sont associées l’une à l’autre qu’en restant seules. « Les bactéries se « collent » et c’est vraiment cette interaction physique qui est déterminante pour la production d’hydrogène. On a fait une expérience où on les a séparées physiquement et on n’obtenait pas une aussi bonne quantité de gaz », glisse Cassandra Backes, post-doc au BIP. Et Louis Delecourt, son collègue doctorant d’ajouter : « Pendant longtemps, les bactéries ont été élevées en culture seule. On réalise de plus en plus aujourd’hui des cocultures, à savoir des regroupements d’espèces, car on se rend compte qu’elles peuvent créer quelque chose ensemble qu’elles ne produiraient pas ou moins en étant seules ». 

Le rôle de l’équipe du BIP s’arrête à la preuve de concept, c’est-à-dire la démonstration de faisabilité. Charge aux laboratoires de recherche et développement ou aux industriels de s’appuyer sur ce travail pour élaborer des process à grande échelle. S’ils le souhaitent.

 

 

Les bactéries mises de côté dans la production d’hydrogène…

Justement, ce n’est pas sur ce procédé que misent le gouvernement et les entreprises pour produire de l’hydrogène. Ce gaz est considéré comme essentiel pour décarboner le pays (bonus), mais l’effort porte sur la méthode par électrolyse de l’eau. Celle-ci consiste à séparer une molécule d’eau en hydrogène et en oxygène grâce à un apport d’électricité. « Cette technologie est mature et peut produire de grosses quantités d’hydrogène très vite, ce qui n’est pas le cas via les bactéries. Mais il faut de l’électricité et de l’eau », rappelle la directrice.

Or, en France, la majorité de l’électricité vient du nucléaire. Une production qui, bien que neutre sur le plan des émissions de gaz à effet de serre, pose de vraies questions en matière de pollution terrestre, notamment en raison des eaux rejetées et des déchets radioactifs dont on ne sait que faire. Quant au sujet de l’eau, les deux dernières années ont montré que cette ressource est loin d’être infinie.

 

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La production d’hydrogène à partir de bactéries permet de réutiliser des déchets © Photo d’illustration, Pixabay

… n’ont pas dit leur dernier mot

En parallèle, la production d’hydrogène à partir de bactéries présente plusieurs avantages. Notamment en termes d’économie circulaire, puisqu’elle permet de réutiliser des déchets. La fermentation donne de plus naissance à du biométhane, un gaz qui trouve des débouchés dans les réseaux de gaz naturel ou comme carburant pour les moteurs. « Technologiquement, produire de l’hydrogène grâce aux déchets n’est pas compliqué, donc ça ne reviendrait pas cher », ajoute Marie-Thérèse Giudici-Orticoni. Il faudrait par contre que la population prenne conscience que les déchets ont une valeur et adopte pleinement le tri. Ce qui n’est pas encore gagné : si 89% des Français déclarent trier leurs emballages, seulement 51% le font systématiquement d’après Citeo, l’organisme chargé de l’élimination des déchets.

Certaines entreprises se sont néanmoins lancées sur cette piste. La française Haffner Energy a, par exemple, développé une solution industrielle produisant de l’hydrogène à partir de diverses biomasses (bois de collecte, résidus de l’exploitation forestière et agricole, pailles, déchets organiques…). Outre-Atlantique, la start-up Mote va construire une usine de production d’hydrogène utilisant des déchets de bois. La piste des déchets n’est donc pas encore enterrée. ♦

 

Bonus

  • Rendez-vous l’année prochaine pour de nouvelles « visites insolites » – Le CNRS organise cet événement depuis quatre ans en France, dont trois en Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’objectif est double. D’une part, permettre au grand public de comprendre ce que font les scientifiques dans l’ombre de leur labo. Et, d’autre part, découvrir les applications concrètes de leur travail dans la vie. Dans la région, 215 personnes ont eu le privilège de participer à 19 visites cette année. Rendez-vous en octobre 2024 pour de nouvelles dates.
  • Un plan hydrogène à neuf milliards – Le gouvernement l’a présenté en 2020 (il était alors de sept milliards). L’État a prévu d’allouer cette enveloppe d’ici 2030 pour des investissements dans « la décarbonation de l’industrie, le développement des mobilités lourdes à l’hydrogène et le soutien à la recherche ». 
  • La production d’hydrogène dans le monde – Environ 116 millions de tonnes sont produites par an, selon les chiffres du gouvernement. Seulement 1% provient de l’électrolyse de l’eau. Les autres méthodes dégagent beaucoup de dioxyde de carbone (CO2) et sont très polluantes. La plus répandue est le vaporeformage de gaz naturel (44% des volumes produits), suivie de la gazéification du charbon (30%). Enfin, 25% des volumes d’hydrogène sont des coproduits de la pétrochimie (hydrogène fatal).