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Ils mettent de la vie dans leur village

Par Marie Le Marois, le 13 février 2023

Journaliste

Le Potager du Souriou est devenu l'activité du village. Ici les familles se trouvent devant le séchoir naturel pour aliments ©DR

Plus d’un village sur deux est dépourvu de commerce de proximité. Pour les habitants, cela signifie l’impossibilité d’acheter du pain ou du lait. Mais également l’absence d’endroit pour se retrouver et tisser des liens. Heureusement, un peu partout en France, des citoyens se mobilisent pour insuffler de la vie à leur commune en lançant bistrot, ateliers, soirées-jeux, guinguette ou autres activités. 

 

En 1980, les trois-quarts des communes rurales disposaient d’au moins un commerce (épicerie, tabac, boulangerie, etc.). Aujourd’hui 59% d’entre elles en sont privées.

Florence, Aurélie, Anne-Laure, Amandine* et bien d’autres encore ont décidé de créer ou de participer à une belle aventure : l’ouverture d’un commerce, d’un tiers-lieu, d’un marché de producteurs. L’organisation d’ateliers, de soirée-jeux de société, de bals musettes. En somme, la fabrication de lieux vivants, souvent protéiformes, qui ne cessent d’évoluer et de créer du lien sur leur territoire

 

Réunis’Vert à Monthou-sur-Bièvre (Loir-et-Cher) : un écolieu rassemblant marché de producteurs et ateliers pour les villageois.

Potager du Souriou
Grâce aux six occupants du Potager du Souriou, le village de Monthou-sur-Bièvre a son marché hebdomadaire

Florence Henry, l’une des bénévoles : « Nous sommes six amis à vivre sur un îlot sauvage, au bord de la Bièvre et proche du bourg. Nous avons construit nous-mêmes nos espaces communs avec les matériaux disponibles sur place tel l’acacia, et de la récup’. Le projet s’est fait progressivement à l’initiative d’Arnaud, un ami d’enfance devenu maraîcher. Ces terrains appartiennent à ses grands-parents qui y amenaient autrefois leurs vaches. Nous vivons ensemble, tendons vers l’autosuffisance, mais notre objectif reste de créer du lien pour le village. Cette dynamique vient du premier confinement. Nous avons lancé un marché avec au début les légumes d’Arnaud, ‘’le Potager du Souriou’’. Petit à petit, une dizaine de producteurs locaux nous ont rejoints, leur point de vente ayant fermé en raison de la crise sanitaire. Ainsi est née en 2021 notre association Réunis’Vert qui organise nombre d’activités. 

Le Marché du Souriou a lieu un après-midi par semaine au potager : légumes, céréales, légumineuses, lait, pâtes, viande, épicerie, savons, tisanes, etc. Les habitants et ceux des villages alentour sont contents de trouver tous leurs produits sur place, plutôt que de faire le tour des fermes de la région. Ils participent à la distribution de manière bénévole. Et partagent des idées, échangent des recettes, troquent des plantes. Pour clôturer la saison 2022 (et valoriser les surplus de courges), nous avons organisé la préparation d’une soupe de courge collective, suivie d’une dégustation. 

Potager du souriou
Potager du Souriou, atelier pédagogique

Ateliers pédagogiques au potager pour les primaires de l’école du village les lundis. Les thèmes ? Comprendre d’où vient sa nourriture, suivre le cycle de la plante et l’évolution du potager au fil des saisons, etc. Notre atelier se déroule autour d’un goûter 100% bio. Les enfants adorent réaliser leur sirop avec la menthe du jardin. On les a amenés à l’autre ferme du village, la Guilbardière qui a des vaches laitières. Pour qu’ils connaissent les acteurs de leur territoire, comprennent le chemin du lait et fassent le lien avec ce qu’ils mangent au goûter. Enfin les sensibiliser aux déplacements doux : nous les y amenons à vélo. 

Ateliers dans l’école du village avec des événements ponctuels : réalisation de La Fresque du Climat, plantations dans les bacs de l’école, ateliers sur l’utilisation de l’eau et la biodiversité, compostage, étude des abeilles…

Dynamiser un village en lançant une activité 1
Le Potager du Souriou est devenu l’activité du village. Ici les familles devant le séchoir naturel pour aliments.

Partenariat avec la bibliothèque municipale. Les mamies de la bibliothèque sont à fond dans notre projet. Elles nous ont proposé de collaborer à leur exposition sur le thème des Jardins Écologiques. Petit succès qui montre que le chemin est encore grand pour amener les enfants à la bibliothèque. On recommence cette année.

Festival le ‘’Printemps du Souriou’’ avec une compagnie théâtrale que nous avons connue à notre marché. Pour le premier festival, l’année dernière, nous avons servi des crêpes avec le lait de la Guilbardière et des pizzas au feu de bois de notre boulanger.

Depuis la fermeture du dernier commerce, en 2021, le Potager de Souriou est devenu l’endroit où tout le monde se retrouve. Les enfants de l’école amènent leurs parents, la belle-fille d’une des mamies de la bibliothèque vient vendre son miel. Nos projets ? Continuer nos ateliers, mettre en place un composteur à la cantine, organiser un ciné-club…».

 

 

La FabriK à Château-Bourdin (Deux-Sèvres) : un ancien bâtiment industriel transformé en un lieu de vie économique, social et culturel. 

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Des soirées sont organisées à La FabriK

Aurélie Lefèvre, l’une des occupantes de La FabriK et couturière : « Je couds du cuir, de la bâche et de la toile (pour de l’habitat léger, aussi bien pour des yourtes que des pergolas) et parfois des instruments de musique. Je recherchais pour mon activité un grand local. Et, en même temps, un atelier partagé car j’aime bosser avec du monde autour. C’est comme ça que j’ai atterri en 2019 à La FabriK, une ancienne usine au cœur du village qui fabriquait des pièces agricoles. Elle a été rachetée par cinq personnes et rénovée petit à petit par l’association qui gère le lieu – Les Fabrigands, dont je fais partie. Les fondateurs n’avaient aucun projet défini, si ce n’est de faire vivre le village.

Six personnes travaillent ici en permanence, une dizaine temporairement : menuiserie, métal, numérique, compagnie théâtrale…. Il y a maintenant un espace de coworking, une résidence d’artistes, des spectacles, un bar associatif – La BariK. Et un marché de producteurs qu’apprécient les habitants. Le lieu est intergénérationnel, on veut vraiment mettre l’accent sur cette dimension, ainsi que sur la proximité.

Nous proposons aux habitants des soirées jeux, des initiations – découpe laser ou animation 3D par exemple – et un festival. Nous accueillons aussi des événements, comme la fête du village ou des voisins. C’est indéniable que ce lieu de tous les possibles dynamise économiquement ce petit village de 200 habitants. Elle incite de nombreuses personnes à venir s’installer ici. Comme nous ».

 

Les Frangines and Co à Sainte-Menehould (Marne) : une ancienne école maternelle transformée en café-restaurant-épicerie-bal musette.

Frangines & Co
Anne-Laure Klein, fondatrice avec sa sœur des Frangines & Co ©DR

Anne-Laure Klein « J’avais en tête depuis longtemps de changer de métier (j’étais dans la construction) pour monter un projet dans l’économie sociale et solidaire (ESS). Pour l’implanter, nous avons tout de suite pensé avec Amanda, ma sœur et co-associée, à la ville de notre enfance, Sainte-Menehould. Elle se trouve dans une zone rurale dans l’est de la France.

La commune manque de cohésion sociale. D’un lieu où tout le monde puisse se retrouver. D’un endroit qui mette en avant l’économie locale et les petits producteurs. Notre idée ? Créer un tiers-lieu avec café-restaurant-épicerie-bal musette. Après des mois de travaux, nous avons ouvert Les Frangines and Co en janvier 2022,

 

Le restaurant le K : On propose des plats de saison à déjeuner, des gâteaux et du thé à goûter. Et des soirées apéro-tapas le week-end. Le service est effectué avec les jeunes de la Mission Locale. Nous organisions également des guinguettes party avec des thèmes. Celui du 20 janvier dernier ?  »Les années folles ». 

Les Frangines Atelier
Atelier pâtisserie pour les enfants.

Atelier cuisine pour les bénéficiaires de l’Épicerie Solidaire et un autre atelier, intergénérationnel, pour les personnes âgées et les enfants. 

Ateliers pour tous le samedi : poterie, couture, impression 3D, pâtisserie parents-enfants…

Dans ce lieu de vie, tout le monde peut rentrer par la porte qui lui est la plus familière ».

 

La Forge à Mévouillon (Drôme) : un bistrot-épicerie-livraison de repas à domicile.

La Forge / épicerie
La Forge est également épicerie et livre des repas à domicile.

Aurélie Aumage, gérante de ce lieu labellisé Bistrot de Pays : « Depuis que j’ai repris le bistrot de Mévouillon, La Forge, il y a davantage de vie. Les gens s’y retrouvent les vendredis et samedis pour l’apéro. Et une fois par mois lors de soirée qu’on organise – Beaujolais, jeux de société, concerts, etc. En journée, les uns viennent boire leur petit café le matin, les autres un petit coup le soir au comptoir. L’été, la terrasse est agréable car elle donne sur des champs de lavande.

On prépare également à déjeuner, du familial et du traditionnel, beaucoup de plats mijotés. Tout ce qui sort de ma cuisine est maison ! Et si ça ne l’est pas, c’est à moins de 10 km, comme la terrine de campagne du boucher.

La Forge
Le bistrot revit après neuf années de fermeture grâce à Aurélie, enfant du village.

Avant La Forge, je n’avais jamais eu mon bistrot. J’ai suivi des études dans l’hôtellerie-restauration et travaillé quelques saisons. Mais la vie a fait que j’ai arrêté le métier. Élever deux enfants en bas âge est incompatible avec les horaires d’un restaurant. Pendant des années, j’ai travaillé dans le commerce. D’abord dans une boutique d’articles de décoration puis dans une supérette.

Arrivée à 35 ans, je me suis dit que ce serait bien que je mette à profit mes compétences. Il s’est avéré que le bistrot de mon village était fermé depuis une dizaine d’années. La personne qui le tenait est décédée. Son épouse a bien essayé de poursuivre l’activité, mais c’était trop compliqué pour elle.

Pourquoi ne pas le reprendre ? Je suis allée voir le maire, il était d’accord pour réhabiliter le bâtiment. Après cinq ans de travaux, j’ai ouvert en juillet 2021, en gardant le même nom : La Forge, son activité d’autrefois. Les habitants ont super bien accueilli la nouvelle. Après, il ne faut pas se mentir : aujourd’hui, entre la baisse du pouvoir d’achat, la hausse de l’énergie et des matières premières, la situation est compliquée, mais j’y arrive. Notamment grâce à la diversité de mon activité : en plus du bar et du restaurant, je prépare en moyenne 20 repas par jour que j’apporte aux personnes âgées du territoire. Avec mon équipe, on se sent vraiment utiles. Nous sommes, avec le garage, le dernier commerce du village ».♦

*Témoignages recueillis en partie dans le cadre d’une enquête pour le magazine Avantages

 

– La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article –
Bonus

[pour les abonnés] – Et aussi Le Chalutier à La Baume d’Hostun – Au Maquis à Lauris –

 

  • Le Chalutier à La Baume d’Hostun (Drôme) : un ancien centre de convalescence devenu un tiers-lieu rural et citoyen. 

Avec une super équipe de gestion bénévole et une quarantaine d’acteurs motivés, un ancien centre de convalescence est devenu Le Chalutier. Le projet fait le pont entre un patrimoine délaissé car trop énergivore et des habitants isolés. Les chambres médicalisées se transforment peu à peu en ateliers de céramique ou de couture, en bureaux ou en espaces de jeux. Les quelques 4000 m2 des différents bâtiments et les sept hectares de parc sont disponibles pour toutes nouvelles propositions.

Amandine est cofondatrice du Chalutier. Elle est animatrice environnement en reconversion et musicienne, habitante de la Baume-d’Hostun depuis quatre ans et élue environnement. Son truc ? Le collectif. Ou comment travailler ensemble à un avenir meilleur, de préférence en douceur ! 

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♦ Relire : T’as de Beaux Lieux, le podcast des tiers espaces

 

  • Au Maquis à Lauris (Vaucluse) : un café associatif

Le café villageois ‘’Au Maquis’’ est un café associatif créé par et pour les habitants. Pour se rencontrer, partager des moments et des projets. Le lieu propose ainsi des ateliers gratuits d’éducation populaire proposés par les habitants. Des concerts, des jeux et beaucoup de liens. Les résidents du Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile et du foyer ADOMA de Cavaillon sont par exemple venus pour fabriquer tables et bancs.

Leur slogan ?  »À Lauris, on éteint sa télé, on descend dans les rues, on tchatche, on s’entraide et on expérimente la convivialité ».